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navires de commerce neutres, devient un acte défendu et une violence illégale dans le cas contraire; et l'on peut dire que, puisque la reconnaissance comme belligérants décharge la mère patrie de la responsabilité des actes des croiseurs insurgés, et l'autorise à traiter les navires de la Puissance auteur de la reconnaissance comme les belligérants traitent les navires neutres, cette reconnaissance est presque aussi favorable à la mère patrie qu'aux populations révoltées contre elle. Tous ces points firent l'objet de discussions approfondies au cours de la controverse qui s'éleva entre la GrandeBretagne et les États-Unis du fait de la reconnaissance par la première de la qualité de belligérant, au printemps de 1861, à la Confédération du Sud. Il est admis maintenant d'une façon générale que la conduite du Gouvernement britannique était parfaitement légitime et que la reconnaissance n'était ni inopportune ni prématurée; de graves intérêts commerciaux étaient en jeu et le Président Lincoln avait proclamé le blocus des ports du Sud trois semaines avant la publication de la proclamation de la reine Victoria.1

§ 142

Dans ces derniers temps la question s'est posée de savoir Reconnaiss'il n'y aurait pas intérêt à reconnaître un état de fait tenant sance de la qualité de la belligérance proprement dite et de la violence illégale d'insurgés. et interdite. Supposons, par exemple, une flotte en révolte, mais qui n'est soutenue par aucun port ni aucune province, dont les navires accomplissent tous les actes d'une guerre ordinaire sans chercher le moins du monde à arborer le pavillon noir et à porter atteinte au commerce maritime des autres nations. On ne pourra les considérer comme de véritables belligérants, car belligérance et territoire sont inséparablement liés. D'un autre côté on ne pourra pas davantage les classer comme écumeurs de mer dénationalisés, pouvant être attaqués et détruits par les navires de guerre de tous les États, car leurs opérations ont un but politique

1 Moore, International Law Digest, vol. i, pp. 184–193.

et se limitent aux hostilités qu'ils dirigent contre le gouvernement qu'ils cherchent à renverser. Il ne saurait être question ici de reconnaître leur indépendance. On ne peut d'autre part leur reconnaître la qualité de belligérants sans leur donner le droit d'exercer sur les navires de commerce de la nation qui les aura ainsi reconnus toutes les rigueurs que les États en guerre sont en droit d'infliger aux navires

des neutres. Le bon sens et l'humanité condamnent l'idée de les traiter comme des pirates. La seule attitude, qui reste, est de s'abstenir de toute intervention dans la lutte soutenue par eux contre les forces fidèles de leur mère patrie tant qu'ils ne porteront pas atteinte aux sujets et aux biens des autres États. On ne peut leur reconnaître le droit de visite à bord des navires quasi-neutres, ou de bloquer à leur détriment les ports de la mère patrie, ou encore de les capturer comme coupables de contrebande ou d'engagement dans un service non-neutre. Ils ne pourront pas davantage bombarder certains quartiers des ports de leur mère patrie habités en grande partie par des sujets d'autres nations, ou contenant en grande majorité des biens appartenant auxdites personnes. A tout autre égard leurs opérations devront être laissées libres et considérées comme des actes de guerre réguliers. Ces cas seront rares, mais ils ne sont pas sans exemple. Il en est deux, d'une importance considérable, qui se produisirent à une époque encore récente. En 1891 l'insurrection du parti congressiste chilien, qui devait finalement renverser le Président Balmaceda, débuta par une révolte de la flotte, et il se passa un certain temps, d'ailleurs assez court, avant que l'armée de terre et les provinces se joignissent au mouvement. De même, en 1893, la flotte brésilienne se révolta, et occupa pendant sept mois le port de Rio de Janeiro, jusqu'au jour où, en mars 1894, elle se rendit à son gouvernement. Dans ces deux cas les États étrangers firent preuve d'une certaine tendance à reconnaître aux insurgés la situation que nous venons d'indiquer, bien qu'ils

aient fait certaines réserves et indiqué certaines restrictions montrant bien que leurs gouvernements n'avaient pas approfondi clairement les conséquences juridiques des principes qu'ils avaient adoptés.1 La chute de Balmaceda au Chili et le triomphe du gouvernement républicain au Brésil vinrent mettre fin à toutes ces difficultés. Par la suite, l'étude de ces deux cas et de quelques autres par les jurisconsultes des divers pays a contribué à créer un fort mouvement d'opinion en faveur de l'attitude que nous venons de recommander aux États étrangers au conflit.

Les principes ainsi posés ne se limitent nullement dans leur application aux cas où le mouvement insurrectionnel n'est soutenu par aucune partie du territoire. Ils s'appliquent tout aussi bien à tout genre de révolte ou de guerre civile pour lesquelles il est impossible de considérer les insurgés comme des belligérants, soit en raison de leur importance restreinte, soit en raison de leur manque d'organisation ou de ressources, soit enfin s'il y a absence complète de points de contact entre eux et le monde extérieur. Du moment qu'ils poursuivent un but politique par des moyens qu'admet le droit de la guerre, ils ne peuvent être traités par les Puissances étrangères comme des hors-la-loi, si grand que soit le désir des autorités contre lesquelles ils luttent de les voir ainsi qualifiés. A notre époque les États civilisés leur ont réservé en pratique une place distincte de celle de bandits ou de pirates d'une part, et de celle de belligérants réguliers de l'autre. Cette situation commence à être maintenant définie d'une façon juridique dans le sens où nous avons essayé de la déterminer. On l'a appelée l'insurgence et les choses seraient bien simplifiées si la reconnaissance officielle de son existence portait le nom distinctif d'insurgence.2

1 Lawrence, Recognition of Belligerency considered in relation to Naval Warfare, pp. 10-18, un article du Journal of the Royal United Service Institution, de janvier 1897; Moore, International Law Digest, vol. i, pp. 201-205; vol. ii, pp. 1107-1120.

2 G. G. Wilson, Insurgency, pp. 13–17.

Effets juridiques immédiats de l'ouver

ture de la guerre.

§ 143

La guerre, en éclatant, entraîne ipso facto un changement important dans les rapports légaux des sujets des États belligérants. Les relations diplomatiques cessent, s'ils n'avaient pas déjà pris fin; et les consuls ne peuvent plus dès lors exercer leurs attributions. Les forces armées des deux adversaires sont aussitôt autorisées à engager des hostilités actives, conformément aux lois de la guerre ; et les droits des particuliers en ce qui concerne leurs rapports ordinaires avec les sujets de l'ennemi se voient immédiatement restreints. Ils ne doivent souscrire à aucun contrat qui serait désavantageux pour leur propre parti. Ils ne doivent procurer ni assistance ni utilité à l'ennemi. Ils ne peuvent souscrire aux emprunts d'État émis ou garantis par le gouvernement ennemi pendant la durée de la guerre. Ils seraient coupables de traîtrise s'ils venaient à lui donner des renseignements sur les plans de campagne · et les opérations de leurs propres forces. Dans une très large mesure, par conséquent, les sujets d'États ennemis sont ennemis entre eux, bien que de nombreuses atténuations soient venues amortir la sévérité de l'ancienne doctrine que la guerre légitimait n'importe quel acte de violence entre tous les membres des pays hostiles. Les non-combattants sont soustraits à la plupart des rigueurs de la guerre ; mais ils ne sont pas libres d'agir comme si la guerre n'existait pas.

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En ce qui concerne les rapports commerciaux, il y a deux opinions en présence. La plus ancienne fut fixée par Sir William Scott dans l'affaire du Hoop.1 Il déclara que 'c'était un principe universel de droit' que tout commerce avec l'ennemi public, sauf l'expresse permission du souverain, était interdit'. I attirait ensuite l'attention sur ce fait que le droit anglais appliquait avec une grande vigueur un principe que l'on retrouvait dans le droit de 1 C. Robinson, Admiralty Reports, vol. i, pp. 196–220.

presque chaque État, à savoir: que le caractère de l'étranger ennemi entraîne par lui-même l'incapacité d'ester en justice, pour employer le langage du droit privé, comme une persona standi in iudicio. Il tirait de là un nouvel argument en faveur du principe que tout commerce avec l'ennemi est illégal; car si les parties au contrat n'ont pas le droit de réclamer l'exécution dudit contrat, ni même d'ester en justice dans ce but, y a-t-il une preuve plus décisive que le droit impose une incapacité légale de contracter?' Cette opinion fut adoptée et développée par les Cours des ÉtatsUnis, et elle semble avoir été reconnue presque généralement sur le continent pendant un temps assez long. D'après Despagnet1 elle fut en vigueur en France jusqu'en 1870; mais à cette époque une doctrine nouvelle et moins sévère a obtenu un succès considérable auprès des juristes, surtout en Allemagne. Pour la résumer en quelques mots, elle soutient que puisque la guerre n'engage plus dans une hostilité active les populations des deux nations adverses, on doit leur permettre d'échanger des rapports commerciaux, sous réserve des nécessités de la défense nationale qui pourraient justifier leur suspension. Cette opinion remporta un succès éclatant à la Conférence de La Haye de 1907, où l'Allemagne réussit à faire introduire une addition à la prohibition de l'article 23 des Dispositions concernant les Lois et Coutumes de la Guerre sur terre. Elle se trouve à la section (h) et s'exprime ainsi dans la version officielle française: De déclarer éteints, suspendus, ou non recevables en justice, les droits et actions des nationaux de la partie adverse.' La traduction adoptée finalement par le ministère des Affaires étrangères de la Grande-Bretagne, dans le Livre Bleu publié en juillet 1908, reproduit ainsi cette section : 'De déclarer abolis, suspendus ou non recevables le droit des sujets de l'ennemi à ester en justice'. D'autres versions

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2 Cf. Westlake, International Law, vol. ii, p. 45.

3 British Parliamentary Papers, Miscellaneous, No. 6 (1908), p. 55.

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