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pliquer par le contexte, de façon à rendre le traité homogène, sans contradiction intrinsèque. Quand les États sont en contestation pour l'interprétation d'un traité, ils font souvent un nouvel accord, éclaircissant les points contestés de la manière qui semble la plus commode à ce moment, et qui n'est pas toujours la manière enseignée par les strictes règles d'interprétation.

§ 134

Le dernier objet que nous avons à considérer dans cet Force ordre d'idées est celui de

La mesure où les traités obligent.

L'antique et médiévale coutume de donner des gages et des otages pour l'exécution des traités a passé de mode; les États aujourd'hui comptent sur leur puissance, leur intérêt personnel et leur sentiment du devoir, pour assurer l'observation des engagements contractés entre eux. Aux yeux du droit international les traités sont faits pour être observés. Leur obligation est perpétuelle, à moins qu'un terme ne soit prévu dans leurs dispositions, ou qu'ils ne stipulent l'accomplissement d'actes faits une fois pour toutes, comme le paiement d'une indemnité ou la cession d'un territoire. Prétendre qu'ils furent extorqués par la force n'est pas une bonne excuse pour en décliner l'obligation. La plupart des traités de paix sont faits par l'État vaincu sous la contrainte; mais c'en serait fait de toute stabilité dans les affaires internationales si l'on était libre de répudier ses engagements sous ce prétexte quand on le jugerait opportun. La seule espèce de contrainte qui justifie la violation d'un traité est la contrainte exercée sur un souverain ou un plénipotentiaire pour l'amener à souscrire à des arrangements qu'il n'aurait jamais faits sans crainte pour sa sûreté personnelle. Telle fut la renonciation à la couronne d'Espagne extorquée par Napoléon à Bayonne, en 1807, à Charles IV et son fils Ferdinand.1 Le peuple espagnol 1 Fyffe, Modern Europe, vol. i, pp. 367–370.

obligatoire des traités.

ne viola pas sa foi quand, refusant de l'accepter, il se révolta contre Joseph Bonaparte, qui avait été mis sur le trône.

Mais quoique les obligations des traités, sous les exceptions que nous venons d'énumérer, soient perpétuelles au regard du droit international, il est évident qu'elles ne peuvent pas rester toujours identiques à elles-mêmes. Personne ne propose de rétrograder jusqu'aux Traités de Münster ou d'Utrecht, et peu trouveraient désirable de revenir aux stipulations arrêtées à Vienne après la chute de Napoléon Ir. A mesure que les circonstances changent, les engagements faits pour les suivre deviennent surannés. Quand, et sous quelles conditions, le mépris d'un traité peut-il se justifier? C'est question de morale plutôt que de droit. Chaque cas doit être jugé d'après ses propres mérites. Il est impossible d'établir une règle rigoureuse et ferme, comme celle qui s'inscrivit à la conférence tenue à Londres en 1871 pour régler la question de la mer Noire, en ces mots: 'C'est un principe essentiel du Droit des Gens qu'aucune Puissance ne peut se libérer des engagements d'un traité, ou en modifier les dispositions, si ce n'est avec le consentement des Puissances contractantes au moyen d'un arrangement amiable.'1 Cette doctrine sonne bien; mais une courte réflexion fera voir qu'elle est aussi insoutenable que la mauvaise opinion qui permettrait à toute partie signataire d'un traité de le violer sous le plus léger prétexte. Si elle était invariablement suivie, une seule Puissance aurait le droit d'empêcher, par obstruction, les changements profitables que tous les autres États intéressés voudraient faire. Elle aurait empêché l'unification de l'Italie en 1860 à cause des protestations de l'Autriche, et la consolidation de l'Allemagne en 1866 et 1871 à cause de l'opposition de certains petits États. Le droit international ne donne assurément pas droit de veto sur le pro · 1 British Parliamentary Papers, Protocols of London Conference, 1871, p. 7.

grès politique à n'importe quel membre réactionnaire de la famille des nations qui peut trouver dans ses archives un traité suranné, dont il demande à exécuter les clauses contre le vœu de toutes les autres Puissances signataires. En vérité, ces questions dépassent le droit. Elles sont au delà de sa sphère; et ses règles ne les gouvernent pas. Bien plus, il faut se rappeler que parfois des stipulations sont introduites dans un traité plus pour la montre, et pour calmer des susceptibilités blessées, qu'avec une sérieuse intention de les voir effectivement réalisées. Telle fut la stipulation du Traité de Berlin en 1878 que la Turquie placerait aux défilés des Balkans des garnisons de ses soldats, qui auraient, dans ce but seulement, droit de passage par la Roumélie. On savait bien que la population de cette province ne laisserait pas les soldats turcs passer et repasser paisiblement, et l'on ne s'attendait pas à voir la Porte exercer le droit, qu'elle n'exerça jamais, qui lui fut donné sur le papier. Une clause du grand Traité international de Berlin fut ainsi méconnue dès le principe, sans que le consentement des parties contractantes y fût même jamais demandé; cependant aucune accusation de mauvaise foi n'a été échangée, et les plus sévères moralistes oseraient à peine dire que la clause aurait dû être exécutée au risque de causer une autre guerre. Chaque cas a des circonstances qui lui sont propres ; nous devons le juger d'après ses mérites, en nous souvenant, d'une part, que la bonne foi est un devoir qui incombe aux États comme aux particuliers, d'autre part, qu'aucune époque ne peut être assez sage et bonne pour faire de ses traités la règle de tout le temps à venir.

La question de la force obligatoire des traités fut soulevée par l'Autriche-Hongrie, en octobre 1908, quand elle notifia soudainement aux Puissances l'extension de sa souveraineté sur les provinces de la Bosnie et de l'Herzégovine, que le Traité de Berlin de 1878 lui avait remises pour les occuper 1 Holland, European Concert in the Eastern Question, p. 289.

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et les administrer'.1 Elle les avait gouvernées pendant trente ans, et, dans toutes les affaires matérielles, son administration avait été très heureuse, quoiqu'elle n'eût pas réussi à se concilier, au point de vue moral, une grande partie de la population. Pendant ce temps, empiètement sur empiètement s'étaient succédé sur les clauses du grand traité. La Bulgarie et la Roumélie orientale s'étaient réunies en dépit de lui; au lieu des réformes promises dans la Turquie d'Asie, les Arméniens avaient été massacrés, dans quelques régions presque exterminés; et de nombreuses petites clauses, telles que celles relatives aux défilés des Balkans, au tribut bulgare, aux fortifications de Batoum, avaient été ou ignorées ou éludées avec impunité. Une soudaine et heureuse révolution venait de faire de la Turquie un semblant d'État constitutionnel; et il était évident que l'ordre de choses auquel le Traité de Berlin se rapportait ne pouvait plus durer longtemps. C'était une belle occasion pour annexer la Bosnie et l'Herzégovine aux États autrichiens de nom comme de fait, si une raisonnable compensation était donnée à la Turquie pour la perte de sa souveraineté nominale. Mais les procédés employés furent très malheureux. L'Autriche-Hongrie, qui avait été partie à la déclaration énergique de 1871, citée plus haut, l'ignora entièrement, et se mit à agir de son propre mouvement, se plaçant ainsi devant le monde en violatrice des traités, quand elle aurait pu aisément adresser à tous les signataires du Traité de Berlin une demande pour l'agrandissement de son mandat de 1878 par le changement des droits administratifs en droits souverains. Cela aurait amené une conférence dans laquelle toute la masse des questions concernant la péninsule balkanique serait venue se régler. Un refus opposé à la demande autrichienne aurait été peu probable; mais, eût-il eu lieu, il aurait alors été temps pour l'AutricheHongrie de déclarer la situation intolérable, et d'avertir qu'elle ne se regardait plus comme liée par un traité vieilli 1 Holland, European Concert in the Eastern Question, p. 292.

et impossible. En s'arrogeant les droits souverains sans aucune de ces démarches préliminaires, elle exposa la paix de l'Europe, diminua le respect des obligations internationales solennelles, imposa à son peuple le lourd fardeau d'armements militaires coûteux, et attira sur elle dans le moment un déluge de reproches, en même temps que le ressentiment durable de millions de Slaves aigris. Et elle dut, à la fin, demander et obtenir l'assentiment des Grandes Puissances, bien qu'il fût donné par le moyen de dépêches diplomatiques séparées, et non d'une conférence et d'un nouveau traité international. Reste à voir si la méthode de 1908 est supérieure aux méthodes de 1871 et 1878. Incontestablement, elle n'a fait qu'aggraver les difficultés de l'Europe dans la crise provoquée par le soulèvement des peuples des Balkans contre la Turquie, en 1912 et 1913.

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