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CHAPITRE III

LES SUJETS DU DROIT INTERNATIONAL

§ 34

degrés

droit inter

APRÈS avoir brièvement tracé le développement de la Il y a des société des nations, nous essaierons de décrire les personnes entre les internationales qui la composent et tombent sous les règles sujets du qu'elle suit. Toutes les autorités conviennent que les États national. souverains sont des sujets du droit international. Mais il y a des divergences d'opinion sur le point de savoir s'ils en sont les seuls sujets. Notre avis est que, tout en étant de beaucoup les plus importants, ils ne sont pas les seuls. Les individus doivent avoir le pouvoir de diriger leurs actions et de régler leur vie avant de pouvoir être admis dans une société ou un club. De même, un État doit être capable de déterminer sa destinée avant de pouvoir être reçu comme membre de la société des nations. Si son action corporative est dirigée pour lui par une autorité étrangère, les autres États seront obligés de traiter avec cette autorité. Mais ainsi qu'un mineur, qui a la direction partielle, non complète, de ses affaires, est parfois autorisé à se joindre à une société en qualité de membre d'un degré inférieur, ainsi, quand le gouvernement du pays dirige quelques affaires internationales de l'État, pendant qu'une autorité étrangère répond pour lui dans d'autres, il est impossible de regarder cet État comme entièrement en dehors de la famille des nations, bien qu'il soit en même temps évident qu'il n'en est pas un membre parfait. Nous concluons donc qu'il y a des grades et degrés parmi les sujets du droit international. En outre des États souverains, les États partiellement souverains et les communautés belligérantes civilisées, non reconnues comme États, sont aussi des sujets du droit international. A l'égard des corporations et des individus, des doutes graves existent.

§ 35

États

souverains.

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Nous commencerons par les États souverains. Afin de comprendre leur nature et le caractère de leur assujettissement au droit international, il sera nécessaire de passer par une suite ascendante de notions, en partant de la notion élémentaire de l'État. L'État peut se définir une communauté politique, dont les membres sont unis par le lien d'une commune soumission à une autorité centrale, dont les ordres sont habituellement exécutés par la masse'. Cette autorité centrale peut reposer sur un individu ou sur un groupe d'individus; et, quoiqu'elle puisse être patriarcale, elle doit être quelque chose de plus que l'autorité paternelle; car la famille, par elle-même, n'est pas une communauté politique, et par conséquent n'est pas un État. Les modes de formation de l'autorité centrale n'entrent pas dans notre sujet. Que la communauté politique soit gouvernée par des monarques héréditaires, ou par une ou plusieurs personnes élues par certains de ses membres, elle est un État, pourvu que la masse de la nation obéisse au gouvernement. S'il n'y a pas cette obéissance, c'est l'anarchie; et, dans la mesure où manque l'obéissance, la communauté court le risque de perdre sa condition d'État. Une division purement administrative, comme un département français ou un comté anglais, ne saurait s'appeler État; mais ce titre ne devrait pas, ce semble, être refusé à une communauté comme le Canada, qui n'est pas entièrement libre de sujétion politique, parce que ses pouvoirs d'autonomie sont très étendus.

Nous avons vu ce qu'on entend par État. Si nous ajoutons aux traits déjà marqués dans notre définition cet

1 Dans l'État, le lien qui unit les membres est politique; en d'autres termes, leur sentiment de l'unité constituée résulte de la commune obéissance au même gouvernement. Dans la nation, le lien naît de la parenté du sang, ou du langage, ou de la religion, ou de la tradition historique, ou de quelques-unes ou de toutes ces causes. Ce lien n'est pas en soi politique, mais il tend presque fatalement à le devenir. Toutes choses égales d'ailleurs, l'État qui est nation est plus fort et plus heureux que celui qui ne l'est pas.

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autre caractère que le corps ou l'individu qui reçoit l'obéissance habituelle de la communauté ne prête une obéissance semblable à aucun supérieur terrestre, nous arrivons à la conception de l'État souverain ou indépendant', qui ne possède pas seulement la souveraineté intérieure, ou le pouvoir de diriger les affaires du pays, mais aussi ‘la souveraineté extérieure', ou le pouvoir de traiter les affaires avec l'étranger. Les républiques qui composent l'Union américaine possèdent tous les traits que nous avons énumérés comme les traits distinctifs des États. Elles sont donc, à bon droit, ainsi appelées; mais des raisons historiques et politiques les ont fait quelquefois traiter d'États souverains. A strictement parler, c'est une erreur. En vertu de la Constitution des. États-Unis, toutes les affaires extérieures sont laissées au gouvernement central. Les pouvoirs exécutif et législatif de chacun des États de l'Union sont privés de tout droit dans ces matières et doivent accepter ce que décident les autorités de Washington. Ils n'ont aucun des attributs de la souveraineté extérieure. Ils ne peuvent décider de la guerre ou de la paix, ni envoyer, des agents aux Puissances étrangères ni en recevoir d'elles. En d'autres termes, ce sont des États, ce ne sont pas des États souverains.

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Mais il n'est pas nécessaire pour qu'une société soit un État souverain que son chef ou ses chefs ne se soumettent jamais à la volonté des autres. De fait, les empires les plus puissants du monde modifient souvent leur ligne de conduite en déférant aux vœux des États voisins; et nul n'oserait dire qu'ils perdent par là leur indépendance. Déférence et soumission, c'est la condition de la vie sociale. C'est seulement lorsque cette attitude lui devient habituelle que l'État ainsi entravé cesse d'être pleinement souverain. Quand la Russie, par exemple, en 1878, consentit à rapporter le Traité de San-Stefano, qu'elle avait négocié seule avec la Turquie, et à donner à toutes les Grandes Puissances de l'Europe une voix dans le règlement des questions litigieuses

Certaines
conditions
de civilisa-
tion, de ter-
ritoire et
d'importance
sont néces-

saires pour
qu'un État
souverain

soit considéré

comme sujet du droit international.

1

d'Orient par un autre traité négocié à Berlin, elle ne fit rien qui affaiblît sa souveraineté ; pas plus que les États-Unis ne, perdirent rien de leur indépendance lorsque, en 1905, le Président Roosevelt laissa par courtoisie à Nicolas II de Russie l'initiative de convoquer la seconde Conférence de La Haye. Mais s'il entrait dans le droit public du monde civilisé que tout traité fait par la Russie dût être soumis à un Congrès européen, et que tout acte international du Président des États-Unis dût être soumis au bon plaisir de l'Empereur de Russie, il serait impossible de regarder l'un et l'autre comme tout à fait indépendants. L'État souverain a donc deux caractéristiques. Son gouvernement doit jouir de l'obéissance habituelle de la masse du peuple, et n'accorder l'obéissance habituelle à aucun supérieur au monde.

§ 36

Mais pour qu'un État souverain puisse devenir un ‘sujet du droit international', il faut qu'il ait d'autres qualités, outre celles que nous venons d'énumérer. Une tribu errante, sans territoire déterminé pour fonder sa puissance, obéit, néanmoins, à un chef qui ne reçoit les ordres d'aucun autre. Une race de sauvages fixés sur le sol pourrait semblablement obéir. Même une assemblée purement fortuite d'hommes, telle qu'une bande de pirates, pourrait se placer pour un temps sous l'autorité d'un chef revêtu d'un pouvoir illimité. Cependant aucune de ces communautés ne saurait être un sujet du droit international, parce qu'il lui manque plusieurs conditions, qui, bien que non essentielles à la souveraineté, sont essentielles à la qualité de membres de la famille des nations. D'abord, le degré nécessaire de civilisation serait absent. Il est impossible de faire partie de la société internationale moderne à des États qui sont incapables de comprendre les idées sur lesquelles elle se base. On n'a jamais

1 Holland, European Concert in the Eastern Question, pp. 220–222.
2 Lawrence, International Problems and Hague Conferences, p. 41.

essayé de préciser le degré d'affinité des modes de vie et des principes de pensée qui doit être tenu pour essentiel. Chaque cas est réglé suivant ses mérites. L'aire dans laquelle le droit des gens opère est supposée coïncider avec l'aire de la civilisation. Pour y être reçu, il faut obtenir une espèce de témoignage international de bonne conduite et d'honorabilité; et, quand un État, jusqu'alors réputé barbare, demande l'admission, les Puissances immédiatement intéressées lui donnent leur attestation.

Outre l'acquisition d'un certain, ou plutôt incertain, degré de civilisation, un État doit posséder un territoire déterminé avant de pouvoir obtenir le privilège d'entrer dans la famille des nations. Les règles du droit international moderne sont tellement pénétrées d'un bout à l'autre de l'idée de souveraineté territoriale qu'elles seraient tout à fait inapplicables à un corps politique qui ne serait pas établi d'une façon permanente sur une portion de la surface de la terre par lui possédée à titre collectif. Quand même on supposerait une tribu nomade parvenue au degré requis de civilisation, son manque d'organisation territoriale suffirait largement à l'exclure du cercle du droit international. Mais une communauté civilisée et indépendante, établie sur un espace territorial, peut se trouver si petite qu'il serait absurde de la revêtir des droits et devoirs attribués par le droit des gens aux États souverains. On conçoit qu'une telle petite communauté puisse rester inconnue quelque temps sur un coin éloigné de la terre. Mais comme elle serait vite absorbée par un plus grand corps, ou réduite sous la dépendance d'un puissant État, il n'y a pas lieu de s'y arrêter.

§ 37

sortes de

Les États souverains, qui sont des sujets du droit interna- Différentes tional, sont considérés comme des unités dans leurs rapports personnes mutuels. La nature de leurs arrangements intérieurs est sans importance au point de vue de leur qualité de membres de souveraineté. la société des nations, tout comme la division des fonctions

internationales à pleine

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