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que la preuve de leur caractère neutre n'est pas rapportée. Le caractère ennemi leur est attaché jusqu'à ce qu'elles aient atteint leur destination, malgré les transferts de propriété dont elles seraient l'objet depuis l'ouverture des hostilités et pendant que le voyage dure encore. Il y a, cependant, une exception à cette règle. Si, avant la prise, le propriétaire ennemi fait faillite et qu'une revendication légale soit exercée par un précédent propriétaire neutre, la marchandise reprend le caractère neutre.1

Les marchandises ennemies, trouvées à bord de navires ennemis, sont certainement saisissables, quoiqu'il y ait, à cette règle, certaines exceptions qui vont être passées en revue. Mais les marchandises ennemies sous pavillon neutre sont insaisissables. Les complications qu'apportent à cette question les principes du blocus, de la contrebande et des actes contraires à la neutralité seront étudiées à propos des lois de la neutralité dont elles dépendent. Dans la généralité des cas, il est de règle que le pavillon couvre la marchandise, ou, en d'autres termes, que la marchandise ennemie est protégée à bord d'un vaisseau neutre. L'ancien statut du Consulat de la Mer en autorisait la saisie, quoique le navire qui la portait fût relâché et qu'on le dédommageât de ses services. Mais le mouvement qui se dessina au XVII siècle en faveur de la règle qu'exprime la formule navires libres, marchandises libres', triompha définitivement en 1856, à l'issue de la guerre de Crimée. La consécration de ce principe par la pratique se produisit lorsque la GrandeBretagne, qui avait jusque-là soutenu l'ancienne règle, consentit à la substitution de la nouvelle et signa la Déclaration de Paris, dont l'art. 2 stipule que le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l'exception de la contrebande de guerre'. Depuis lors, la grande majorité des États civilisés ont formellement adhéré à la Déclaration; ceux qui ne l'ont pas signée l'ont pourtant observée

1 Déclaration de Londres, art. 57–60.

2 Pardessus, Us et Coutumes de la Mer, vol. ii, p. 292.

en tant que belligérants, et en ont accepté le bénéfice de la part des belligérants, lorsqu'ils se sont trouvés du côté des neutres. Une pratique ininterrompue de plus d'un demisiècle, l'assentiment exprès de presque tous les États civilisés et l'appui à peu près unanime des juristes, donnent aux articles de la Déclaration, et notamment à l'art. 2, un caractère aussi obligatoire que peut comporter une règle de droit international qui ne procède pas des exigences élémentaires de l'humanité. Nous en venons donc à cette conclusion que, lorsqu'il s'agit d'un commerce normal, un belligérant ne peut saisir de marchandises ennemies qu'à bord des vaisseaux ennemis.

Même en cette matière il y a pourtant des exceptions, et la première concerne la correspondance postale de l'ennemi. Celle-ci a été rendue inviolable par la onzième Convention de 1907, qu'il s'agisse de dépêches officielles ou particulières, trouvées à bord d'un navire neutre ou ennemi. L'inviolabilité ne s'étend cependant pas aux navires qui portent occasionnellement des lettres, ni même aux paquebotsposte réguliers, quoiqu'il ait été convenu que ceux-ci ne subiront de visite qu'en cas de nécessité, avec tous les ménagements et toute la célérité possibles'. Si le navire est arrêté ‘la correspondance est expédiée avec le moins de retard possible par le capteur'. Le seul cas où l'ancien droit de visite et, le cas échéant, la saisie aient été maintenus est celui de la violation de blocus'. La Russie s'est abstenue de signer cette Convention, mais toutes les autres Puissances y ont adhéré. Les belligérants peuvent, aujourd'hui, expédier leurs dépêches à l'aide de câbles sous-marins ou d'appareils radio-télégraphiques: ils préfèrent naturellement ces procédés, rapides et d'une sécurité relative, au transport par voie de navires circulant plus lentement et exposés à plus de dangers. Néanmoins, au moment où s'est accompli ce changement dans les modes de communication, l'importance des correspondances postales transportées par les paquebots s'est considérablement accrue, à cause du dé

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veloppement du commerce international, des voyages et des rapports sociaux. On a fini par reconnaître que le très faible avantage qu'un belligérant pouvait retirer de l'interception des dépêches, qui sont un des signes de la civilisation moderne, serait largement dépassé par le préjudice matériel qui en résulterait. Lorsque les gouvernements l'ont compris, ils se sont trouvés d'accord pour admettre l'inviolabilité des correspondances postales.

Il est très probable que les livres et les œuvres d'art, en cours de transport et destinés à un établissement public du territoire de l'ennemi, seraient maintenant considérés comme échappant à la confiscation. Dans l'affaire du Marquis de Somarveles, le tribunal maritime anglais de Halifax, dans la Nouvelle-Écosse, restitua, en 1812, à l'Académie des Arts de Philadelphie, un chargement d'œuvres peintes ou imprimées saisies en cours de route d'Italie aux États-Unis. Cette décision, qui a été souvent citée et approuvée, paraît avoir été suivie pendant la Guerre de Sécession.2 L'art. 56 du Règlement de La Haye exempte de saisie les biens des établissements consacrés aux arts et aux sciences, et il n'est pas douteux qu'une cour des prises étendrait aujourd'hui, par analogie, cette immunité à ceux de ces biens qu'on aurait trouvés en mer, alors surtout qu'en faveur de cette extension il y a les précédents déjà cités.

Les marchandises ennemies trouvées à bord des trois catégories de navires de commerce ennemis que la sixième Convention de 1907 protège contre la capture partagent la même immunité. Mais elles peuvent être, soit 'saisies et restituées après la guerre sans indemnité', soit 'réquisitionnées moyennant indemnité, conjointement avec le navire ou séparément'. Les réserves formulées par l'Allemagne et la Russie au sujet de certains navires s'appliquent également à leur chargement. La Convention de 1907 sur l'adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève permet au 1 Stewart, Vice-Admiralty Reports, p. 482.

2 Westlake, International Law, IIe partie, p. 139.

3 V. § 182.

La pratique

belligérant qui s'empare d'un navire de guerre de l'ennemi de se rendre maître des infirmeries et de leur matériel qui se trouvent à bord, mais on ne lui donne la faculté d'en disposer 'qu'en cas de nécessité militaire importante, en assurant au préalable le sort des blessés et malades qui s'y trouvent '.1

§ 184

Quand un navire est saisi par un belligérant, le droit des rançons. international permet au capitaine de s'entendre avec les capteurs pour sa rançon. Si l'accord se réalise, le capteur reçoit comme otage un homme de l'équipage et on lui remet un acte fixant la somme à payer dans un délai déterminé, moyennant quoi le navire est relâché avec le reste de son équipage et le capitaine a le droit de l'emmener, suivant un itinéraire qu'on lui fixe et dans un temps déterminé, jusqu'à un port de son propre pays. Pendant ce voyage le navire a pour sauvegarde une copie de l'acte de rançon qui est détenu par le capitaine. Ce sauf-conduit cesse de produire son effet si le navire s'écarte de son itinéraire ou dépasse, sans nécessité absolue, le délai convenu. Le navire devient alors susceptible d'être capturé par n'importe quel vaisseau de l'ennemi ou d'un de ses alliés, et cette seconde prise confère au premier capteur le droit de le faire vendre, pour se payer du prix de la rançon, tandis que le second capteur n'a droit qu'à la différence entre ce prix et le produit de la vente. La capture des capteurs eux-mêmes par un croiseur de l'État auquel appartient le navire rançonné, ou d'un de ses alliés, annule le contrat de rançon, pourvu que l'acte de rançon et l'otage qui lui sert de garantie soient trouvés à bord. Les tribunaux de la plupart des pays considèrent les actes de rançon comme des contrats conclus sous l'empire de la nécessité et permettent au capteur, malgré son caractère ennemi, de poursuivre directement ce qui lui

1 Convention pour l'adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève, art. 7.

est dû, si les propriétaires du navire et de sa cargaison négligent de se libérer.

La Grande-Bretagne interdit, depuis plus d'un siècle, cette pratique de la rançon, comme favorisant les intérêts particuliers aux dépens des intérêts de l'État, et tendant à faire

obstacle à la destruction de la marine marchande de l'ennemi et à la diminution consécutive de ses ressources, tout en permettant aux navires de commerce d'éprouver moins d'inquiétude au sujet de la capture et de déployer dès lors moins d'efforts et d'habileté pour en éviter les effets. La rançon contribue à accréditer l'idée que le but de la guerre serait d'enrichir les individus par le produit des prises, plutôt que de réparer le tort fait à l'État. La loi anglaise permet à la Couronne d'ordonner, par la voie d'un Order in Council, ce qui lui paraît le plus opportun au sujet des navires de commerce anglais que l'ennemi aurait capturés; mais aucune permission de les rançonner n'a été accordée. L'exemple anglais a été suivi par les Puissances baltiques; mais la France et les États-Unis ne s'opposent aucunement aux actes de rançon que peuvent souscrire leurs officiers ou leurs sujets.1

§ 185

mer et

Lorsque les biens saisis par l'ennemi font l'objet d'une Reprise en reprise sur mer ou dans un port, ils sont habituellement droit de restitués à leurs propriétaires primitifs, en vertu d'un principe postliminie. auquel on a, par analogie avec les règles du Droit romain applicables au recouvrement du butin, comme au retour des prisonniers de guerre, - donné le nom de ius postliminii ou de postliminie.2 Pendant la période d'élaboration du droit international, il y avait quelques doutes sur l'application de ce principe. Le Consulat de la Mer est le seul texte maritime du Moyen Âge qui fasse mention de la restitution après reprise, et ce qu'il en dit est exprimé en termes obscurs.3

1 Hall, loc. cit., p. 460, note; Moore, International Law Digest, vol. vii, p. 533. 2 Digeste, liv. XLIX, tit. xv. 3 Phillimore, Commentaries, part X, ch. vi, § 409.

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