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La Déclara

tion de Paris.

été incapable de faire pendant le conflit mondial dont la Révolution française et Napoléon Ier avaient été les pivots.

§ 243

Nous venons de voir que les États qui s'associèrent contre la Russie pour la guerre de Crimée s'engagèrent, dès le début, à ne capturer ni la propriété ennemie sous pavillon neutre, ni la propriété neutre sous pavillon ennemi, tout en se réservant d'appliquer le droit commun en cas de contrebande ou de violation de blocus. La guerre finie, les Puissances réunies à la Conférence de Paris se rallièrent à une Déclaration concernant le Droit maritime qu'il ne faut pas confondre avec le traité de Paris, quoique les mêmes plénipotentiaires l'aient rédigée et signée. De plus, les Puissances contractantes s'engagèrent à solliciter l'adhésion des autres pays, qui leur répondirent d'ailleurs, dans un court délai, d'une façon presque unanime. Quelques pays, toutefois, ne voulurent pas s'engager, pour diverses raisons. Le plus important d'entre eux, les États-Unis, refusa parce qu'on n'avait pas exempté de capture la propriété privée.1 La Chine, l'Espagne et le Mexique furent les autres abstentionnistes, ainsi que quelques Républiques sud-américaines. Mais l'Espagne et le Mexique ont fini par adhérer lors de la Conférence de La Haye de 1907, et les États-Unis se sont toujours comportés comme s'ils avaient adhéré. La Déclaration est donc soutenue d'un aveu presque universel. Elle fut adoptée le 16 avril 1856, et deux de ses articles sont de la plus haute importance pour la question que nous étudions en ce moment. Le second déclare que : 'Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l'exception de la contrebande de guerre', et le troisième que: 'La marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi'2; on verra que ces règles sanctionnent, d'un consentement général, le

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principe que les navires libres rendent leur cargaison libre, sans qu'inversement le pavillon ennemi expose la marchandise neutre à être saisie. L'adhésion de la Grande-Bretagne à cette Déclaration a marqué la victoire complète des considérations commerciales sur les règles du Consulat de la mer. L'Angleterre avait longtemps gardé ces règles plus anciennes mais plus rigoureuses; elle finit par reconnaître que ses intérêts de grande nation commerciale, portée surtout à la paix, et, dès lors, destinée à rester neutre dans les guerres ultérieures, devaient la conduire à accepter un régime sous lequel son commerce se trouverait fort avantagé, tant qu'elle ne serait pas au nombre des belligérants. Le grand développement de ses transports, depuis 1856, montre que ses hommes d'État virent juste, quoique nous ayons dit qu'il y a des raisons de croire que ses intérêts seraient encore mieux servis si, allant plus loin, elle consentait -à l'abolition totale de la capture de la propriété privée en cas de guerre maritime, réserve faite des cas de contrebande, de violation de blocus et de services incompatibles avec la neutralité.1 Aucune des Puissances qui ont refusé de signer la Déclaration de Paris n'a fait d'objection à ses articles 2 et 3. Celles qui ont été mêlées à des guerres, depuis 1856, ont respecté la propriété ennemie sous pavillon neutre aussi bien que la propriété neutre sous pavillon ennemi. Pendant la guerre de Sécession les deux adversaires avaient convenu d'observer tous les articles de la Déclaration de Paris, sauf le premier, et, en fait, ils les observèrent tous. La guerre hispano-américaine de 1898 eut lieu entre deux des Puissances qui n'avaient pas signé la Déclaration, mais l'une et l'autre agirent comme si elles l'avaient signée.

L'immunité de la propriété ennemie sous pavillon neutre représente une concession faite aux neutres. Deux questions ont été soulevées à ce sujet. La première est de savoir si les belligérants qui ont signé la Déclaration doivent en faire bénéficier les neutres qui ne l'ont pas signée. Nous 1 V. § 194.

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répondons que ce privilège ne saurait guère être refusé, malgré la clause finale de la Déclaration qui stipule qu'elle 'n'est et ne sera obligatoire qu'entre les Puissances qui y ont ou qui y auront accédé'. En effet, depuis qu'elle existe, cette Déclaration a été observée dans tous les conflits maritimes. L'usage constant de plus d'un demi-siècle peut, dès lors, être invoqué en faveur de son caractère obligatoire, et il n'en faut pas plus pour en faire une règle du Droit international consacrée par le consentement général, indépendamment de toute adhésion officielle à son texte. Les neutres non-signataires, qui ont eux-mêmes, en tant que belligérants, agi suivant le principe que le pavillon couvre la marchandise, auraient quelque raison d'être froissés si un belligérant s'autorisait du fait qu'ils n'ont pas signé la Déclaration pour priver leur commerce de la protection dont cette Déclaration a voulu l'entourer. Pendant la guerre franco-allemande de 1870-1871, les deux adversaires appliquèrent la Déclaration à la propriété privée des Américains et des Espagnols, quoique ni les États-Unis ni l'Espagne ne l'eussent signée, et lorsque les États-Unis et l'Espagne se firent la guerre en 1898 ils accordèrent le bénéfice de la Déclaration à tous les neutres. Il faut répondre de même à la seconde question qui tend à savoir si, entre deux belligérants dont l'un seulement a signé la Déclaration, il y a obligation pour le signataire à observer la Déclaration vis-à-vis des neutres qui ne l'ont pas signée. Si l'on ne s'en tient qu'à la lettre de la clause finale, on peut hésiter, mais dès qu'on examine ce qui s'est passé dans la pratique on constate une forte tendance à l'interprétation la plus libérale. Lorsque l'Angleterre et la France étaient en guerre, en 1860, contre la Chine, qui n'avait pas signé, ils appliquèrent les articles 2 et 3 au commerce neutre. Le Chili et le Pérou en firent de même, en 1885,1 dans leur guerre contre l'Espagne. En réalité, il est probable que les belligérants qui n'ont pas accédé à la Déclaration seront Twist, Belligerent Right on the High Seas, p. 8.

encore plus portés à en observer les règles que ceux qui y ont accédé à les méconnaître. Nous en avons un exemple dans la guerre sino-japonaise de 1894-1895. Du commencement à la fin, la Chine, qui n'avait pas signé, ne chercha pas une fois à capturer des marchandises japonaises, sous pavillon neutre, ou des marchandises neutres, sous pavillon japonais, tandis que le Japon, qui avait signé, ne manifesta pas la moindre velléité de méconnaître ses obligations envers les neutres, sous prétexte que la Chine n'avait pas pris les mêmes engagements. L'idée d'un retour au passé ne serait qu'un vain rêve. Ceux qui s'y complaisent ne se rendent compte ni de la puissance du commerce moderne, ni de la force des idées morales qui tendent à restreindre le pouvoir nocif de la guerre.1 Ce que les intérêts neutres ont su conquérir en 1856, ils sauront bien le retenir dans l'avenir. Nous pouvons nous en rapporter, avec confiance, à l'opinion d'une des plus grandes autorités de notre temps qui a déclaré que 'le principe que le pavillon couvre la marchandise est assuré pour toujours '.2

§ 244

du droit

maritime

La Déclaration de Paris a donc dépouillé les belligérants L'état actuel du droit d'intercepter le commerce maritime ordinaire qui concerne le se pratique entre leurs ennemis et le reste du monde, à moins commerce que ce commerce ne se fasse sous pavillon ennemi. Les ordinaire. navires ennemis qui transportent des marchandises neutres restent saisissables, et un tribunal des prises les condamnera tout en relâchant leur cargaison. Les propriétaires de celle-ci souffriront du retard de sa livraison et pourront perdre l'occasion de la revendre, mais en conserveront du moins la valeur. On ne peut pourtant pas s'en tenir à cette constatation, car il s'agit d'une matière moins simple qu'il

1 Report of Drafting Committee of the Naval Conference of 1908–1909, ch. vi.

2 Mahan, Influence of Sea Power in History, ch. i, p. 84.

ne paraît. D'une part certains navires ennemis et certaines catégories de biens sont insaisissables: par exemple, les navires-hôpitaux, les bateaux de pêche côtière, les vaisseaux consacrés à des missions scientifiques, au transport de la correspondance postale, ainsi que les livres et œuvres d'art expédiés à un établissement public du pays ennemi.1 D'autre part, indépendamment du fait que les nations ne sont pas d'accord sur la définition même de l'expression propriété ennemie, les navires appartenant à des neutres et maintenant qu'ils sont neutres sont néanmoins traités comme ennemis s'ils ont été frétés par l'ennemi, naviguent sous ses ordres, ou font le commerce en vertu d'une licence émanant de lui, ou même seulement se servent habituellement de son pavillon et de son nom.2 La Grande-Bretagne, soutenue par plusieurs grandes Puissances maritimes, soutient encore que si un belligérant accorde ouvertement, en temps de guerre, à des neutres, un commerce colonial ou une navigation côtière réservés, en temps de paix, à ses sujets, son adversaire peut traiter comme navires ennemis tous les navires marchands neutres qui profitent de la permission qu'on leur laisse. Un autre groupe de Puissances, à la tête desquelles sont les États-Unis, est fortement attaché à l'opinion contraire, et, à moins qu'on n'arrive bientôt à un arrangement, cette divergence de points de vue paraît susceptible de prendre un caractère aigu en cas de guerre maritime.3 Un autre sujet qui risque de diviser l'opinion est celui des navires marchands qui sont armés. Il se peut que, dans les guerres de l'avenir, on arme les paquebots et d'autres grands navires à marche rapide avec un ou deux canons à grande portée qui leur permettent, en cas de poursuite, de tenir à distance un croiseur ennemi non armé. Cet armement suffirait-il pour que le commerce neutre n'ose pas charger des marchandises sur ce navire? Ou bien le

1 V. §§ 182, 183.

2 V. § 181.

3 British Parliamentary Papers, Miscellaneous, No. 4 (1909), p. 100.

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