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redoublement de rigueurs suivit l'échec de la tentative faite pour résoudre au profit des neutres les problèmes du blocus. Par les Décrets napoléoniens de Berlin et de Milan, et les Orders in Council, rétaliatoires, de 1806 et de 1807, la France et l'Angleterre cherchèrent brutalement à se frapper sans le moindre égard pour le commerce des neutres. La GrandeBretagne proclama le blocus de tout port et de toute ville côtière d'où son pavillon était exclu; la France proclama le blocus de toutes les côtes des Iles Britanniques à une époque où elle n'osait faire prendre la mer à une seule escadre par peur que la victorieuse marine des Anglais ne la capturât.1 La paix de 1815 permit aux passions de se calmer et à la raison de reprendre son empire sur les esprits. L'effet de la réflexion écarta les difficultés, et, en 1856, l'art. 4 de la Déclaration de Paris donna la sanction d'un assentiment unanime à la formule courante que les blocus, pour être obligatoires, doivent être effectifs '. Les mots qui suivent correspondent à une condition impossible à remplir, si on les prend dans leur sens littéral. Ils réservent le qualificatif d'effectifs aux blocus 'maintenus par une force suffisante pour interdire réellement l'accès du littoral de l'ennemi'. Un petit navire pourrait facilement, à la faveur de la nuit, se frayer passage à travers la ligne de blocus la plus effective et rendre vaine la condition dont dépend le caractère effectif du blocus. Il est cependant clair, d'après les explications des principaux hommes d'État des pays qui ont signé la Déclaration, que celle-ci a simplement voulu poser le principe qu'il doit y avoir péril à entrer ou à sortir en cas de blocus. L'idée que la Déclaration de Paris a couvert du consentement général la doctrine du blocus admise par les neutralités armées ne soutient pas l'examen. Sans doute elle insiste, comme ces neutralités, sur la nécessité d'une force suffisante pour mettre en péril ceux qui forceraient le blocus, mais elle n'a pas ajouté, comme elles l'avaient fait, que les 1 Manning, Law of Nations (éd. Amos), liv. V, ch. vi. 2 Wheaton, International Law (éd. Dana), note 233.

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Les diverses sortes de blocus.

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forces bloquantes doivent être stationnaires. L'eût-elle fait, elle eût aboli le procédé de guerre qu'elle s'est proposé de réglementer. Une ligne de vaisseaux ayant jeté l'ancre devant un port ennemi constituerait un si excellent point de mire pour les torpilleurs et les sous-marins qu'il n'en resterait plus un seul après quelques nuits. Aucun État n'exposerait ses navires de guerre à un tel danger. Il aurait fallu renoncer au blocus, ou éventualité plus probable considérer comme lettre morte la Déclaration de Paris. Au contraire, celle-ci a reçu de nouvelles adhésions et elle acquiert une autorité sans cesse croissante. Pendant le demi-siècle de son existence le plus formidable blocus que des croiseurs aient jamais assuré, celui de la côte des États du Sud pendant la guerre de Sécession, a été accepté par les neutres sans une protestation. En vérité l'art. 4 de la Déclaration a autorisé des blocus pratiqués par des navires qui ne sont pas à l'ancre, pourvu qu'ils soient assez nombreux pour rendre périlleux l'accès du port ou de la côte sur lesquels ils doivent veiller. Il a tranché la question des blocus effectifs en légitimant la pratique anglaise qui était aussi celle des États-Unis, sans toutefois interdire l'observation des principes des neutralités armées aux Puissances qui préféreraient s'y conformer, sans égard pour la sécurité de leurs navires et de leurs marins. La Déclaration est restée muette sur les autres questions en litige, mais, les omissions, qui étaient fatales en 1856, ont pu être réparées en 1909 par la Déclaration de Londres.

§ 247

C'est maintenant le lieu de décrire les diverses sortes de blocus et d'expliquer certains termes dont il faudra se servir en exposant la loi du blocus telle qu'elle ressort de la Déclaration de Londres et de ceux des usages modernes que cette Déclaration ne contredit point.

Nous avons déjà vu ce qu'on entend par blocus effectif. Le Code de la guerre navale des États-Unis, publié en 1900,

le définit très exactement comme celui qui est ‘maintenu par une force suffisante pour rendre périlleuse l'entrée d'un port ou la sortie de ce port'.1 Lorsque cette force est en œuvre et qu'elle ferme le port, il y a blocus de facto. Lorsqu'une notification diplomatique a fait connaître que certains ports ou certaines côtes sont bloqués, il y a blocus par notification. S'il n'y a pas, pour maintenir cette notification, une force adéquate, on dit qu'il n'y a qu'un blocus sur le papier, ce qui signifie, en droit, qu'il n'y a pas de blocus du tout, mais seulement un effort illicite pour causer au commerce des neutres un préjudice interdit. Le blocus stratégique est celui qu'on maintient dans le but d'obtenir la reddition de la place bloquée, tandis que le blocus commercial tend à diminuer les ressources de l'ennemi par l'interruption de son commerce extérieur.

Lorsqu'un blocus commercial est habilement et efficacement établi, il cause un grand tort aux neutres, qui sont naturellement portés à se montrer rétifs. Un usage constant, qui remonte à plus de deux siècles, en confirme la légalité ; mais les arguments de ceux qui voudraient le faire interdire, d'un consentement unanime, ne manquent pas de force et méritent qu'on les examine de près. En 1859 le général Cass, alors ministre des États-Unis, écrivit que le blocus d'une côte... dans le but de faire la guerre au commerce, et, par définition, au commerce des Puissances avec qui l'on est en paix et amitié, au lieu de faire la guerre aux troupes armées, est un procédé difficile à concilier avec la raison ou avec les opinions des temps modernes 2.2 Si nous ajoutons à cette affirmation que, bien souvent, le dommage causé par des blocus commerciaux aux neutres dépasse le dommage qu'ils causent au belligérant contre lequel ils sont dirigés, l'objection a beaucoup de poids. L'expérience des ÉtatsUnis eux-mêmes montre cependant que la réplique qui s'impose a plus de poids encore. Moins de deux ans après la

1 V. art. 37.

2 Wharton, International Law of the United States, § 361.

déclaration du général Cass, le président Lincoln établit le blocus commercial le plus considérable et le plus efficace qu'on ait connu au cours de l'histoire. Tandis que les États du Sud possédaient des côtes très étendues, avec de nombreux ports, leur territoire ne touchait qu'à celui d'un État neutre, pauvre et peu développé. Peu d'échanges pouvaient s'opérer par la frontière mexicaine, et, lorsque les flottes des États du Nord réussirent à opérer le blocus effectif de toute la côte des États du Sud, peu d'approvisionnements du dehors purent franchir la frontière, et peu de produits de l'intérieur purent sortir pour être échangés contre des munitions de guerre. Cet isolement des États du Sud contribua beaucoup au succès de leurs adversaires. Il ne fallut répandre que peu de sang pour assurer ce blocus dont l'efficacité fut plus grande que celle des batailles. L'exemple des Puissances insulaires est encore plus frappant. S'il était possible à aucun État ou à aucun groupement d'États de bloquer les côtes de la Grande-Bretagne, la famine l'obligerait à implorer la paix au bout de quelques semaines. D'autre part, lorsqu'un pays dont les ports sont bloqués est contigu à des États neutres bien organisés, il peut s'approvisionner par ses frontières territoriales, même lorsque ses côtes sont bloquées. Si tous les ports allemands de la Baltique et de la mer du Nord étaient bloqués, les 66 lignes de chemins de fer qui franchissent les frontières de l'Allemagne lui fourniraient tout ce dont elle a besoin.1 De plus, il est certain qu'avec les moyens de destruction actuels aucun port militaire bien défendu ne pourrait être hermétiquement fermé, si réduits que puissent être les produits qui y entrent. De même, aucun port de commerce où l'on disposerait de sous-marins et de torpilleurs ne pourrait être bloqué que si l'on avait des forces considérables échelonnées sur plusieurs cordons. Si le blocus peut être encore, dans certaines circonstances, un moyen de guerre des plus effectifs, dans d'autres cas il sera peu utile, et il exigera

1 Macdonell, Some plain Reasons for Immunity from Capture of Private Property at Sea, p. 10.

toujours, pour pouvoir être maintenu d'une manière susceptible d'influer sur l'issue de la guerre, des forces beaucoup plus considérables qu'il y a un siècle. Aucune Puissance ne pourrait tenter un blocus commercial de quelque importance que si elle possédait un très grand nombre de navires de guerre, et sa tentative serait vaine s'il n'y avait pas de sérieuses chances de pouvoir réduire l'État bloqué à l'impuissance en lui coupant les vivres. Cependant si, en pareilles circonstances, le blocus réussissait, il trancherait le conflit avec un minimum de sacrifices de vies et de biens. Ce serait une erreur que d'interdire absolument l'emploi d'un procédé de guerre aussi humain, alors surtout qu'on peut être sûr que les belligérants s'abstiendront, dans leur propre intérêt, d'irriter les neutres en recourant au blocus sans avoir la certitude de son efficacité. Cette condition ne sera pas souvent remplie dans l'avenir. On peut compter que les blocus commerciaux deviendront plus rares que dans le passé; mais, lorsqu'on y aura recours, il faudra mettre en œuvre des forces énormes et produire des effets de longue portée.

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divisions

du blocus.

L'étude du droit actuel du blocus sera plus claire si nous Les suben groupons les dispositions sous quelques titres particuliers. du droit Sir William Scott en a énuméré trois, dans l'affaire de la Betsy,1 et nous pouvons en ajouter un quatrième. Cela nous amènera à examiner séparément : 1° les conditions essentielles d'un blocus effectif; 2° la preuve que ceux qu'on considère comme ayant violé le blocus en connaissaient l'existence; 3o les actes constitutifs de violation du blocus; 4° les sanctions de cette violation. Pour mieux distinguer ces subdivisions, nous les présenterons sous forme de questions, et les réponses que nous ferons à ces questions fourniront les explications nécessaires.

1 C. Robinson, Admiralty Reports, vol. i, p. 93.

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