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ganiser des fractions de sa force armée sur territoire neutre ou dans des eaux neutres, il commet une grave offense à la souveraineté du gouvernement neutre, tout en l'exposant, probablement, à des difficultés avec l'autre belligérant qui souffre de l'illégalité commise dans la mesure où son adversaire en profite. Le neutre qu'on a lésé n'a pas seulement le droit de réclamer une réparation pécuniaire, mais il peut, s'il le faut, recourir à la force pour s'opposer à ce qu'une expédition quitte son territoire, en s'assurant des personnes et des biens de ceux qui voudraient y participer.

§ 232

Le devoir des belligérants, auquel nous arrivons main- 4o De se tenant, est de

conformer aux règlements qui protègent la

Se conformer aux règlements qui protègent la neutralité. En vertu du droit des gens coutumier les forces armées des neutralité. combattants ne doivent pas franchir une frontière neutre. La Convention de La Haye de 1907, concernant la neutralité en cas de guerre sur terre, a formulé dans un sens très large cette prohibition.1 Elle permet cependant, sous de strictes conditions, le passage sur territoire neutre 'des blessés ou malades appartenant aux armées belligérantes '.3 Le seul cas où des corps de troupes puissent encore franchir une frontière neutre se présente lorsque l'ennemi les y pousse. L'humanité s'opposerait alors à ce qu'une ligne de baïonnettes neutres repoussât ces troupes vers la servitude ou vers la mort; mais, en même temps, l'impartialité exige qu'on ne permette pas à ces troupes d'utiliser leur lieu de refuge pour y reconstituer leurs forces défaillantes et faire à la première occasion irruption sur l'ennemi. Ces deux exigences se concilient en désarmant les troupes dès qu'elles ont passé la frontière, et en les détenant honorablement jusqu'à la fin de la guerre. C'est ce qu'on appelle l'internement, les troupes ainsi traitées sont dites internées. 2 V. § 165.

1 V. art. 1 et 2.

3 V. art. 14.

Elles doivent se plier à ce traitement et ne rien faire qui puisse compromettre la neutralité de l'État qui leur donne asile. Les dépenses que leur présence impose au neutre doivent être remboursées à celui-ci par leur gouvernement.1 Le dernier exemple d'internement date de 1871, lorsque 85,000 soldats français, en guenilles et mourant de faim, survivants de l'armée de Bourbaki, se réfugièrent en Suisse, pour échapper à la poursuite de Manteuffel, à la fin de la guerre franco-allemande. La permission de franchir la frontière résulta d'une convention spéciale entre le chef de ces troupes, le général Clinchant, et le général suisse Herzog. Les réfugiés furent aussitôt désarmés, nourris et rhabillés par ordre du gouvernement fédéral. A la paix, ils rentrèrent en France, en vertu d'une convention entre les deux pays qui stipula le paiement d'une scmme globale pour désintéresser le Gouvernement suisse et la population des frais qu'avait occasionnés le droit d'asile.2

En cas de guerre maritime l'usage est en faveur de l'admission conditionnelle, non de l'exclusion. A moins qu'un neutre ne s'oppose formellement à l'entrée des navires de guerre des belligérants, ils peuvent jouir librement de ses ports et de ses eaux. On présume la permission à défaut de toute notification du contraire, néanmoins cette permission représente un privilège qui repose sur le consentement du neutre, privilège susceptible, dès lors, d'être subordonné à des conditions ou suspendu pour la punition d'un abus. De plus, le neutre peut adopter l'exclusion comme règle absolue, sauf à l'appliquer également aux deux combattants. Le dernier exemple de cette règle a été celui des États scandinaves pendant la guerre russojaponaise. Les commandants belligérants peuvent exiger qu'on ne les soumette pas à des restrictions injustes ou 1 V. Cinquième Convention de 1907, art. 11, 12.

3

Fyffe, Modern Europe, vol. iii, p. 462; Annual Register for 1870, pp. 160, 161; Calvo, Droit international, § 2336.

• Treizième Convention de La Haye de 1907, art. 9.

4 Lawrence, War and Neutrality in the Far East, 2o éd., pp. 133–134.

déraisonnables, et que toute règle adoptée soit impartialement appliquée à toutes les parties. Ils ne peuvent cependant pas exiger davantage. Là où ils sont simplement tolérés, il faut bien qu'ils se plient aux désirs de ceux qui les tolèrent. Ils ne peuvent exiger l'hospitalité à titre de droit que lorsqu'ils ont dû fuir devant la tempête ou à cause de l'état de la mer. Leur droit de réclamer un abri en pareil cas s'appelle le droit d'asile et ne peut être contesté par un neutre sans infraction au droit des gens.

Récemment beaucoup d'États ont publié des déclarations réglementaires de neutralité au début de guerres auxquelles ils ne participaient pas ; d'autres États ont préféré attendre les évènements pour les traiter séparément. C'est ainsi que se sont développées certaines règles concernant, par exemple, la durée du séjour des navires belligérants dans les ports neutres, la quantité de charbon ou d'approvisionnements dont ils peuvent s'y fournir, les conditions dans lesquelles ils peuvent se faire radouber, et une infinité d'autres matières. Les plus importantes d'entre ces règles seront discutées par nous quand nous traiterons des devoirs des États neutres. Nous verrons que certaines de ces règles font déjà partie intégrante du droit international, et que d'autres sont en voie d'en faire partie. Pour le moment, il faut nous contenter d'affirmer aussi fortement que possible que toutes ces règles doivent être respectées, pourvu qu'elles soient appliquées sans faiblesse ni partialité.

§ 233

Chaque belligérant a la stricte obligation

D'accorder des réparations à tout Etat dont il aurait violé

la neutralité.

5o D'accorder des réparations à tout Etat dont

on aurait violé la

Le droit international ne contient aucune règle précise en neutralité. ce qui concerne la forme de ces réparations. Il faut certainement restituer les biens illégalement saisis, lorsque

1 V. § 236.

des navires ou leurs cargaisons ont été capturés dans une zone neutre ; mais la règle ne va pas plus loin et reste muette sur le calcul des indemnités duès, comme sur les termes des excuses à présenter et sur le cérémonial des honneurs à rendre au pavillon de l'État lésé. Ces détails sont abandonnés aux négociations relatives aux cas particuliers; tout ce qu'on en peut dire, c'est qu'il faut une réparation adéquate, c'est-à-dire proportionnée, à l'offense commise. En toute hypothèse, la réparation est due au neutre lésé, dont le devoir est de traiter à son tour avec l'autre belligérant si celui-ci a souffert de la faute dont on se plaint. Par exemple, quand le commandant d'un vaisseau de guerre saisit dans des eaux neutres un navire appartenant à son ennemi, le gouvernement neutre exige la restitution de la prise ou s'en empare de plein droit si elle se trouve dans les limites de sa juridiction, puis la rend au belligérant à qui elle appartenait, soit par la voie d'une décision administrative, soit en vertu d'un jugement du tribunal des prises. Si l'État neutre ne peut ou ne veut obtenir de réparation de l'État coupable, il peut en résulter de sérieuses complications, car le neutre s'expose à un traitement similaire de la part de l'autre belligérant; on peut lui réclamer une indemnité; on peut même le menacer de guerre.

Les violations de neutralité, par un belligérant, sont aussi variées que les devoirs qu'elles méconnaissent. Comme toutes les fautes, elles peuvent être graves ou légères, être l'effet d'une imprudence ou d'un emballement, ou avoir été froidement calculées et commises en vertu d'un plan délibéré. En général elles résultent de la propre initiative de sous-ordres trop zélés ou sans scrupules. Quant aux réparations, elles varient depuis les simples excuses jusqu'à une sérieuse humiliation. Les cas graves donnent lieu à des représentations diplomatiques; l'État responsable doit alors réparer le mal aussi complètement que possible, punir les coupables et accorder toute satisfaction estimée juste et convenable. Un bon exemple de réparations effec

tives nous est fourni par le cas de la Florida, un des croiseurs du Sud, pendant la guerre de Sécession. En octobre 1864 ce navire fut capturé dans le port neutre de Bahia (Brésil) par le vapeur des États du Nord Wachusett, et ramené comme prise aux États-Unis. Le Brésil demanda aussitôt réparation et le Gouvernement de Washington désavoua la capture. M. Seward, alors ministre, promit complète satisfaction. Le commandant du Wachusett fut déféré à la cour martiale; le consul des États-Unis à Bahia fut révoqué pour avoir conseillé la saisie; on rendit les honneurs au pavillon brésilien à l'endroit même où la prise avait été effectuée, et l'équipage du navire capturé fut remis en liberté. aurait même dû, prétendit-on, remettre la Florida aux autorités brésiliennes; mais elle avait été coulée dans les passes de Hampton par un navire de transport des États du Nord; sa restitution était donc impossible.1

On

On soutient parfois que les États belligérants peuvent utiliser et même détruire les navires et tous autres biens appartenant à des individus neutres qu'ils trouvent dans les limites de leur juridiction, si les nécessités de la guerre rendent indispensables et urgents cet emploi et cette destruction. Ce droit, réel ou imaginaire, porte le nom de ius angariae ou droit d'angarie. Aujourd'hui que la Conférence de La Haye de 1907 a décidé qu'un paiement est dû même pour les réquisitions imposées aux sujets de l'État ennemi, il serait difficile de soutenir que les biens neutres situés en permanence dans les pays d'un belligérant puissent être gratuitement saisis, pour peu qu'ils paraissent immédiatement nécessaires pour les besoins de la guerre. Mais en est-il de même pour les biens neutres qui se trouvent accidentellement sous la juridiction d'un belligérant? L'exemple classique est celui des navires de commerce neutres qui se trouvent dans les ports d'un belligérant ou dans des ports militairement

1 Moore, International Law Digest, vol. vii, p. 1090; Wheaton, International Law (éd. Dana), note 209.

2 Règlement, art. 52.

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