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Les deltes publiques.

un pouvoir de séquestration utilisable seulement dans des cas exceptionnels et à l'égard de certains objets. Mais aucun pouvoir de confiscation n'est nécessaire. L'exercice n'en serait d'ailleurs pas toléré aujourd'hui que le capital s'est internationalisé et qu'il y a bien peu de pays où n'habitent de nombreux étrangers. Le droit international pourrait admettre, conditionnellement, le pouvoir de séquestration, mais rien de plus.

Une tentative a été faite, au début du XIXe siècle, par le Banc du Roi pour poser le principe de non-confiscation à l'égard des créances des particuliers et donner ainsi à ces créances une situation privilégiée par rapport aux autres formes de la propriété privée. Cette prétention n'a pas été considérée comme raisonnable, aux yeux de la plupart des auteurs, et elle ne serait pas approuvée aujourd'hui. Mais alors qu'aujourd'hui aucune distinction ne paraît admissible entre les diverses formes de la propriété, la règle si modérée que discuta Lord Ellenborough, qui était alors Chief Justice, dans le cas des dettes de 1817, serait probablement d'une application générale.1 Dans les États qui ont conservé le principe d'après lequel l'ennemi n'a pas le droit d'ester en justice, le recouvrement des dettes est suspendu pendant la guerre, mais peut s'opérer dès la conclusion de la paix. Aux États-Unis la prescription ne court pas, en temps de guerre, contre ceux à qui l'accès de la barre est interdit; mais le droit anglais paraît suivre l'avis opposé.2 Le droit interne indiqué à la fin du précédent paragraphe écarterait toutes ces difficultés.

§ 174

Il y a une forme de propriété personnelle et incorporelle qui est incontestablement exempte de confiscation. Il est hors de doute qu'un usage séculaire, confirmé par le senti

1 Maule et Selwyn, King's Bench Reports, vol. vi, p. 92; Scott, loc. cit., pp. 496-498.

2 Westlake, International Law, IIo partie, p. 49.

ment de l'intérêt personnel, empêche les belligérants de confisquer les droits que possèdent les sujets ennemis sur leur dette publique et les oblige à continuer, pendant la guerre, le service des intérêts de ces emprunts. La question a été discutée à propos du litige que l'emprunt silésien 1 provoqua entre la Grande-Bretagne et la Prusse, au milieu du xvIII® siècle. En 1752 Frédéric le Grand confisqua les fonds dus à des sujets anglais en vertu d'un emprunt garanti par les revenus de la Silésie. L'emprunteur primitif avait été l'empereur Charles VI, mais, quand la Silésie fut cédée en 1742 à la Prusse par Marie-Thérèse, Frédéric, qui lui avait succédé dans ses droits sur les possessions autrichiennes, convint de prendre à sa charge toutes les obligations résultant de cet emprunt. Dix ans plus tard il mit la main sur les sommes dues aux porteurs anglais, à titre de représailles, parce que la Grande-Bretagne avait déclaré de bonne prise des navires marchands prussiens, et dès lors neutres, dans des conditions que les juristes qu'il avait consultés déclaraient illégales. Le Gouvernement anglais repoussa l'argumentation de ces juristes par un magistral rapport officiel, dû principalement à la plume du Solicitor-general Murray qui devint plus tard Lord Mansfield. Ce rapport établissait que la guerre elle-même n'avait pas été faite dans le but d'appuyer des contestations concernant la dette publique, et qu'une offense bien moindre, à supposer qu'il y ait eu offense, ne pouvait justifier une aussi exorbitante rigueur. La thèse anglaise eut pour elle l'opinion presque unanime du monde. Sans doute la Prusse avait de sérieux griefs contre la Grande-Bretagne, car les tribunaux anglais avaient déclaré de bonne prise des navires prussiens chargés de matériaux pour les constructions navales, quoique le ministre anglais des Affaires étrangères eût déclaré au ministre de Prusse que des cargaisons de cette nature ne seraient pas considérées comme contrebande.2 Le conflit fut réglé en 1756 par le Traité de Westminster aux

1 C. de Martens, Causes célèbres, vol. ii, pp. 1, 87.

2 Manning, Laws of Nations, éd. Amos, pp. 175–176, 292–294.

Du butin.

termes duquel la Prusse levait le séquestre qu'elle avait mis sur l'emprunt silésien, tandis que la Grande-Bretagne s'engageait à payer une indemnité de 500,000 francs au profit des Prussiens lésés par ses captures. L'usage invariable des États civilisés, depuis plusieurs générations, permet de considérer l'insaisissabilité des parts de sujets ennemis dans la dette publique comme un principe absolu du droit international. Le vrai fondement de ce principe réside peut-être dans les nécessités du crédit plutôt que dans le respect de la bonne foi. Pourquoi, en effet, les obligations des États en tant qu'emprunteurs de fonds seraient-elles plus sacrées que leurs autres devoirs envers les particuliers? Il est facile de comprendre que, pour un emprunt exposé à la saisie en cas de guerre entre l'emprunteur et le prêteur, il faudrait un taux d'intérêt beaucoup plus élevé que pour une rente insaisissable. Les États désirent emprunter à aussi bon compte que possible, c'est pourquoi ils sont heureux de promettre aux emprunteurs le plus de garanties possible.

§ 175

Ayant traité la condition des différentes formes de la propriété trouvée par un belligérant sur son territoire au début d'une guerre, il nous faut considérer maintenant le traitement que les armées doivent accorder aux biens mobiliers ou immobiliers qui tombent sous son pouvoir, lorsqu'ils sont entachés du caractère ennemi. A cet égard occuponsnous d'abord du

Butin,

qu'il faut définir comme l'ensemble des biens meubles qu'on prend à l'ennemi, soit sur le champ de bataille, soit au cours d'opérations de la guerre sur terre telles que la capture d'un camp ou le bombardement d'un fort. La portée de cette définition a été grandement réduite par le Règlement de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre. L'art. 14 déclare en effet que tous les objets d'un usage

personnel, valeurs, etc.', doivent être recueillis et centralisés par le bureau de renseignement1 chargé de les transmettre aux intéressés, et l'art. 4 spécifie que tout ce qui appartient personnellement aux prisonniers, sauf les armes, les chevaux et les papiers militaires, reste leur propriété. Le fait que ces dispositions ne sont pas de simples conseils de perfection, mais des règles à appliquer, a été bien prouvé par le Japon, lors de sa guerre de 1904-1905 contre la Russie, puisqu'il a assuré la restitution, par l'intermédiaire des agents diplomatiques ou consulaires français, de plus d'un million d'objets, comprenant des pièces de monnaie, trouvés sur le champ de bataille ou laissés par des prisonniers à leur décès.3 Le Règlement de 1899 était alors applicable, mais le Règlement de 1907 n'en diffère nullement à cet égard.

Aux termes étroits du droit international, le butin appartiendrait à l'État dont les soldats l'ont pris, car ceux-ci agissent en vertu de leurs instructions. Agissant par l'ordre de leur gouvernement, c'est pour lui qu'ils acquièrent ce qu'ils prennent. La guerre ne leur permet nullement de s'enrichir personnellement aux dépens de l'ennemi. Les dépouilles qu'ils recueillent ne leur appartiennent pas à eux, mais à leur pays. C'était l'ancienne théorie des Romains et c'est encore celle du droit des gens moderne. En pratique, cependant, l'application qu'on en fait n'est nullement aussi stricte qu'on pourrait le désirer, et il est impossible d'empêcher les soldats de s'approprier beaucoup des dépouilles qu'ils ramassent à la guerre. Cela étant, les législations nationales stipulent pour la plupart que tout ou partie du butin appartiendra aux capteurs, dans des proportions fixées par les autorités compétentes. En Angleterre, la répartition du butin est opérée par la Couronne sur l'avis des Lords de la Trésorerie. Pour que le droit de propriété sur le butin soit dévolu à l'État dont les soldats l'ont pris, il faut que

1 V. § 164.

3 Takahashi, loc. cit., p. 121.

2 Higgins, loc. cit., pp. 221, 229.

4 Halleck, International Law (4o éd. de Baker), vol. ii, pp. 94, 95.

Aperçu historique des invasions.

ceux-ci l'aient détenu vingt-quatre heures. Si, dans l'intervalle, il y a eu reprise par l'ennemi, la propriété en retourne aux titulaires originaires qui sont présumés n'en avoir pas été effectivement dépossédés. Quant à la propriété des armes, des approvisionnements et munitions de guerre, trouvés dans un camp ou un fort, ou sur un champ de bataille, elle est dévolue au gouvernement vainqueur.

§ 176

Nous avons maintenant à étudier l'important sujet de

L'occupation militaire.

Une vive lumière sera jetée sur cette question par un court aperçu des procédés suivis, au cours de l'histoire, par les armées d'invasion, vis-à-vis des propriétés particulières dans les territoires qu'elles occupaient. Il ne faut pas supposer que, dans les guerres de l'Antiquité et du Moyen Âge, on épargnait les biens alors qu'on ne respectait pas les vies. Aussi le pillage sans restriction et même la destruction étaient-ils de règle, non seulement aux époques classiques, mais même à des époques presque contemporaines. Lorsque, sous le règne d'Édouard III, les Anglais débarquèrent en Normandie, en 1346, ils se répandirent au travers du pays, brûlant et pillant tout sur leur passage, jusqu'aux portes de Paris. Les invasions françaises de l'Italie, à la fin du xve et au début du XVIe siècle, furent entreprises sans approvisionnements et sans argent. Les troupes vivaient des ressources locales qu'elles dévoraient comme une nuée de sauterelles. Les atrocités de la Guerre de Trente ans sont trop connues pour avoir besoin d'être décrites. Même Grotius se croyait encore tenu de concéder ... . ' que, dans une guerre régulière, le droit des gens permet à chacun de prendre et de s'approprier, sans limite et sans mesure, tout ce qui appartient à l'ennemi'.1 En essayant toutefois d'imposer

1 De Iure Belli ac Pacis, liv. III, ch. vi, 2.

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