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elles-mêmes, prises en bloc, sont quelque chose de très différent d'une bande internationale armée de gourdins. Elles ont pour fonctions de guider et diriger, ce dont les autres États retirent de grands profits. Leur position est acceptée parce que la société des nations sent le besoin de leur autorité. Si elles cessent d'être utiles, leur prééminence leur sera retirée. Si leurs services deviennent plus marqués de jour en jour, elles se développeront en un organe régulier de la vie internationale.

§ 115

Le système politique du continent américain est unique. Il Le système politique du ne peut être regardé, sous aucun rapport, comme un appen- continent dice du système politique de l'Europe. Les États américains américain. partagent avec les États européens les bienfaits de la qualité de membres de la société des nations, et se tiennent pour assujettis au droit international. Mais ils répudient absolument tout exercice d'autorité sur leur sol du Concert de l'Europe ou d'une ligue quelconque des Puissances européennes. Le plus grand et le plus puissant d'entre eux, les États-Unis d'Amérique, a pris de bonne heure une carrière indépendante pour empêcher toute intervention de la part de l'Ancien Monde. La doctrine du Discours d'adieu de Washington, éloquemment paraphrasée par Jefferson dans son discours inaugural par les fameuses paroles 'paix, commerce et loyale amitié avec toutes les nations-embarras d'alliances avec aucune', devint, sous la main du Président Monroe, et dans des circonstances liées au projet de la Sainte-Alliance de rétablir l'autorité de l'Espagne sur ses colonies américaines révoltées, l'affirmation que les États-Unis considéreraient toute tentative de la part des Puissances européennes d'étendre leur système à une portion quelconque de cet hémisphère comme dangereuse pour notre paix et sûreté'. Le même message du 2 décembre 1823 déclarait que les continents américains, par la condition libre et indépendante qu'ils ont acquise et conservée,

ne doivent désormais être considérés comme sujets à future colonisation par aucune Puissance européenne'. Ces deux principes réunis forment la doctrine de Monroe, qui a été répétée à maintes reprises dans des documents émanés du pouvoir exécutif. Elle a été l'objet d'un grand nombre de commentaires, et ses gloses ont parfois été bien au delà du texte original. Nous n'essaierons pas de rassembler, encore moins de concilier, les diverses déclarations qui en ont été données de temps en temps. Mais nous devons indiquer la position que les États-Unis occupent de fait à l'égard des

autres Puissances du Nouveau Monde.

Ils n'ont pas contracté d'alliance formelle, pour mutuel appui, avec les autres républiques américaines; néanmoins ils ont agi à plusieurs reprises d'après les principes posés par le Président Monroe. Le cours du temps a effacé la partie de la déclaration contraire à l'accroissement de la domination européenne par une nouvelle colonisation du sol américain;1 car personne aujourd'hui, ou pendant les dernières générations, n'a douté que chaque portion du continent n'ait passé sous l'autorité d'un État civilisé, et ne soit plus ouverte à l'occupation proprement dite. Mais la forte objection à l'extension du système politique de l'Europe à travers l'Atlantique s'est élargie jusqu'à comprendre toute acquisition de territoire par les Puissances européennes, ou toute intervention de leur part en vue d'établir une nouvelle forme de gouvernement. Plus d'une fois, la Grande-Bretagne et la France furent informées que les États-Unis ne verraient pas avec indifférence le transfert de Cuba de l'Espagne à une autre Puissance européenne. Le Traité ClaytonBulwer de 1850 obligea l'Angleterre à n'exercer aucune autorité sur aucune partie de l'Amérique centrale', et dans le cours des longues discussions qui suivirent sur le sens précis et l'exacte portée de l'obligation ainsi imposée une

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1 On peut prétendre que les îles glacées de l'extrême nord sont en droit res nullius, mais les difficultés du climat en empêchent l'occupation réelle.

pression diplomatique persistante décida le Gouvernement anglais à abandonner le protectorat, qu'il avait acquis longtemps avant la signature du traité, sur les Indiens de la Côte des Mosquitos.1 L'intervention de la France au Mexique coïncida, comme date, avec la grande Guerre civile américaine; mais le Gouvernement fédéral, tout préoccupé qu'il fut, ne laissa pas de protester quand l'occasion s'en présenta, non pas en vérité contre l'attaque du Mexique par la France, mais contre la tentative de la part de l'armée française de l'occuper pour détruire les institutions républicaines du pays et élever un empereur, contrairement, affirmait-on, aux vœux de la grande majorité du peuple mexicain. La chute de la Confédération permit au Gouvernement de Washington d'agir avec plus de vigueur qu'auparavant; et ses remontrances énergiques, jointes à la connaissance que, si elles étaient dédaignées, la force, selon toute probabilité, serait employée, portèrent la France à retirer ses troupes et amenèrent la chute rapide de l'infortuné Empereur Maximilien.2 La souveraineté espagnole a été éteinte à Cuba par la guerre de 1898, et l'île a été lancée dans l'autonomie d'État, sous le bienveillant patronage de la grande République américaine. Mais les États-Unis, tout en agissant comme tuteurs du Continent dans le but d'éloigner le système politique de l'Europe du Nouveau Monde, reconnaissent que des circonstances peuvent surgir dans lesquelles une Puissance transatlantique a le droit et le devoir de demander réparation à un État américain. Dans ce cas, ils n'interviendront lésé ne prendront pas la forme d'une cession ou d'une occupation permanente de territoire. Ainsi, lorsqu'en 1901 la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Italie envisagèrent l'emploi de la force contre le Vénézuéla, pour le contraindre à s'acquitter de diverses réclamations et obligations contractuelles, le Président Roosevelt écrivit dans son

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pas tant que les revendications du gouvernement

1 Message du Président Buchanan, 3 décembre 1860.
2 Moore, International Law Digest, vol. vi, pp. 488-507.

3 V. § 39.

message du 3 décembre: Nous ne garantissons aucun État contre un châtiment s'il se conduit mal, pourvu que le châtiment ne prenne pas la forme de l'acquisition d'un territoire par une Puissance non-américaine quelconque.' 1

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Il est nécessaire de garder une grande circonspection en décrivant la position actuelle des États-Unis à l'égard des autres Puissances du continent américain; mais les faits semblent difficilement s'accorder avec la vieille doctrine de l'égalité absolue des États indépendants. Les termes de M. Fish, dans son rapport de juillet 1870 au Président Grant, la définissent avec le plus d'exactitude. Le secrétaire d'État dit: Les États-Unis, par la priorité de leur indépendance, la stabilité de leurs institutions, le respect de leur peuple pour les formes légales, les ressources de leur gouvernement, leur puissance navale, leur activité commerciale, l'attrait qu'ils offrent à l'immigration européenne, le prodigieux développement à l'intérieur de leurs ressources et de leur richesse, et la vie intellectuelle de leur population, occupent de toute nécessité sur ce continent une position' éminente, qu'ils ne peuvent ni ne doivent abandonner, qui leur donne droit à une voix dirigeante, et qui leur impose des devoirs de droit et d'honneur en ce qui regarde les questions américaines, soit que ces questions intéressent les colonies émancipées, ou les colonies encore soumises à une domination européenne.' Ce tableau est exact tant en pratique qu'en théorie, si l'on excepte de la dernière proposition les affaires intérieures des quelques colonies européennes qui restent dans le Nouveau Monde. Il sera difficile de soutenir que le Gouvernement de Washington ait aucun droit, moral ou légal, de restreindre l'indépendance des pays auxquels elles appartiennent, en se mêlant de leurs affaires intérieures.

Le principe énoncé dans la citation qui précède est respecté par les premières des Puissances européennes. On peut tenir pour admis que, dans les conditions existantes, elles 1 Moore, International Law Digest, vol. vi,

p. 590.

ne tenteront pas d'accroître leurs possessions par l'addition d'autres territoires dans le Nouveau Monde. La question des frontières contestées présente, cependant, une difficulté. Il peut arriver que, sous couleur de rectifier une frontière, on réclame un territoire qui incontestablement appartient au voisin; s'il surgissait un cas semblable entre une colonie européenne et une république américaine, il relèverait de la doctrine de Monroe. Mais quand une masse territoriale, sans avoir jamais été divisée d'un commun accord, a dès le principe fait l'objet d'un différend, il est difficile de voir comment les États-Unis peuvent concilier avec le respect de l'indépendance des autres Puissances toute prétention de leur part à une voix prépondérante au règlement, simplement parce que le terrain disputé est un sol américain. Le cas s'est présenté lorsque le Président Cleveland s'est, dans son message spécial du 7 décembre 1895, arrogé le droit d'examiner et déterminer la frontière entre la Guyane anglaise et le Vénézuéla, puis de faire accepter la décision à la pointe de l'épée. Heureusement de sages conseils donnés aux deux parties prévinrent la guerre; et, par le Traité anglo-vénézuélien de 1897, négocié en parfait accord avec les États-Unis, la contestation fut renvoyée à la décision d'un corps impartial d'arbitres.1

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La détermination des États-Unis d'exclure le système politique européen et l'intervention européenne du continent américain implique l'exercice de leur autorité en dernier ressort, quand une mauvaise administration chronique et une injustice persistante mettent en danger l'existence de la société civilisée et provoquent des complications extérieures. En Europe les troubles internationaux sont mitigés, sinon écartés, par l'action des Grandes Puissances. En Amérique il faut qu'ils soient supprimés par les États-Unis. Le Président Roosevelt vit clairement que c'était une obligation qu'imposait la persévérance dans la doctrine de Monroe. Il essaya, dans le cas de Saint-Domingue, de mettre ses idées en acte 1 Moore, International Law Digest, vol. vi, pp. 579–583.

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