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On admet, en général, qu'un croiseur neutre ne devrait, en aucun cas, servir d'escorte aux navires marchands de l'un ou l'autre belligérant, et que c'est à leurs risques et périls que les navires marchands des neutres s'attachent à un convoi escorté par des croiseurs belligérants. En agissant ainsi ils s'exposent à être capturés par les navires de guerre de l'un ou l'autre parti. Le fait de naviguer sous l'escorte d'un belligérant constitue par lui-même une violation de la neutralité, et le navire qui commet cette faute peut être déclaré de bonne prise, alors même que son voyage fût demeuré irréprochable s'il l'avait poursuivi isolément.

CHAPITRE V

LE BLOCUS

§ 246

l'histoire du

QUAND on parle d'un blocus, en tant qu'opération de guerre La nature et régie par des règles spéciales, c'est toujours d'un blocus blocus. maritime. Sur terre, il est toujours interdit de traverser sans permission les lignes ennemies, et, lorsqu'il s'agit du blocus d'une forteresse, il est entendu qu'il ne peut y avoir de communication entre la place bloquée et l'extérieur. Sur mer, au contraire, il n'est habituellement pas défendu de passer au travers d'une flotte, mais les belligérants prétendent intercepter tous rapports entre les neutres et le port ennemi ou la côte devant lesquels ils ont pu établir une force suffisante pour empêcher l'entrée ou la sortie des navires et capturer ceux qui violeraient la défense. Il n'y a pas de doute sur la légalité de cette prétention, quoiqu'elle n'équivaille à rien moins qu'à l'interdiction de tout commerce neutre, si innocent soit-il, dans une zone donnée. L'usage, d'abord, et ensuite des conventions expresses ont sanctionné cette prétention. Si les neutres s'y soumettent, c'est probablement parce que, lorsqu'elle a été formulée, les neutres étaient déjà habitués à voir chaque belligérant essayer d'empêcher tout commerce entre eux et son adversaire. Dès lors il leur a semblé qu'en formulant une prétention limitée aux lieux bloqués on leur faisait une concession, plutôt qu'on ne leur imposait une servitude.

Le blocus, en tant que procédé systématisé de guerre maritime, nous vient des Hollandais. En 1625 Grotius ne permettait qu'avec hésitation les mesures de rigueur contre ceux qui introduisaient des approvisionnements dans un port bloqué lorsque la reddition en était imminente, ou qu'on

s'attendait déjà à la paix.1 Les États généraux en 1630 allèrent beaucoup plus loin: ils menacèrent de confisquer corps et biens les navires neutres qui tenteraient d'entrer dans les ports de Flandres que bloquaient les Hollandais, ou d'en sortir, ou qu'on trouverait dans de telles conditions qu'il n'y aurait pas de doute sur leur intention d'entrer, ou qu'on pourrait capturer une fois sortis. C'était la suppression de tout commerce avec les lieux bloqués, quelle que fût la nature des marchandises, sans exception pour le cas où la paix ou la reddition étaient imminentes. De plus, les Hollandais prétendaient au droit de capturer en haute mer, loin des lieux bloqués, tout navire contre lequel seraient établis, soit le fait d'en être sorti, soit la volonté d'y entrer. A partir de ce moment, les blocus de toute nature, considérés comme distincts des sièges, devinrent fréquents en temps de guerre. Naturellement on exprima, au début, nombre de doutes au sujet de cette nouvelle pratique. Mais, au cours du XVIIIe siècle, les tribunaux et les juristes des principales Puissances maritimes élaborèrent graduellement la loi des blocus. On admit généralement que les gouvernements neutres doivent se soumettre à la capture, corps et biens, des navires de leurs sujets, lorsqu'il ne s'agissait pas simplement d'un blocus sur le papier, mais d'un blocus maintenu par une force suffisante, quoique de temps en temps des efforts fussent faits pour exercer le droit de saisie sans avoir rempli la condition dont il dépend. Il y eut même de fréquentes discussions sur la portée de cette condition. Des difficultés s'élevèrent à ce sujet et à bien d'autres entre deux écoles que l'on peut appeler, d'après les nations qui les incarnèrent respectivement, l'école anglaise et l'école française. La France soutint l'opinion qui prévalait sur le continent européen, et les États-Unis suivirent, en pratique, le point de vue anglais. Il suffira d'indiquer ici les principaux points du désaccord. Ils sont admirablement mis en évidence par M. Charles Dupuis,

1 De Iure Belli ac Pacis, liv. III, ch. i, 5.

2 Westlake, International Law, IIe partie, pp. 223, 224.

dans son excellent ouvrage sur La guerre maritime et les doctrines anglaises,1 et l'opinion française a été développée avec vigueur et habileté par M. Paul Fauchille dans son traité Du blocus maritime. Heureusement l'époque des rivalités d'école a pris fin. La Déclaration de Londres de 1909 a tranché, par un équitable compromis, les questions en litige. Les principales Puissances maritimes du monde y ont adhéré et l'on peut espérer que la plupart des autres États y accéderont. La ratification de la Déclaration a été ajournée en raison de tout l'intérêt qu'il y aura à constituer ⚫ la Cour internationale des prises en même temps, et, avant d'en arriver là, il faut que la législation intérieure de l'Angleterre ait modifié la procédure en matière de prises et que des difficultés résultant de la Constitution des États-Unis aient été écartées par voie de négociations internationales. même sans qu'elle ait été ratifiée, il y a de bonnes raisons de penser qu'en cas de guerre les règles de la Déclaration seraient observées, puisque sa disposition préliminaire constate qu'elle répond en substance aux principes généralement reconnus du droit international'. Il s'ensuit qu'un exposé détaillé des controverses d'autrefois a surtout un intérêt historique; néanmoins il est nécessaire d'en connaître au moins les grandes lignes pour comprendre complètement la situation actuelle.

Mais

Dans la dernière moitié du xvIII° siècle la puissance maritime de la Hollande avait décliné par rapport à celle de la Grande-Bretagne, et, après avoir été le principal champion des droits des belligérants, elle était devenue l'avocat des droits des neutres. La Grande-Bretagne, d'autre part, s'était montrée plus disposée à interpréter rigoureusement les droits des belligérants, au fur et à mesure que sa force s'accroissait. Les neutres se plaignirent de son impitoyable exercice des droits du blocus. Ils l'accusèrent de ne constituer aucune force adéquate à l'appui de ses proclamations de blocus, et de confier l'exécution de celles-ci à des croiseurs, au lieu 1 V. ch. vi. 2 V. § 192.

d'établir une ligne de vaisseaux de guerre devant les ports bloqués. Les Neutralités armées de 1780 et de 1800 s'occupèrent de la question. La première déclara qu'aucun port ne serait considéré comme bloqué à moins que la proximité d'une escadre n'en rendît l'entrée périlleuse, mais ajouta que les forces bloquantes devaient être stationnaires. La seconde reproduisit cette disposition en la complétant par cette restriction qu'un navire approchant d'un port bloqué ne serait saisissable que s'il avait été prévenu de l'existence du blocus par le commandant de la force bloquante et s'il avait essayé ensuite d'entrer.1 Le Gouvernement anglais admit que les blocus devaient être maintenus par une force suffisante pour rendre difficile l'entrée ou la sortie, mais il repoussa toute obligation de rendre les forces bloquantes stationnaires ou d'avertir individuellement tout navire de commerce approchant. Il réclama aussi le droit de saisir en tout point de la haute mer les navires dont on pourrait prouver qu'ils avaient pris comme point de destination un port bloqué tout en le sachant bloqué, ainsi que ceux qui auraient réussi à sortir des lieux bloqués sans se faire prendre. A leur point de vue, comme l'a dit clairement le professeur Westlake, la faute ne consistait pas à franchir les lignes d'investissement, mais à communiquer avec des lieux interdits '.2

Les Puissances qui avaient participé aux Neutralités armées abandonnèrent bientôt comme belligérants la plupart des principes qu'elles s'étaient efforcées de faire reconnaître comme neutres, et leur doctrine du blocus se trouve jetée par-dessus bord dans leur liquidation générale, quoique ce soit d'elle que paraît être provenue la pratique française du XIXe siècle, exigeant l'avis individuel, restreignant la zone où la capture est permise à l'espace de mer que peuvent couvrir les opérations de l'escadre bloquante, et refusant de faire dépendre la faute d'une simple intention. Au début un injuste

1 C. de Martens, Recueil, vol. i, pp. 193, 194; vol. fi, pp. 215–219. 2 International Law, II° partie, p. 233.

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