Page images
PDF
EPUB

Nature et définition

TROISIÈME PARTIE

LE DROIT DE LA GUERRE

CHAPITRE Ier

DÉFINITION DE LA GUERRE ET AUTRES QUESTIONS
PRÉLIMINAIRES

§ 135

La guerre peut se définir un recours à la force publique de la guerre. entre Etats ou Etats et communautés jouissant, quant à ce, des droits réservés aux Etats, avec la volonté de rompre les relations pacifiques, pour y substituer, dans toutes leurs suites légales, des rapports d'hostilité. Il est de règle que le fait et l'intention, indiqués dans cette définition, doivent coexister pour qu'il y ait guerre. La première de ces conditions sans la seconde n'emporte que les représailles, non la guerre, ainsi qu'on le verra dans la section suivante. La seconde sans la première est à peine possible dans l'état actuel de la société internationale, qui produit plutôt des conflits aigus et décisifs que de longues séries de campagnes faites à loisir et entrecoupées de périodes d'inaction. Il est vrai que deux États sont en guerre dès que l'un d'eux a reçu de l'autre une déclaration de guerre; mais l'intervalle entre sa réception et le premier acte d'hostilité est généralement si court qu'il est négligeable.

Quelques auteurs considèrent la guerre comme une situation. Grotius, par exemple, la définit comme un status per vim certantium, qua tales sunt.1 Mais nous appelons 'belligérance' le fait d'être engagé dans les hostilités; tandis que nous réservons le mot de guerre' à la série des actes

1 De Iure Belli ac Pacis, liv. I, ch. i, p. 2.

d'hostilité qui se placent durant la belligérance. La guerre est un recours à la force, non une situation juridique; bien plus, elle se restreint aux luttes poursuivies, soit directement soit indirectement, sous l'autorité de l'État. La guerre privée a disparu depuis longtemps de nos sociétés civilisées. Si, à l'heure actuelle, des particuliers tentent, par leur propre force, d'obtenir réparation de préjudices réels ou imaginaires, la loi les considère comme des perturbateurs de l'ordre public et leur acte est en lui-même un délit, si criante que puisse être l'injustice qui les y a conduits. Il arrive parfois que l'autorisation de l'État, bien que directe, est de toute nécessité retardée pendant un certain temps: lorsque, par exemple, un chef, se trouvant à distance de son pays et dans l'impossibilité de communiquer avec son gouvernement, estime, en présence d'une situation subite et grave, qu'il y a lieu d'engager les hostilités contre l'autorité locale et ses sujets.

En pareil cas, si ses actes sont admis et ratifiés par son gouvernement, ce seront, dès l'origine, des actes d'État, qui constitueront une guerre régulière; si, d'un autre côté, ces actes sont désavoués, ce seront des actes de violence non-autorisés qui entraîneront réparation. Mais une guerre comme celle qui fut faite à l'automne 1893 par les troupes de la Compagnie de l'Afrique du Sud britannique à Lobengula, roi des Matabélé, et à sa tribu, est indirectement un acte d'État, en ce sens qu'elle est opérée par une Compagnie à charte en vertu du pouvoir concédé par l'État. Quoi qu'on puisse penser de la politique qui consiste à autoriser des associations privées à exercer les pouvoirs et les prérogatives de la souveraineté au regard de peuplades barbares, il est clair que la responsabilité internationale de ces expéditions retombe sur l'État qui leur a délégué un si grand nombre de ses fonctions. Leur force est sa force, leurs guerres sont ses guerres ; et leurs arrangements politiques sont ses arrangements politiques.

Toute guerre est actuellement une guerre publique. Même les opérations militaires ou navales de provinces ou de colonies révoltées ont un caractère public qui leur est attribué

sorte

par le procédé dit de la reconnaissance de la belligérance ; 1 de que le mot de Grotius, que la guerre civile est publique de la part du gouvernement et privée de la part des rebelles,2 n'est plus applicable. Les autres distinctions faites entre les différentes sortes de guerres sont ou bien dépourvues de sens, ou bien désuètes. La guerre formelle était faite sous l'autorité de l'État et déclarée avec les formalités requises, tandis qu'à la guerre non formelle manquaient ces deux caractères. Mais nous venons de voir que toutes les guerres modernes sont faites sous l'autorité du pouvoir suprême de l'État ou de la communauté qui lutte pour devenir un État. Dans une guerre parfaite, l'État tout entier, disait-on, se plaçait dans la condition légale de belligérance; en ce sens, toutes les guerres sont aujourd'hui parfaites. Une guerre imparfaite subissait des restrictions quant aux personnes, aux lieux et aux objets; toutes les guerres sont limitées actuellement aux combattants, quand il s'agit des opérations actives d'hostilité, et doivent de toute nécessité se limiter à certains lieux et à certains objets du moment qu'aucune Puissance ne peut occuper avec ses forces armées tout le territoire accessible aux hostilités. La guerre, disait-on encore, est offensive de la part de l'agresseur, et défensive de la part de celui sur le compte duquel la querelle était mise; et une distinction du même genre résultait du contraste entre les guerres justes et les guerres injustes lorsqu'on n'entendait pas par là les mêmes idées qu'on exprimait encore par guerres formelles et guerres non formelles. Mais ce sont là des questions toutes morales sur lesquelles le droit international moderne ne se prononce pas. Pour lui la guerre est un fait qui altère, par des moyens variés, les relations légales des parties en conflit. Il nous enseigne donc les conditions nécessaires à l'état de belligérance, et les droits et devoirs des belligérants entre eux et vis-à-vis des neutres. Mais il ne se prononce pas sur les questions purement morales, qui tenaient une si grande place dans les écrits des premiers 1 Cf. § 141.

2 De Iure Belli ac Pacis, liv. I, ch. iii, p. 1.

publicistes. Grotius,1 par exemple, après avoir tranché par l'affirmative la question de savoir si la guerre peut jamais être juste, consacre plusieurs chapitres à essayer de distinguer entre les causes justes et les causes injustes de la guerre. Des questions comme celles-ci sont d'une importance capitale, mais elles relèvent de la morale et de la théologie et sont aussi peu à leur place dans un traité de droit international que le serait une discussion sur la moralité du mariage dans un livre de droit sur l'état des personnes.

§ 136

procédés

à faire céder

un État par l'emploi de la force sans recourir

à la guerre ouverte.

La guerre doit être distinguée de certains procédés d'emploi Les repréde la force qui sont considérés comme n'étant pas incom- sales ou les patibles avec le maintien des relations pacifiques entre les tendant Puissances en litige, bien que cette distinction soit fondée sur l'intention des parties plutôt que sur le caractère des actes accomplis. En ce qui concerne la Puissance contre laquelle on a recours à ces actes, ils sont exactement les mêmes que ceux auxquels on aurait recours en cas d'opérations de guerre. Mais les deux parties en litige ne se considèrent nullement comme belligérantes et n'imposent pas aux autres États les charges et les incapacités de la neutralité. Les diplomates, des deux côtés, continuent leur œuvre, les noncombattants ne sont pas obligés de suspendre leurs relations commerciales dans les parages situés en dehors de la zone des procédés de contrainte, et les effets légaux de l'état de paix continuent d'exister. Les moyens de soumettre à sa volonté un État dont on a à se plaindre, et ce par la violence, mais en marge encore de la guerre, peuvent être appelés du nom général de représailles.

Le terme est employé dans une variété infinie de sens. Dans certains cas il ne signifie rien moins que le recours à la lex talionis en temps de guerre. Le commandant qui fait emprisonner le maire d'une ville occupée pour venger le 1 De Iure Belli ac Pacis, liv. I, ch. ii, et liv. II, ch. i, xx-xxvi.

meurtre d'une sentinelle par des habitants inconnus recourt à un acte de représailles; mais c'est là un incident de la guerre, non un acte tendant à faire plier un État coupable, par l'emploi de la force, sans en arriver à la guerre. De même, nous entendons parler parfois de représailles négatives ou de rétorsion; mais celles-ci n'impliquent aucun acte de violence. Elles consistent à adopter vis-à-vis d'un État qui agit d'une façon non amicale, bien que pacifique, une ligne de conduite. semblable à celle qui lui est reprochée. Elles n'ont aucun rapport avec la violence ou la guerre. Elles se produisent, par exemple, lorsque des droits différentiels sont perçus par un État sur les produits d'un autre qui a, dans son tarif, introduit une discrimination au préjudice du premier, ou lorsqu'un État suspend les paiements qu'il devait faire à un autre, tant que le préjudice que ce dernier lui a causé n'est pas réparé. Les anciens publicistes mentionnent même un autre genre de représailles. Ils décrivent, sous le nom de représailles spéciales, un procédé fréquemment employé au moyen âge et parfois à l'époque suivante pour la réparation de dommages et de pertes causés à des particuliers par les sujets d'une autre nation. Des lettres de marque étaient délivrées par le souverain à ceux qui avaient été lésés, lesquels étaient, par elles, autorisés à se venger en capturant les navires et les cargaisons de la nationalité coupable. Et, même après que cette légitimation de la guerre privée eut été tenue pour cruelle et indigne, un État envoyait encore, à l'occasion, quelques-uns de ses navires de guerre avec la mission de capturer les navires privés d'un autre État, en nombre suffisant pour rembourser ses sujets des pertes par eux subies. Olivier Cromwell, par exemple, fit obtenir réparation, par ce procédé, à un marchand quaker dont le navire avait été illégalement saisi et confisqué par les Français. Il envoya le plaignant au Cardinal Mazarin, muni d'une demande de restitution. Et comme sa requête restait sans effet, deux navires de guerre anglais furent chargés de saisir des navires de commerce français dans la Manche.

« PreviousContinue »