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de Lord Stowell. Il s'agissait d'un navire de commerce américain qu'un croiseur anglais avait capturé au cours de la guerre franco-anglaise de la fin du XVIIIe siècle, sous prétexte que sa cargaison se composait de marchandises ennemies. Les associés d'une maison de commerce des ÉtatsUnis en revendiquèrent une partie comme leur appartenant et comme constituant, dès lors, une propriété neutre. La restitution de ce qui appartenait à des propriétaires résidant aux États-Unis fut ordonnée. Mais, en 1800, Lord Stowell repoussa la demande d'un autre des associés, M. G. W. Murray, pour ce motif qu'il résidait en France, c'est-à-dire en pays ennemi. Murray s'était rendu des ÉtatsUnis en France pour veiller aux intérêts qu'y possédait la maison de commerce, mais son séjour en France avait duré quatre ans, et, quoiqu'il fût clair qu'il avait l'intention de retourner en Amérique, où étaient restés sa femme et son enfant, on avait la preuve qu'il comptait revenir ensuite en Europe. Tels étant les faits, Lord Stowell jugea 'qu'un but déterminé peut attirer un homme dans un pays où il sera retenu sa vie durant, et que, à l'encontre d'une résidence aussi prolongée, on ne peut faire prévaloir le caractère spécial du but original du voyage'. Il ajoutait: A supposer qu'un homme s'établisse chez un belligérant avant les hostilités ou à leur début, il est assurément raisonnable de ne pas lui attribuer trop vite une nationalité arbitraire, mais s'il reste chez ce belligérant pendant une grande partie de la guerre, contribuant à sa puissance par les impôts qu'il lui paie et par les diverses formes de son activité, comment invoquerait-il le caractère spécial de son but pour échapper à l'effet légal des hostilités ?'1 Ces espèces montrent bien que le temps et l'intention sont les deux éléments essentiels qui fixent le domicile.

Dans le cas d'un domicile acquis, la nationalité d'origine se recouvre du reste facilement. Pour cela, il suffit que la

1 C. Robinson, Admiralty Reports, vol. ii, pp. 324, 325; Scott, Cases on International Law, pp. 585–588.

terre.

personne domiciliée à l'étranger se remette en route pour sa patrie primitive avec l'intention de s'y fixer à nouveau. C'est ainsi qu'en 1800 Lord Stowell restitua ses biens à M. Johnson, citoyen des États-Unis domicilié en AngleCes biens avaient été capturés comme ayant fait l'objet d'un trafic interdit aux sujets anglais, mais permis aux citoyens américains. La preuve ayant été faite que M. Johnson avait, au moment de la capture, quitté l'Angleterre et qu'il était en route pour les ÉtatsUnis, avec l'intention d'y rester, Lord Stowell jugea qu'il avait perdu son domicile d'élection et repris son domicile d'origine Le caractère ennemi, dit le juge, que confère la résidence, cesse avec celle-ci. C'est un caractère adventice que l'individu dépouille dès l'instant où il se met de bonne foi en route pour quitter le pays sans esprit de retour."

Ces principes des tribunaux de prises anglais furent délibérément adoptés par la Cour suprême des États-Unis dans l'affaire de la Vénus, qui surgit au cours de la guerre anglo-américaine de 1812-1814. Ils constituent un patrimoine juridique commun aux deux grandes Puissances de langue anglaise, quoique la plupart des nations européennes repoussent la théorie du domicile qui leur sert de base.

§ 155

caractère

mesure le ennemi est les biens. priété de

acquis par

Nous avons maintenant à examiner comment le caractère Dans quelle ennemi peut être acquis par les biens. Dans une certaine mesure ce sujet a déjà été traité incidemment à propos des personnes; mais nous allons voir qu'il comporte des observations distinctes, et qu'on peut établir une classification des diverses formes de la propriété que peut entacher le

1 C. Robinson, Admiralty Reports, vol. iii, pp. 20, 21; Scott, Cases on International Law, pp. 588-591.

2 Cranch, Reports of United States Supreme Court, vol. viii, pp. 253–317; Scott, Cases on International Law, pp. 591-597.

De la pro

I'Etat

ennemi.

Propriété
des sujets de
l'ennemi.

caractère ennemi. La propriété ennemie comprend, en premier lieu :

La Propriété de l'Etat ennemi.

Des objets tels que les vaisseaux de guerre de l'ennemi, ses canons et ses munitions, ont un caractère essentiellement hostile et peuvent être saisis partout où les opérations militaires sont elles-mêmes légales. Mais, comme nous le verrons plus loin,1 il y a d'autres formes de la propriété de l'État ennemi qui échappent totalement ou partiellement à la confiscation.

Vient ensuite

§ 156

La Propriété des sujets de l'Etat ennemi.

Il faut nous rappeler toutefois que si cette propriété se rattache à un domicile neutre qu'aurait acquis son propriétaire, elle est réputée neutre par ceux qui s'attachent au critérium du domicile et qu'elle échappe, dès lors, au risque de saisie. Sur terre, la propriété des sujets de l'État ennemi est, en principe, exempte de capture, mais c'est une règle qui comporte de nombreuses exceptions.2

En ce qui concerne la propriété sur mer, il arrive souvent que les propriétaires ennemis de navires ayant le droit. d'arborer le pavillon ennemi essaient, au début des hostilités, et même parfois par anticipation, de transférer leurs navires à des neutres afin d'être protégés par le pavillon neutre contre la capture. Ces transferts de pavillon sont quelquefois purement apparents. Les belligérants sont dès lors obligés de prendre des précautions pour la sauvegarde de leurs droits. Les règles établies par les Puissances maritimes dans ce but ont suivi des principes analogues, sans coincider cependant sur tous les points. Le sujet a donc été discuté à la Conférence navale de 1908-1909, en vue d'établir une convention uniforme sur laquelle il a été 2 V. §§ 179, 180.

1 V. §§ 170, 174, 177.

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heureusement possible de s'entendre. On en trouve les termes dans les art. 55 et 56 de la Déclaration de Londres. Une distinction y est faite entre les transferts de pavillon effectués avant ou après l'ouverture des hostilités. Dans ce dernier cas le transfert est nul, à moins qu'on ne prouve qu'il n'a pas été effectué en vue d'éluder les conséquences qu'entraîne le caractère de navire ennemi'. Le droit d'administrer cette preuve est refusé cependant: 'si le transfert a été effectué pendant que le navire est en voyage ou dans un port bloqué', ou 's'il y a faculté de réméré ou de retour', ou 'si les conditions, auxquelles est soumis le droit de pavillon d'après la législation du pavillon arboré, n'ont pas été observées'.

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S'il s'agit d'un transfert effectué avant la déclaration de guerre, on présume que ce transfert est valable, sauf dans le cas où l'acte de transfert ne se trouve pas à bord alors que le navire a perdu la nationalité belligérante moins de soixante jours avant l'ouverture des hostilités'. Si l'acte de transfert est à bord, c'est au capteur qu'incombe la charge d'établir' que le transfert a été effectué en vue d'éluder les conséquences qu'entraîne le caractère de navire ennemi'. Sinon, l'acquéreur neutre doit prouver la sincérité du transfert ou se soumettre à la prise. Si le transfert remonte à plus de trente jours avant l'ouverture des hostilités, il est réputé valable, même s'il a eu pour but d'éviter le risque de capture, à moins que le capteur ne puisse prouver qu'il n'est ni absolu, ni complet, ni conforme à la législation des pays intéressés, et qu'il laisse entre les mêmes mains qu'auparavant le contrôle du navire et le bénéfice de son emploi. 'Si le navire a perdu la nationalité belligérante moins de soixante jours avant l'ouverture des hostilités, et si l'acte de transfert ne se trouve pas à bord, la saisie du navire ne pourra donner lieu à des dommages-intérêts'.1

1 British Parliamentary Papers, Miscellaneous, No. 4 (1909), pp. 58, 59, 87, 88, 99, 100; Higgins, The Hague Peace Conferences, pp. 559, 560, 600–602; Supplement to the American Journal of International Law, vol. iii, pp. 212-214.

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Quant aux cargaisons, la Conférence navale de 1908-1909 a décidé que leur caractère neutre ou ennemi est déterminé par le caractère neutre ou ennemi de leur propriétaire'.1 En temps de paix il est de règle qu'une fois embarquées les marchandises appartiennent au consignataire, sous réserve de toute convention contraire. Mais, en temps de guerre, si le consignataire est un ennemi, aucune convention ne peut le dépouiller de ses droits sur ces marchandises, dès l'instant que celles-ci sont prêtes à naviguer. Si ce consignataire est un neutre, on peut exiger la preuve que c'est bien lui, et non le chargeur ennemi, qui en est réellement propriétaire. Tant que le caractère neutre de la marchandise trouvée à bord d'un navire ennemi n'est pas établi, la marchandise est présumée ennemie '.2

§ 157

Propriétés neutres

La catégorie de biens à considérer ensuite se compose des incorporées Biens appartenant à des neutres, mais incorporés dans le commerce de l'ennemi ou sujets à son contrôle.

dans le

commerce de l'ennemi

ou sujets à son contrôle.

Un navire frêté par l'ennemi ou commandé par un capitaine ennemi, avec un équipage ennemi, serait traité comme propriété ennemie, même s'il appartenait à un neutre, et l'on ferait le même sort à un navire neutre qui naviguerait habituellement sous pavillon ennemi ou qui bénéficierait de privilèges consentis par l'ennemi. Il y a quelque doute sur le sort qu'on ferait à des navires neutres engagés dans un commerce réservé avant la guerre par l'ennemi à ses propres nationaux, mais déclaré libre au cours de la guerre ou en sa prévision. La Grande-Bretagne, en vertu de la règle dite de 1756, a revendiqué le droit de considérer de tels navires comme ennemis, et, à la Conférence navale, elle a donné son appui à une proposition tendant à faire consacrer ce point de vue par la Déclaration de Londres.

1 Déclaration de Londres, art. 58.

2 Ibid., art. 59.

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