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le Siam à céder. Pendant quelque temps l'affaire fut très sérieuse; la satisfaction accordée par le Gouvernement siamois aux demandes de la France mit fin à l'incident.

Dans l'intervalle l'opinion publique et la pratique se rangeaient du côté de la doctrine la moins sévère. En 1886 les Grandes Puissances, sauf la France, établirent un blocus pacifique des côtes grecques, dans le but d'empêcher la Grèce de déclarer la guerre à la Turquie et de déterminer ainsi un grave conflit européen. Les flottes alliées s'abstinrent d'inquiéter les navires des Puissances étrangères au litige. Elles avaient l'ordre de retenir tout navire de pavillon hellénique qui tenterait de forcer le blocus, mais il était ajouté que même les navires grecs ne seraient point saisis lorsqu'une partie de leur cargaison appartiendrait à des sujets d'un État autre que la Grèce ou les Puissances bloquantes, si cette cargaison avait été chargée avant toute notification du blocus, ou même après notification, mais en vertu d'un contrat passé avant ladite notification. Le blocus fut levé quelques semaines plus tard à la suite des assurances pacifiques données par un nouveau ministère et du commencement de désarmement de la Grèce; et, tant qu'il dura, aucune protestation ne s'éleva de la part d'États qui y étaient étrangers.1 L'année suivante, l'Institut de droit international décida, à Heidelberg, que le blocus pacifique était légal à condition d'être effectif et dûment notifié, s'il ne s'appliquait pas aux navires couverts par un pavillon étranger et n'entraînait pour les navires saisis rien de plus que leur détention pendant toute sa durée, avec relaxe sans indemnité au moment de sa levée.2

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Les années qui suivirent suscitèrent les deux cas anormaux du blocus de Zanzibar et de la Crète. Les opérations qui eurent lieu à cette occasion sont rangées habituellement

1 British Parliamentary Papers, Greece, No. 4 (1886), p. 14.

2 Annuaire de l'Institut de Droit international, 1887–1888, pp. 300, 301. 3 Holland, Studies in International Law, pp. 139, 140, 146-150; Moore, International Law Digest, vol. vii, pp. 138-140.

sous le nom de blocus pacifique, mais mériteraient mieux le titre de mesures de police internationale où quelque moyen analogue au blocus occuperait la première place. Dans les deux cas le souverain local donna son assentiment à l'opération, tandis que les blocus pacifiques ordinaires ressemblent au blocus de guerre en ce qu'ils sont entrepris contre sa volonté et pour exercer sur lui une pression. Dans l'affaire de Zanzibar en 1888 et 1889 les Puissances occidentales exercèrent une pression sur les insurgés et les marchands d'esclaves. Dans l'affaire de Crète de 1897 les Grands États européens exercèrent leur pression sur la Grèce qui voulait s'emparer de cette île, et sur les patriotes crétois qui voulaient la soustraire au joug turc afin de la réunir au royaume de Grèce. Les Puissances empêchèrent aussi le Sultan de tenter de réprimer cette insurrection. Dans aucun de ces cas on n'appliqua, dans leur intégralité, les règles ordinaires du blocus, soit pacifique, soit de guerre. Dans les deux cas certains navires furent autorisés à passer, d'autres furent arrêtés. Dans le cas de la Crète, tous les navires grecs furent saisis, mais les navires des autres nations, y compris ceux des six Puissances bloquantes, furent autorisés à entrer et à débarquer leurs marchandises, si celles-ci n'étaient point destinées aux troupes grecques, ni à l'intérieur de l'île. Les bloquants trouvèrent ainsi moyen de violer le plus ingénument du monde les règles du blocus, sous quelque dénomination qu'ils prétendissent ranger leurs opérations. Si c'était un blocus de guerre, ils n'avaient pas le droit de faire des distinctions entre les navires des différentes nations, ou entre navires occupés à tel ou tel genre de commerce légitime, mais ils étaient tenus de les exclure tous également. Si on se trouvait en présence d'un blocus pacifique, conformément à l'opinion qui avait généralement prévalu, ils n'avaient pas le droit d'arrêter les navires de Puissances étrangères au conflit; et même, s'ils pouvaient agir ainsi en appliquant la doctrine française, ils ne devaient certainement pas laisser passer sous certaines conditions leurs navires nationaux, tout en excluant

rigoureusement les navires grecs. Ces mesures peuvent s'être bien adaptées aux circonstances spéciales auxquelles les Puissances avaient à faire face; mais il n'y avait assurément point là de blocus pacifique au sens où l'on admettait jusque-là ce terme. Même observation au regard du blocus institué en avril 1913, contre le Monténégro, par les Grandes Puissances d'Europe, à l'exception de la Russie.

Laissant de côté ces cas anormaux, nous arrivons maintenant au blocus des ports du Vénézuéla par la GrandeBretagne et l'Allemagne au cours de l'hiver de 1902-1903, dans le but d'obtenir le règlement de réclamations pécuniaires. Comme on n'avait nullement l'intention d'envahir le pays ou de saisir la moindre portion de son territoire, l'Allemagne au début était disposée à recourir à un blocus. pacifique, mais elle finit par se rendre aux vues de l'Angleterre et établit l'état de guerre avec le Vénézuéla, bien qu'aucune déclaration formelle de guerre ne fût cependant faite. La raison en était que les deux Puissances désiraient pouvoir interrompre le commerce de neutres et savaient qu'elles ne le pourraient faire légalement qu'à condition d'avoir la qualité de belligérantes. En ce qui concerne l'Allemagne, les États-Unis lui firent savoir qu'ils n'admettraient aucune extension de la doctrine du blocus pacifique qui pourrait compromettre les droits des États non-parties au conflit'. Cet avertissement contribua à modifier son point de vue. Le 20 décembre 1902 fut publiée la notification d'un véritable blocus de guerre ; et les opérations contre le Vénézuéla furent indiscutablement une guerre, quoique restreinte.1 Elles se terminèrent par un arrangement formel de février 1903. L'étude diplomatique de la question montre clairement que la notion de blocus pacifique adoptée par l'Institut de droit international est celle qui prévaut. Elle est admise aujourd'hui par presque tous les jurisconsultes du monde civilisé; et nous sommes en droit d'espérer qu'elle recevra sa consécration par l'accord unanime des Puissances à la prochaine

1 Moore, International Law Digest, vol. vii, pp. 140, 141.

Conférence de La Haye. C'est la seule qui soit conséquente avec les vrais principes, puisque aucune Puissance n'a le droit d'empêcher des navires de nationalité étrangère de commercer en temps de paix avec les ports qui leur sont ouverts par le souverain local. Mais du moment qu'aucun autre commerce que celui du bloquant et celui du bloqué n'est lésé, il est impossible de dire qu'il y ait là une violation du droit international. Les parties directement en cause doivent être libres d'arranger l'affaire à leur guise tant qu'elles n'empiètent pas sur les droits de ceux qui sont étrangers au litige. La question de savoir si les navires saisis par le bloquant doivent être confisqués ou simplement mis sous séquestre est relativement peu importante tant qu'il s'agit de la saisie de navires appartenant à l'État bloqué. On pourrait très bien laisser le soin de la trancher au gouvernement qui établit le blocus. Leur sort varierait très probablement avec les circonstances de l'affaire. Si la réclamation porte sur une demande pécuniaire, il y a un moyen naturel et normal d'obtenir satisfaction: c'est la confiscation de navires en nombre suffisant pour atteindre la somme réclamée, à condition toutefois que la marine marchande de l'État accusé d'un tort offre des prises de valeur suffisante.

§ 139

conditions

La Puissance contre laquelle les diverses représailles sont Valeur et opérées peut, à sa guise, recourir en retour à la guerre: il des repréest certain que tout État puissant et digne agira ainsi. Le sailles. respect de soi-même lui interdira de céder à une pression violente et coercitive, bien qu'il eût été prêt à régler la question, après négociation, par quelque concession acceptable. Mais dans le cas où une nation puissante, ou un groupe de nations, se trouve dans l'obligation de recourir en fait à des mesures de police contre des puissances faibles mais récalcitrantes, l'un ou l'autre des moyens que nous venons d'étudier peut être avantageusement substitué

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à la guerre. Ils sont moins destructifs et plus limités dans leur application. Il est vrai qu'ils peuvent être utilisés pour infliger un dommage à de petits États et les forcer à se soumettre à des exigences déraisonnables. Mais la guerre pourrait être tout aussi injuste, et provoquerait à coup sûr de plus grandes souffrances. Il n'y a aucune raison, semblet-il, pour tenter de bannir du droit international la sanction de ces actes anormaux qui ne sont, en définitive, ni complètement hostiles, ni totalement pacifiques. Ce que l'on devrait faire, ce serait de créer dans le public un fort sentiment opposé à leur emploi dans le cas de provocation légère, ou de motifs manifestement injustes. Bien plus, il est nécessaire de se mettre en garde contre un nouveau péril résultant de la décision de la dernière Conférence de La Haye, à savoir qu'une déclaration de guerre formelle doit précéder le commencement des hostilités.1 Cette règle ne s'applique naturellement pas aux mesures qui ne constituent pas une guerre, bien que, comme la guerre, elles entraînent des actes de violence. Par conséquent les nations puissantes peuvent être tentées d'échapper à cette nouvelle obligation en attaquant soudainement des États plus faibles sous le couvert de représailles. Le Professeur Westlake propose d'écarter ce danger en posant la règle qu'aucun mode de représailles ne sera employé contre un État à moins qu'il n'ait refusé ou négligé d'accepter l'arbitrage qui lui sera offert, ou, ayant accepté cette offre, empêché la conclusion du compromis, ou, l'arbitrage ayant eu lieu, refusé d'exécuter la sentence'. Il propose que la prochaine Conférence de La Haye vote une disposition dans ce sens, et indique qu'elle ne ferait, par là, que se conformer au précédent créé par la dernière Conférence en ce qui concerne les modes d'emploi de la force pour le recouvrement de dettes contractuelles réclamé par le gouvernement d'un État comme dues à ses sujets par le gouvernement d'un autre.2 Ce projet paraît réalisable et nous souhaitons que son éminent auteur puisse dans quelques années se féliciter de son adoption. 1 V. § 140. 2 Law Quarterly Review, avril 1909, p. 136.

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