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1° De s'abstenir de porter les hostilités

sur un territoire neutre.

CHAPITRE II

LES DEVOIRS DES ÉTATS BELLIGÉRANTS ENVERS

LE

LES ÉTATS NEUTRES

§ 229

Le droit des gens définit, avec une clarté suffisante, les obligations des États belligérants dans leurs rapports avec ceux de leurs voisins qui ne participent pas au conflit. La première et la plus importante de ces obligations est de

S'abstenir de porter les hostilités sur un territoire neutre. Nous avons déjà vu que cette obligation, théoriquement reconnue dès le début du droit des gens, n'en était pas moins souvent méconnue dans la pratique.1 Mais, à notre époque, elle a été strictement respectée. Tout État qui ferait intentionnellement porter les hostilités sur un territoire neutre, ou refuserait de désavouer et de réparer les conséquences de tels actes accomplis par ses armées de leur propre mouvement, attirerait sur lui la réprobation de toute l'Humanité civilisée. On peut se livrer à des hostilités sur le territoire de chaque belligérant, sur la haute mer et sur les territoires qui n'appartiennent à personne. Mais le territoire neutre et les eaux neutres sont sacrés. Aucun acte de guerre ne peut, légalement, y être accompli. La Conférence de La Haye de 1907 a déclaré, dans sa Convention concernant la neutralité dans la guerre sur terre, que le territoire des Puissances neutres est inviolable ', et, dans l'article correspondant de la Convention concernant la guerre sur mer, que tout acte d'hostilité, y compris la capture et l'exercice du droit de visite, commis par des vaisseaux de guerre belligérants dans les eaux territoriales d'une Puissance neutre, constitue une violation de la

1 V. § 223.

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2 V. art. 2.

2

neutralité et est strictement interdit'. Même lorsque des croiseurs poursuivent un vaisseau ennemi sur la haute mer, ils ne peuvent le suivre jusque dans les eaux neutres pour en opérer la capture.

En 1800 ces règles ont été l'objet d'une juste et logique extension de la part d'un grand magistrat anglais qu'on n'a jamais compté au nombre des champions du droit des neutres. Nous faisons allusion à Sir W. Scott qui, dans l'affaire des Twee Gebroeders, a posé le principe que 'même le commencement d'un acte d'hostilité ne peut avoir lieu sur territoire neutre'. Il ajoutait: 'Je suis d'avis qu'aucun emploi d'un territoire neutre pour les besoins de la guerre ne doit être permis. Je ne parle pas d'emplois indirects, comme la fourniture d'approvisionnements et de vivres, que le droit des gens permet absolument, mais je parle des emplois directs qu'on ne doit laisser, en aucun cas, prendre leur point de départ en territoire neutre.' Conformément à cet avis, Sir W. Scott relâcha quatre navires hollandais qui avaient été capturés dans des eaux hollandaises par des navires détachés d'une escadre anglaise qui séjournait, non loin de là, dans des eaux prussiennes. Le fait de comprendre les derniers apprêts du combat parmi les actes que les belligérants n'ont pas le droit de faire dans des eaux neutres a été généralement accepté. On peut observer que cette interprétation de la règle admise suffirait à faire interdire le groupement dans une baie neutre d'un certain nombre de torpilleurs destinés à se précipiter subitement dans un port voisin appartenant à l'adversaire, surtout si ces torpilleurs n'avaient pénétré qu'un à un dans le port neutre, après avoir longé pour y parvenir une côte neutre. En vérité, on pourrait soutenir que tout emploi, par des torpilleurs, d'eaux neutres voisines d'une ligne de communications navales de l'ennemi, doit être réputé interdit, puisqu'il leur serait trop facile de faire irruption de ce point d'abri sur une escadre ennemie passant, à quelques milles de là, sur la haute mer. 2 C. Robinson, Admiralty Reports, vol. iii, p. 162.

1 V. art. 2.

L'extrême nécessité justifie des violations temporaires du territoire neutre. Mais il faut que la nécessité soit vraiment extrême, et qu'on puisse fournir immédiatement au neutre ainsi lésé les explications voulues et les indemnités exigibles. Il est impossible de poser par avance aucune règle précise pour des cas qui sont, par définition, en dehors du droit. Personne ne s'est plus approché d'une formule satisfaisante que M. Webster dans son attendu relatif à l'affaire de la Caroline,' en déclarant qu'il faut démontrer une nécessité inéluctable de se défendre qui ne vous a laissé ni le choix des moyens ni le temps de la réflexion'. Dans cette affaire, la Grande-Bretagne finit par exprimer son regret de n'avoir pas fourni d'explications ni d'excuses en temps voulu, et le Gouvernement américain en agréa l'assurance. L'incident démontre bien que des violations temporaires de la neutralité, commises en cas de grande urgence et ne consistant, au point de vue du temps et du lieu, qu'à conjurer le danger qui les a rendues nécessaires, ne sont que des fautes d'ordre technique dont on doit s'excuser d'un côté, et qu'il faut pardonner de l'autre, sans les considérer comme de graves offenses nécessitant une réparation.

Quelquefois, pourtant, il surgit des complications, comme dans le cas du Reshitelni. Ce navire était un torpilleur russe. Il s'échappa de Port-Arthur, pendant le siège des Japonais, le 10 août 1904, et, quoique poursuivi par deux contre-torpilleurs japonais, il réussit à pénétrer, le lendemain matin, dans le port neutre de Chefoo. De là, il envoya, dit-on, d'importantes dépêches au Gouvernement russe. Les deux navires japonais le guettèrent hors du port jusqu'au soir du 11 août, et pénétrèrent alors dans le port, puisqu'il n'en sortait pas. Entre temps, les autorités chinoises et le commandant du torpilleur avaient engagé des négociations aux termes desquelles le torpilleur devait être désarmé et rester à l'ancre; on commença bien à le désarmer, mais on ne peut dire dans quelle mesure. Les témoignages des officiers japonais, d'une

1 Snow, Cases on International Law, pp. 177, 178.

part, et des officiers russes et chinois, de l'autre, sont en contradiction absolue. Les premiers affirment qu'on avait permis au torpilleur de prendre du charbon et que rien d'effectif n'avait été fait pour son désarmement ; que, notamment, on avait laissé les munitions à bord. Les seconds déclarent que le torpilleur avait été complètement désarmé, que les canons avaient été rendus inutilisables et que les machines avaient été démontées. Le 12 août, à la première heure, un détachement japonais aborda le Reshitelni et lui donna le choix de reprendre la mer dans l'espace d'une heure, ou de se rendre. Refus des Russes; alors les Japonais essayèrent vainement de faire sauter le torpilleur, mais, après une courte lutte, réussirent à le capturer et à l'emmener.1 Si cette affaire avait été la seule, l'acte des Japonais n'aurait guère été défendable. Mais il y avait toute une série de cas semblables où l'attitude de la Chine paraissait faible et suspecte. La Chine avait permis à la Russie de violer son territoire à de multiples reprises et ne pouvait sérieusement pas faire un grief aux Japonais de leur rétorsion. Évidemment ils avaient guetté leur proie, bien déterminés à ne pas la laisser échapper. Pour bien faire, ils auraient dû impartir aux autorités chinoises un délai de quelques heures pour assurer le complet désarmement et l'internement du torpilleur; à l'expiration de ce délai, s'ils n'avaient pas obtenu une satisfaction jugée suffisante par leur consul, les Japonais auraient eu le droit absolu de capturer le torpilleur. Cette affaire éclaire d'ailleurs un autre point. On opposa de la résistance au détachement japonais qui effectua la prise; mais jamais on n'a soutenu que, du fait de cette résistance, les Russes fussent déchus de la réparation à laquelle la capture pouvait leur donner droit. Ce fait tend donc à appuyer la doctrine d'après laquelle un navire belligérant, soudainement attaqué dans des eaux neutres, a le droit de se défendre lui-même si le

1 Takahashi, loc. cit., pp. 437-444; Lawrence, War and Neutrality in the Far East, 2o éd., pp. 292–294.

neutre ne peut ou ne veut le défendre, quoique son premier devoir soit d'en appeler, s'il en a le temps, à la protection des autorités locales.

§ 230

2o De ne causer, si possible,

aucun

dommage aux câbles

sousmarins.

Nous allons maintenant examiner le devoir qu'a un belligérant

De ne causer, si possible, aucun dommage aux câbles
sous-marins des neutres.

A ce sujet, il conviendra de traiter les diverses questions qui
se sont élevées, ces dernières années, au sujet de la condition
de ces câbles en temps de guerre, quoique la plupart de ces
questions se rattachent davantage au rôle des neutres qu'à
celui des belligérants.1

Les câbles sous-marins sont une invention relativement nouvelle. La Convention de 1884, signée par beaucoup de Puissances, a posé des règles pour leur protection en temps ordinaire, mais en réservant expressément l'entière liberté des États en temps de guerre. Depuis lors, de nombreux traités ayant force de lois ont été conclus, mais, parmi toutes leurs stipulations, il n'y a qu'un seul article qui concerne le sujet que nous traitons. Cet article se trouve dans le règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre, tel qu'il a été revisé en 1907; il dispose que les câbles sous-marins reliant un territoire occupé à un territoire, neutre ne seront saisis ou détruits que dans le cas d'une nécessité absolue '. Si on les a détruits ou saisis, on doit, à la paix, les restituer et réparer le dommage.2 Il n'y a pas d'usages à invoquer pour combler les lacunes des textes, parce qu'il ne s'est pas écoulé assez de temps pour la formation d'un droit coutumier. Les hommes d'État et les auteurs ont cependant formulé de nombreuses propositions, dont quelques-unes sont justes

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1 G. G. Wilson, Submarine Telegraphic Cables in their International Relations. 2 V. art. 54.

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