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un autre procédé. Elle donne le recours à cette Cour à la Puissance neutre 's'il est allégué que la capture d'un navire ennemi a eu lieu dans les eaux territoriales de cette Puissance'. Ces divers moyens doivent être employés par le neutre pour lui permettre d'être en état de remplir vis-à-vis de l'autre belligérant son devoir de restitution. La treizième Convention de La Haye y fait allusion. Les représentations diplomatiques sont considérées comme le moyen normal, si le navire n'est pas dans la juridiction de la Puissance neutre : dès que ces représentations l'atteignent, le belligérant qui a opéré la prise est tenu de la relâcher avec ses officiers et son équipage. Lorsque la prise est encore dans la juridiction du neutre, celui-ci doit employer 'tous les moyens' dont il dispose pour qu'elle soit relâchée. De plus, l'équipage mis à bord par le capteur doit être interné. Ces dispositions impliquent manifestement la possibilité d'un emploi de la force. Mais la Convention n'impose pas à l'État neutre l'obligation d'exiger la reddition, quoiqu'il affirme que le belligérant a le devoir de relâcher la prise sur la demande de la Puissance neutre. On peut, cependant, soutenir avec de bons arguments que l'obligation du neutre résulte, à cet égard, du droit des gens coutumier. Quand la prise est relâchée, ses officiers et son équipage reprennent leur liberté comme elle.

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Un second cas de restitution obligatoire se présente lorsqu'une prise est amenée dans un port neutre d'une manière irrégulière, c'est-à-dire pour une autre cause que l'innavigabilité, le mauvais état de la mer ou le manque de combustible ou de provisions', ou encore qu'on l'a mise sous séquestre en attendant le jugement du tribunal des prises. La Puissance neutre ne saurait s'incliner avec indifférence lorsqu'on viole sa neutralité. Elle a le devoir de relâcher la prise avec ses officiers et son équipage et d'interner l'équipage mis à bord par le capteur'.3 Relâcher la prise n'est que le préliminaire de sa restitution au

1 V. art. 4.

2 V. art. 3.

V. art. 22.

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gouvernement de l'État dont elle provient, et le devoir de relâcher rentre donc sous la rubrique du devoir de restitution.

§ 239

La dernière catégorie des devoirs de neutralité des États est le

Devoir de réparation.

Lorsqu'un belligérant est lésé par le fait qu'un neutre a manqué, par négligence ou mauvaise volonté, de remplir les obligations que lui impose le droit international, il est autorisé à formuler une demande de réparation. Il est difficile, comme nous l'avons vu, de définir la mesure exacte d'attention et de soins qu'un belligérant peut exiger d'un neutre,1 mais il n'est douteux pour personne que l'indifférence et la négligence peuvent causer à la Puissance qui en souffre un préjudice tel qu'une réparation soit nécessaire. Point de responsabilité si les précautions voulues ont été prises, quoique sans succès. Le Japon n'a rien réclamé au Gouvernement anglais lorsqu'en 1904 le torpilleur Caroline s'échappa de la Tamise, où il avait été construit, et gagna Libau où il fut livré aux autorités russes. Ses constructeurs avaient été habilement aveuglés, et, lorsque leur attention s'éveilla et que l'Amirauté anglaise intervint, le torpilleur eut juste le temps de disparaître pour éviter d'être saisi. Mais si le neutre n'a, dans un cas évident, rien fait, ou si son intervention a été retardée au delà de toute raison, une réparation lui incombe, alors même qu'il a personnellement souffert de la violation de ses droits de souveraineté. Cela a été clairement montré par la célèbre affaire de l'Alabama, en 1872. La Grande-Bretagne se vit imposer une indemnité de 75,000,000 de francs à cause de sa négligence, quoiqu'elle eût pu établir que les jurisconsultes différaient grandement d'avis au sujet du caractère obligatoire du rôle qu'on lui reprochait

1 V. § 235.

de ne pas avoir rempli. Dans l'intérêt de la paix, elle avait consenti à laisser apprécier son cas d'après les trois règles posées par le traité de Washington de 1871;1 et ces règles ont dû attendre jusqu'en 1907 pour apparaître comme des points acquis du droit international, grâce à leur incorporation dans la treizième Convention de La Haye.2 Dans des cas extrêmes, lorsque la faiblesse ou l'égarement d'un gouvernement neutre réduit la neutralité à un rôle dérisoire, un belligérant pourrait même être autorisé à agir comme si la neutralité n'existait pas.

et

§ 240

dont

pour la

de leur

Nous achèverons notre esquisse des devoirs des États Des pouvoirs neutres envers les États belligérants par l'indication sommaire jouissent des pouvoirs que possèdent les neutres pour défendre leur les neutres neutralité. Ils ont tout d'abord le secours de l'action diplo- défense matique. Le plus souvent, leurs remontrances se feront neutralité. écouter, car il est de l'intérêt de tout belligérant de rester en bons termes avec les Puissances qui ne participent pas à la guerre. S'il y a flagrante violation de leur neutralité, que le préjudice soit notoire et incontesté, une réparation adéquate suivra toute réclamation raisonnable. Un autre moyen, nullement exclusif quoique indépendant du premier, consiste dans l'action administrative qui surveille toute action contraire à la neutralité, soit pour en empêcher l'accomplissement, soit pour infliger une punition exemplaire au coupable. Si, par exemple, un navire de guerre belligérant tente d'opérer une capture dans un port neutre, les autorités de ce port peuvent user de tous les moyens dont elles disposent pour couper court à cette tentative. Et si, dans la lutte, le navire agresseur est, soit avarié, soit coulé, son commandant n'a qu'à s'en prendre à lui de ce résultat. Il est couramment affirmé que, dans cette

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hypothèse, le neutre peut poursuivre le navire agresseur jusqu'en haute mer pour lui infliger tel traitement que de droit. Néanmoins cette opinion doctrinale n'a pas reçu confirmation de la pratique ni de la jurisprudence. Elle paraît même contraire au principe fondamental que le droit de police d'un État ne s'étend pas au delà de ses eaux territoriales, et l'on peut se demander si les voies d'exécution lui sont permises, au delà de cette limite, pour défendre l'intégrité de son territoire. Quoi qu'il en soit, cette opinion, à laquelle nous hésitons à nous rallier, a pour elle la grande autorité de l'Institut de Droit international qui a déclaré, lors de sa session de Paris en 1894, que dans le cas d'une infraction commise dans les eaux territoriales d'un État l'État riverain a le droit de continuer sur la haute mer la poursuite commencée dans la mer territoriale', sauf que 'le droit de poursuite cesse dès que le navire sera entré dans un port de son pays ou d'une tierce Puissance'.1

Nous en venons enfin au moyen tiré de l'action judiciaire. Le neutre a le droit de faire statuer ses propres tribunaux des prises sur les captures opérées par des belligérants dans sa juridiction, que la prise reste dans les eaux neutres où elle a été illégalement saisie, ou qu'elle y soit ramenée quelque temps après la capture. La restitution se fait généralement par un acte administratif, mais il est parfois préférable de faire juger le cas par les tribunaux neutres. Leur juridiction s'étend également aux cas où le vaisseau capteur a été, soit équipé, soit transformé en navire de guerre dans les eaux neutres, et où il a, ensuite, opéré une prise qu'il a amenée dans un des ports de la Puissance lésée. Ce principe est clairement illustré par de nombreuses décisions de justice dont la plus importante est celle du juge Story dans l'affaire de la Santissima Trinidad, posant en règle, entre autres, que la juridiction du neutre se limite aux

1 Annuaire de l'Institut de Droit international, 1894–1895, p. 330.

2 Wheaton, Reports of the United States Supreme Court, vol. vii, p. 283.

captures faites au cours de l'expédition où a eu lieu l'équipement ou la transformation illicites.1

1 On trouvera un exposé clair et brillant de toutes les questions discutées par la deuxième Conférence de La Haye, à propos de la Convention concernant les Droits et Coutumes des Puissances neutres en cas de guerre maritime, dans le rapport de M. Louis Renault à la Conférence (Actes et Documents, vol. i, pp. 295–330). On trouvera de lumineux commentaires dans Higgins, loc. cit., pp. 457-483, et Scott, loc. cit., vol. i, pp. 620–648. Pour le texte des deux Conventions concernant la neutralité, qui ont été fréquemment citées dans ce chapitre, voir Higgins, loc. cit., pp. 281-289, 445-456; Whittuck, loc. cit., pp. 143-150, 208-217; Scott, loc. cit., vol. ii, pp. 400-414, 506-523; Supplement to the American Journal of International Law, vol. ii, pp. 117-127, 202–216.

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