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des adoucissements à la guerre, il soutenait que, même dans une guerre juste, les hommes ne doivent pas capturer plus qu'il ne leur faut pour leur propre sécurité, à moins qu'ils n'y aient droit à titre de créance, ou à titre de châtiment. Il ajoutait que, si la partie lésée a d'abondantes richesses, ses exactions ne doivent pas être poussées jusqu'au dernier sou et il fait l'éloge de la coutume consistant à épargner les terres des cultivateurs et les marchandises des commerçants, en ne prélevant sur elles qu'une simple taxe.1 Des règles basées sur la théorie que la guerre est un châtiment ne pouvaient trouver place dans le droit international, mais de bons résultats ont été produits par cet autre principe de Grotius que l'envahisseur doit régler ses prises d'après la nécessité où il se trouve. Au cours des guerres européennes du cycle suivant, Marlborough, Eugène et leurs adversaires français maintinrent strictement la discipline dans leurs armées. Les réquisitions se substituèrent au pillage et les travaux de la paix purent se poursuivre au milieu même des mouvements de troupes en conflit. De temps à autre la férocité primitive reparaissait bien, quoiqu'elle choquât, chaque fois, la conscience européenne. Ainsi, en 1688, Louis XIV et son ministre Louvois furent exécrés pour avoir fait ravager le Palatinat, et, en 1704, on vit encore Marlborough dévaster une partie de la Bavière, pour punir son Électeur d'avoir fait alliance avec la France, et pour l'engager à s'en départir.2

Quoique des mesures aussi extrêmes fussent considérées avec défaveur, beaucoup de procédés que nous jugerions impardonnables étaient acceptés sans protestation. En 1715 le roi de Danemark, qui était en guerre avec la Suède et qui avait fait entrer ses troupes à Bremen et à Verden, vendit ces localités à l'Électeur de Hanovre, s'arrogeant ainsi sur elles une souveraineté qui, d'après l'usage actuel,

1 De Iure Belli ac Pacis, liv. III, ch. xiii.

2 Bernard, Growth of Laws of War, pp. 101, 104; Hosack, Law of Nations, pp. 260, 261.

n'aurait pu lui appartenir qu'en vertu d'un traité ou d'une conquête accomplie. Plus tard encore, pendant l'occupation de la Saxe par Frédéric le Grand, au cours de la guerre de Sept ans, l'armée prussienne enrôla de force des habitants du territoire qu'elle occupa.1 Dans la mesure où l'on se préoccupa de justifier de tels procédés, on invoqua la théorie d'après laquelle l'occupation militaire, si courte soitelle, constituerait une conquête temporaire conférant à l'envahisseur un droit de propriété absolu. Le résultat pratique de ce point de vue était d'attribuer à l'envahisseur tous les droits d'un souverain, sans aucune de ses responsabilités. Vattel, écrivant en 1758, fut le premier juriste qui ait contesté à l'occupant militaire le droit d'accomplir des actes de souveraineté et à soutenir que les droits du souverain primitif subsistent tant qu'ils n'ont pas été abolis par le fait d'une conquête définitive ou d'un traité.2 Son point de vue fut peu à peu adopté par les autres juristes et pénétra lentement la pratique; mais, comme le remarque le professeur Oppenheim, ce ne fut qu'à la fin du XIXe siècle qu'on en dégagea toutes les conséquences pour les incorporer dans un règlement conventionnel des lois de la guerre. Dans l'intervalle le sentiment de l'humanité, se combinant avec une notion plus éclairée de l'intérêt personnel, avait substitué au pillage le droit de requérir de la population locale les objets nécessaires pour la subsistance de l'armée d'occupation, et de lever des contributions pécuniaires à l'appui. Des chefs de corps consciencieux ont souvent trouvé qu'il était bien difficile d'opposer un frein au pillage. Quand le Duc de Wellington pénétra, en 1813, dans le midi de la France, ses ordres contre le pillage et les autres abus furent souvent enfreints. Il menaça, en conséquence, de renvoyer à leurs foyers les soldats espagnols qui persisteraient à exercer des représailles sur les paysans

1 Hall, loc. cit., 5e éd., pp. 464, 465 et notes.

2 Droit des Gens, liv. III, §§ 197, 198.

3 International Law, vol. ii, pp. 168, 169.

français en souvenir du mal fait en Espagne par les armées de Napoléon. Vis-à-vis de ses propres troupes, il fut encore plus sévère. Il renvoya en Angleterre, en état d'arrestation, plusieurs officiers coupables de maraudage et fit pendre de simples soldats qui avaient pillé en dépit de ses ordres.1

Le siècle dernier a été témoin d'un progrès graduel dans la conduite des armées civilisées, mais il y a, fatalement, beaucoup d'hommes inspirés par de mauvais sentiments dans cette vaste masse de troupes qui constitue une armée moderne, une discipline rigoureuse a été et reste encore indispensable pour garantir la protection des populations paisibles, et même le droit de réquisition mérite d'être entouré de précautions pour éviter tout abus. Le sentiment général en faveur d'une confirmation des restrictions de ces droits et de l'établissement de garanties nouvelles s'est manifesté dans les divers codes militaires et dans les projets de réglementation internationale qui ont marqué la fin du XIXe siècle. Le pillage a été interdit et les droits de l'occupant sur la propriété publique ou privée ont été définis et limités dans les instructions données en 1863 aux armées

en campagne des États-Unis, qui firent le premier des codes militaires, ainsi que dans le projet rédigé par la Conférence de Bruxelles de 1874, et dans le Règlement adopté par l'Institut de Droit international en 1880. Puis, en 1899, vint la première Conférence de La Haye avec sa convention officielle concernant les lois et usages de la guerre, et le Règlement qui lui sert d'appendice. En 1907 la seconde Conférence de La Haye revisa ce Règlement qui peut être désormais considéré comme ayant force de loi parmi les nations civilisées. Le droit international d'aujourd'hui établit une distinction tranchée entre la conquête accomplie et l'occupation militaire. Nous avons déjà étudié la première.5

1 Napier, Peninsular War, vol. vi, p. 268.

2 Davis, Outlines of International Law, app. A.

3 Higgins, loc. cit., pp. 273, 274, 278, 279.

♦ Tableau général de l'Institut de Droit international, pp. 181–185.
5 V. §§ 49, 77.

essentiels de

Elle implique la cessation des hostilités et l'établissement d'un nouveau régime politique. Les lois de la guerre n'ont rien à voir dans les droits et les obligations qui en résultent, tandis qu'elles sont étroitement liées aux actes des armées d'invasion et à la situation juridique de l'occupant militaire. Il nous faut examiner maintenant leurs dispositions à cet égard, en suivant, comme guide, le Règlement de La Haye de 1907.

§ 177

Principes Le Règlement interdit comme applicable à toutes les l'occupation opérations de la guerre sur terre la destruction ou la saisie militaire. de la propriété ennemie, à moins qu'elle ne soit expressé

ment nécessaire pour les besoins de la guerre, ainsi que l'attaque ou le bombardement des places sans défense, et le pillage des places, fussent-elles prises par assaut.1 Il proclame ensuite qu'un territoire est considéré comme occupé lorsqu'il se trouve placé de fait sous l'autorité de l'armée ennemie' et que l'occupation ne s'étend qu'aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s'exercer'. Ces termes gagneraient à être plus explicites, mais, quand on les compare aux discussions qui eurent lieu à Bruxelles, en 1874, ils sont relativement clairs. Ils sont exclusifs du point de vue suivi par les Allemands lors de leur occupation de la France, en 1870, et d'après lequel il suffisait, pour qu'une région fût réputée occupée, qu'une colonne volante, une avant-garde, ou même des éclaireurs ou des patrouilles l'eussent traversée sans résistance, ou après avoir triomphé de la résistance des troupes régulières.3 Dans de telles régions l'autorité du gouvernement établi reste en vigueur: elle n'est pas primée par celle de l'envahisseur. Très probablement la substitution de l'autorité de l'envahisseur à celle du gouvernement établi se réalisera sans retard, mais jusque-là l'envahisseur ne pourra pas se préva

1 Voir les art. 23, 25, 28.

2 Voir l'art. 42.

3 British Parliamentary Papers, Miscellaneous, No. 1 (1875), pp. 235–239.

loir des droits de l'occupation militaire. En fait, il en est de l'occupation militaire comme du blocus maritime; dans les deux cas il faut que l'opération soit effective pour être reconnue. N'ayant pas d'autre base que la force, on ne saurait en étendre les effets là où la force elle-même ne règne pas. Sans doute la force n'a pas besoin de s'exercer au même point que l'autorité. Le pays que circonscrivent les lignes ennemies peut être très étendu et le gros des troupes de l'occupant se trouver sur la limite extérieure, face à face avec les troupes de l'ennemi. Tout territoire situé en deçà du front de l'armée d'invasion doit être réputé occupé, mais non le territoire qui est au delà de leurs positions. Le fait que ce territoire ait été pénétré, ici ou là, par des éclaireurs ou des avant-gardes ne suffit pas à le placer sous le contrôle de l'envahisseur, ni, par conséquent, à priver l'État envahi de son autorité sur ce territoire. Mais les droits de l'occupant, une fois acquis, subsistent jusqu'à ce que l'occupant ait été complètement dépossédé. Le succès temporaire d'un raid ou d'un soulèvement populaire ne les abolit pas. Si, au contraire, une insurrection reprend à l'occupant le territoire contesté, il serait absurde de soutenir, comme le font certaines Puissances militaires, que leur autorité subsiste parce que ce ne sont pas des troupes régulières qui les ont chassées. Ce point est de ceux que le Règlement de La Haye n'a pas abordés et qui se trouvent abandonnés, par le préambule de la quatrième Convention de 1907, aux usages. . . aux lois de l'humanité et aux exigences de la conscience publique'. Or ces usages et ces exigences sont d'accord sur ce point que les droits établis sur la force cessent lorsque la force succombe, quelle que soit la circonstance qui la fasse succomber. On ne peut guère

s'avancer avec sécurité au delà de cette proposition que l'occupation militaire implique d'abord une possession effective, de manière que l'occupant ait le territoire sous son contrôle et puisse exercer celui-ci, et ensuite que la guerre se prolonge encore, de sorte que l'occupant ne soit pas devenu souverain.

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