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discipline; mais elle peut être aussi l'école du vice patenté et commandité par l'État. Les effets d'ordre moral du système actuel sont tout au moins mélangés, et, comme nous l'avons vu, on pourrait obtenir ce qu'ils ont de bon par un tout autre moyen. Quant à ses effets d'ordre matériel, ils sont préjudiciables, sinon absolument désastreux, tandis que la guerre ajoute à la somme des souffrances humaines de telles tortures que l'Humanité s'insurgerait tout entière contre elle si chaque individu en comprenait véritablement l'horreur. Et cependant ce système dure encore. Il faut bien qu'il y ait quelque bonne raison qui fasse survivre une institution convaincue de tant de mal. Quand on a tenu compte de l'influence des innombrables intérêts qui s'attachent à la prolongation des guerres de la combativité inhérente à la nature humaine de l'illusion qui donne à tout un peuple la conviction que toutes les souffrances et toutes les turpitudes de la guerre seront supportées par l'ennemi, tandis qu'il en retirera lui-même toute la gloire et tout le profit — même alors il reste clair que ces diverses explications ne suffisent pas à justifier le phénomène. La vérité, c'est que la guerre est, en dernier ressort, la sauvegarde suprême de ce que les nations aiment encore plus que la prospérité matérielle, à savoir: leur indépendance, leur honneur, leur influence dans le monde. C'est pourquoi la guerre durera jusqu'à ce que les États qui commettent, sans scrupules, des abus, pourront être réprimés par des tribunaux internationaux et par une forte police internationale.

Qu'on ne réplique pas que la plupart des États ne désirent rien de plus que la sécurité pour eux et pour leurs possessions. Tant qu'il y en aura qui ne méritent pas confiance, il faudra prendre des précautions contre eux. Il y a aussi à tenir compte de ce fait psychologique aussi manifeste chez les nations que chez les individus souvent naître des désirs qui ne se seraient pas manifestés autrement. Jusqu'à ce que l'Humanité ait donné une

que l'occasion fait

existence effective à d'autres institutions que la guerre pour sauvegarder les États pacifiques et animés de bonnes intentions, il ne pourra y avoir de désarmement général, quoiqu'il soit peut-être possible d'imposer une limite à la surenchère actuelle des armements qui laisse en définitive les Puissances qui en supportent le poids dans la même situation respective qu'auparavant, quoique fortement appauvries. Les Conférences de La Haye peuvent voter et confirmer des résolutions déclarant que la réduction des charges militaires est hautement désirable, et recommandant sérieusement l'étude du problème aux gouvernements, mais elles ne pourront passer à la réalisation de ces vœux que le jour où une Haute Cour de Justice internationale sera entrée en fonctions et aura donné des preuves de sa justice et de son pouvoir. Cet évènement est peut-être plus proche de nous qu'on ne le croit, et, s'il devait être suivi de la constitution de cette Ligue de la Paix qu'évoquait l'ancien Président Roosevelt dans le discours qu'il prononça à Christiania en recevant le prix Nobel,2 il ouvrirait la voie à une réduction considérable des armements. Il est possible que le mouvement fait dans ce sens soit activé par le sentiment croissant de l'interdépendance économique des peuples qui devient telle que tout préjudice sérieux, causé à la prospérité d'un ennemi, réagit avec une grande force sur le belligérant qui en est l'auteur, ainsi que sur les neutres. Pour prendre un exemple extrême, il 'est clair que la destruction, par un envahisseur, de l'immense système de crédit dont le centre est à Londres et dont la Banque d'Angleterre est l'organe principal, ruinerait le commerce international de la plupart des pays du monde civilisé. La guerre a toujours été barbare. Elle commence à devenir stupide. Nous pouvons réussir à la rendre très rare, quoique nous ayons peu d'espoir de l'abolir complètement. Même sous l'ère

1 V. l'Acte final des Conférences de 1899 et de 1907.

2 V. le Times, 6 mai 1910.

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3 Norman Angell, La Grande Illusion, Ière partie, ch. iv et v.

du désarmement général, la folie humaine et les passions humaines l'emporteront quelquefois. Lorsque le désir de faire le mal sera très puissant, il improvisera des moyens offensifs, et la crainte de la police internationale ne sera pas plus efficace que celle des polices intérieures ne l'est aujourd'hui pour prévenir les crimes de droit commun. Le mal ne disparaîtra de la terre que lorsque le désir du mal aura disparu du cœur humain. Entre temps, il faut faire tout ce qu'on peut pour réduire le mal au minimum, et, actuellement, le moyen de réduire le mal de la guerre auquel on peut attacher le plus d'espérance est le développement de l'arbitrage international.

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missions

tionales d'enquête et spéciale.

Le développement des relations sociales et commerciales Les comentre les peuples, l'augmentation du commerce maritime et internal'extrême mobilité des capitaux, se sont combinés pour unifier les intérêts du monde civilisé à un point qu'on eût cru im- la médiation possible il y a un siècle. En même temps, la puissance destructive des armes est devenue beaucoup plus considérable qu'autrefois, et la terre, les eaux et les airs sont destinés à être les théâtres de combats. La perspective d'une ruine générale résultant d'une guerre à mort entre deux Grandes Puissances est si affolante que les cœurs les plus courageux tremblent à cette idée. Il y a peu de chance que les gouvernements des Grandes Puissances provoquent intentionnellement la lutte avec un adversaire de force égale, surtout s'il y a un moyen facile d'éviter la lutte en s'adressant à un tribunal digne de foi. Mais l'ignorance peut aboutir à des hostilités en inspirant des demandes téméraires ou des refus déraisonnables et les passions peuvent faire naître un conflit devant lequel la froide raison reculerait. Les deux Conférences de La Haye ont eu le sentiment de ces dangers et se sont efforcées de les écarter tout en organisant le recours à l'arbitrage d'une meilleure manière qu'aupar

avant.

Pour dissiper l'ignorance quant aux faits, on a adopté l'idée des commissions internationales d'enquête. La première Convention de 1899 avait reconnu l'opportunité de commissions de ce genre dans le cas où les conflits internationaux proviennent de divergences d'appréciation sur des points de fait, et elle avait prévu leur constitution en vertu d'un accord spécial, des parties. Si l'accord ne se réalisait pas à cet égard, chaque partie devait choisir deux commissaires et les quatre commissaires désignés en auraient choisi un cinquième. La convention d'enquête devait préciser les faits à examiner et l'étendue des pouvoirs des commissaires', ainsi que la forme et les détails à observer'. Les Puissances en litige devaient procurer à leurs commissaires toutes les facilités voulues pour la connaissance complète et l'appréciation exacte des faits en question'. Leur rapport devait se limiter à la simple constatation des faits sans aucun caractère de sentence arbitrale.1 La Conférence de 1907 a développé ces données antérieures, surtout en ce qui concerne la procédure. Elle s'est conformée à cet égard, dans une grande mesure, aux règles adoptées par la commission de l'incident de Hull, qui siégea, en 1905, pour rechercher s'il y avait des torpilleurs japonais parmi les bateaux de pêche anglais, devant Dogger Bank, lorsque la flotte russe de la Baltique fit feu sur ceux-ci dans la nuit du 21 octobre 1904. La nomination de cette commission avait été un fruit de la Convention de 1899, quoique les deux Puissances en eussent, de propos délibéré, dépassé les termes, en confiant à leurs commissaires le soin de fixer les responsabilités et de formuler tel blâme que de droit, au lieu de se borner à établir la vérité sur le fait contesté. L'expérience acquise au cours de cette enquête fut mise à profit par la Conférence de La Haye de 1907 qui en tira des améliorations du projet primitif. Elle admit dans sa première Convention qu'un seul des commissaires de chaque partie 'peut être national ou choisi parmi ceux qui ont été

1 V. art. 9-14.

désignés par elle comme membres de la Cour permanente', dont la constitution sera décrite dans le paragraphe suivant. En outre la Conférence de 1907 a introduit plusieurs règles nouvelles pour trancher des points de détail et des difficultés qu'on n'avait pas prévues en 1899. Par exemple, elle a pourvu au moyen de combler les vides qui peuvent se produire dans la commission, ainsi qu'à la nomination des agents et conseils des parties, et à l'emploi des locaux et du personnel du bureau international de La Haye. Elle a donné en outre aux commissaires le pouvoir d'informer en dehors du lieu où siège la commission, sous réserve de l'autorisation de l'État sur le territoire duquel il doit être procédé', et elle a fait prendre par les parties l'engagement de fournir à la commission toutes les facilités dont elles disposent d'après leur législation intérieure pour recueillir des preuves et faire comparaître des témoins.1

Afin d'éliminer, le plus possible, tout élément de passion, la Conférence a exalté le rôle du médiateur, et, sur l'initiative de Mr. Holls, secrétaire de la délégation américaine, il a recommandé le recours à la médiation spéciale. Un médiateur est celui qui, soit sur la demande des Puissances en litige, soit de son propre mouvement, procède à l'examen des causes du conflit, et s'efforce de trouver un moyen de le régler pacifiquement. Ses avis n'ont pas de force exécutoire. Les parties en désaccord sont libres de les accepter, de les rejeter ou de les modifier. Les Puissances signataires de la Convention se sont engagées à recourir à la médiation' en tant que les circonstances le permettront'; elles ont déclaré que l'exercice du droit de médiation ne peut jamais être considéré par l'une ou l'autre des parties en litige comme un acte peu amical'. Elles ont même recommandé, sous le nom de médiation spéciale, que, le cas échéant, les États en conflit choisissent respectivement une Puissance à laquelle ils confient la mission d'entrer en rapport direct avec la

1 V. art. 9-36.

2 Holls, The Peace Conference at the Hague, pp. 187–189.

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