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Le quaker fut indemnisé sur la vente des prises et le solde fut remis à l'ambassadeur de France. Mais le développement de la notion moderne de la responsabilité de l'État, et l'accroissement de pouvoirs des gouvernements, ont fait tomber en désuétude ces représailles spéciales. L'individu lésé se verrait répondre par ses gouvernants qu'ils sauront, par leurs efforts, lui obtenir réparation de la part de la nation dont relève le coupable. Une correspondance diplomatique s'ensuivrait, et, si la plainte était reconnue bien fondée, une réparation, suivant toute probabilité, serait accordée. Mais ce serait là l'objet de rapports entre les deux États et les particuliers intéressés dans l'affaire pourraient tout au plus communiquer chacun avec son gouvernement respectif. Le seul genre de représailles impliquant la violence, que connaisse le droit international moderne, consiste dans ce qu'on a appelé, pour les distinguer, représailles générales. Elles se produisent lorsqu'un État, s'estimant lésé, se livre à des opérations d'hostilité sans avoir l'intention de faire la guerre. Il peut exercer une pression sur l'État coupable en saisissant ou en détruisant les biens, en occupant le territoire ou en s'emparant de villes ou de navires; et à moins que la Puissance qui est l'objet d'un ou de plusieurs de ces actes ne riposte en déclarant la guerre, le droit international considère que ces faits ne constituent pas, à proprement parler, une guerre, mais seulement des représailles. Un exemple frappant nous en est donné par les mesures d'hostilité de la France vis-à-vis de la Chine en 1884 et 1885. Le Gouvernement français s'estimait lésé par la présence continuelle de bandes chinoises parmi les populations du Tonkin qu'il était en train de soumettre; cependant il ne voulait pas recourir à la mesure extrême d'une guerre régulière avec la Chine. Il adopta donc ce que le Premier Ministre français, M. Jules Ferry, définit une politique de destruction intelligente. Une flotte française bombarda l'arsenal de Fou-Tchéou et prit possession de certains points 1 Phillimore, Commentaries, IXe partie, ch. ii.

L'embargo.

de l'île chinoise de Formose; les négociations n'en continuaient pas moins, pendant ce temps, avec la Chine, les envoyés diplomatiques ne furent pas rappelés, et l'on ne considéra point qu'il y eût état de guerre entre les deux pays.1 D'autres exemples récents nous sont fournis par la saisie de la douane de Mytilène par la France en 1901, et derechef, en 1905, par une escadre internationale, le but poursuivi étant, dans les deux cas, d'exercer une pression sur la Turquie. Un autre cas se présenta en 1908 lorsque les Hollandais capturèrent deux navires gardes-côtes du Vénézuéla en vue d'amener la cessation des différents griefs dont ils avaient vainement tenté d'obtenir réparation par les moyens diplomatiques. Nous voyons par ces exemples que les actes internationaux de violence, compris sous le nom de représailles, sont aussi variés que nombreux. La différence capitale qui les sépare de la guerre, c'est qu'ils ne rompent point les relations diplomatiques, qu'ils n'abrogent point les traités et qu'ils sont limités dans leur étendue, et, en général, localisés dans leurs applications. Deux de leurs variétés sont assez importantes pour exiger une étude particulière.

§ 137

Le premier de ces cas particuliers est

L'Embargo,

ou, d'une façon plus précise, l'embargo hostile. L'embargo pur et simple n'est rien de plus que la détention de navires dans un port; il peut être à bon droit déclaré par un État sur ses propres navires: en 1807 les États-Unis empêchèrent, par un acte de leur Gouvernement, et pour les soustraire aux attaques violentes des croiseurs anglais et français, les navireș de commerce américains neutres de quitter les ports américains. Cette espèce de détention se nomme embargo paci

1 Annual Register, 1884, pp. 280, 281, 369–376; ibid., 1885, pp. 206, 214, 330-335.

2 Moore, International Law Digest, vol. vii, p. 143.

fique, et n'a pas de rapport avec les mesures prises pour obtenir réparation de dommages causés. Mais lorsque les navires de commerce d'un État dont un autre croit avoir à se plaindre sont retenus dans les ports de l'État qui s'estime lésé, on a un exemple de ces mesures : c'est l'embargo hostile. Les effets légaux de l'embargo hostile ont été exposés par Lord Stowell dans un lumineux jugement de l'affaire, qui prit naissance en 1803, du Boedes Lust. Après la rupture de la Paix d'Amiens, la Grande-Bretagne avait de bonnes raisons de penser que la Hollande n'attendait qu'une occasion pour s'unir à la France contre elle. L'embargo fut donc mis sur tous les navires hollandais dans les ports britanniques, en vue d'amener la Hollande à renoncer à son alliance avec Napoléon. L'effet en fut tout opposé. La guerre éclata et la question de l'effet légal des saisies faites à l'origine vint devant le tribunal des prises. Lord Stowell établit que l'embargo hostile est à l'origine équivoque dans ses apparences légales et que son véritable caractère ne peut être déterminé qu'en vertu des évènements subséquents. Si la guerre éclate, c'est avec un effet rétroactif qui transforme la saisie en capture de guerre. Si la satisfaction est obtenue et l'amitié rétablie entre les deux Puissances, la saisie originaire n'équivaut tout au plus qu'à une séquestration temporaire, sans aucune atteinte au droit de propriété. Dans la seconde moitié du dix-huitième siècle et au cours des premières années du dix-neuvième on eut souvent recours à l'embargo en prévision des hostilités. Si un État constatait dans ses ports la présence' d'un nombre considérable de navires appartenant à un adversaire probable, il était porté à saisir l'occasion et à mettre la main sur eux avant la déclaration des hostilités. Mais le développement des intérêts du commerce et un sens plus moderne de la justice firent interrompre cette pratique; dans les temps modernes les belligérants sont allés plus loin et se sont abstenus de capturer les navires de commerce ennemis qui 1 C. Robinson, Admiralty Reports, vol. v, pp. 244–251.

Blocus pacifique.

se trouvaient dans leurs ports au début des hostilités, leur donnant au contraire un certain délai pour repartir sans être inquiétés. Le droit de confiscation subsistait, mais, par tolérance, il n'était pas appliqué. Il fut cependant supprimé par la sixième Convention de la Conférence de La Haye de 1907, qui lui substitua des mesures moins onéreuses, sauf dans le cas de navires de commerce construits de manière à pouvoir être aisément transformés en navires de guerre. Les navires de ce genre peuvent encore maintenant être immédiatement confisqués lorsque, appartenant à un belligérant, ils ont le malheur de se trouver dans un port de l'adversaire au moment de l'ouverture des hostilités.

§ 138

La deuxième catégorie de représailles qui doit retenir notre attention est la pratique appelée

Blocus pacifique.

Il a lieu lorsqu'une Puissance qui se considère comme lésée établit le blocus d'un port ou des ports de l'État qu'elle estime coupable, sans transformer en même temps en relations hostiles les rapports qu'elle continue d'avoir avec cet État. Le premier exemple s'en est présenté en 1827 lorsque la Grande-Bretagne, la France et la Russie bloquèrent les côtes de la Grèce afin de couper les vivres aux forces turques qui opéraient sur le territoire hellénique et d'amener ainsi la Turquie, avec qui ces Puissances restaient en paix, à accepter leur médiation dans la guerre qu'elle avait entreprise contre ses sujets grecs révoltés. Depuis lors, on a eu recours, à différentes reprises, au blocus pacifique, comme mode d'exercer une pression sur des États avec lesquels on ne jugeait pas nécessaire ou désirable d'entamer des hostilités régulières. Au début la nouvelle pratique fut de nature plutôt empirique ; mais lorsqu'elle se fut fortifiée jusqu'à former une coutume 1 Cf. IVe partie, ch. v.

2 Holland, Studies in International Law, pp. 136, 137.

internationale une divergence se manifesta entre les vues de la Grande-Bretagne et celles de la France. La première estimait que la Puissance qui établit un blocus pacifique n'acquiert pas par là le droit d'arrêter la navigation des États qui ne sont pas impliqués dans le conflit, et, quant aux navires de l'adversaire, que son droit ne comprend pas la confiscation, mais simplement le séquestre. La seconde soutenait que l'État bloquant était libre de capturer et de confisquer non seulement les navires de l'État bloqué, mais ceux des tierces Puissances, s'ils tentaient de franchir les lignes du blocus. Cette divergence se manifesta particulièrement en 1884, lorsque la France établit ce qu'elle considéra comme un blocus pacifique sur une partie de la côte de Formose, à l'occasion de ses opérations contre la Chine pour amener celle-ci à résipiscence sans recourir à une guerre proprement dite. Mais lorsqu'elle prétendit avoir le droit de capturer les navires de tierces Puissances la GrandeBretagne protesta. Le Gouvernement français déclara que ses navires de guerre n'exerceraient pas le droit de visite et le droit de capture en haute mer, mais qu'ils saisiraient tout navire de commerce, chinois ou autre, qui tenterait de pénétrer dans les ports bloqués; et le Comte Granville, qui était alors Secrétaire aux Affaires étrangères, répondit que, dans ce cas, la Grande-Bretagne, obligée de reconnaître que l'état de guerre existait entre la France et la Chine, devrait mettre en vigueur son règlement sur la neutralité dans ses ports de Singapour et de Hong-Kong. En conséquence la France invoqua et exerça ses droits complets de belligérant vis-à-vis des neutres; mais l'affaire s'arrangea presque aussitôt par le rétablissement des relations pacifiques normales avec la Chine.1 Les évènements suivirent à peu près le même cours en 1893 lorsque la France prétendit arrêter les navires de commerce britanniques, en vertu du blocus pacifique qu'elle établit à l'embouchure du Ménam afin d'amener

1 British Parliamentary Papers, France, No. 1 (1885), pp. 1–13; Livre jaune, Affaires de Chine (1885), pp. 1-15.

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