raison de son application manifeste à d'autres situations. Vers le milieu du XIXe siècle on commença à l'appliquer en matière de contrebande, et, dans certains incidents de la guerre de Sécession, on l'appliqua même en matière de blocus. Au cours de ces applications extensives la doctrine changea imperceptiblement de caractère. Sous son nouvel aspect, elle visa les marchandises plutôt que les navires, aboutissant à ce résultat que, lorsque le chargement devait être transporté, sans qu'une nouvelle opération commerciale fût intervenue, d'un port de relâche neutre, parfaitement innocent par lui-même, à un port de ravitaillement de l'ennemi ou à un port bloqué, ce chargement était saisissable alors même que la deuxième partie de son voyage fût effectuée sur un autre navire, ou même par voie de terre. En dehors des États-Unis, la doctrine ainsi transformée ne trouva guère d'approbation en ce qui concerne ses applications aux blocus, et nous avons vu, dans le chapitre précédent, que la Déclaration de Londres a exclu cette doctrine de ses textes relatifs au blocus. Mais une importante partie de l'opinion a soutenu cette doctrine en matière de contrebande et, en 1896, l'Institut de Droit international l'a admise, sous des conditions soigneusement définies, dans les textes qu'il a élaborés à ce sujet.1 Cette doctrine a été appliquée par plusieurs tribunaux et elle a trouvé place dans les règlements et manuels de la marine de diverses nations, notamment dans les règlements que la Russie et le Japon se sont donnés en vue de la guerre de 1904-1905. Mais, dans l'affaire du Bundesrath,2 l'Allemagne l'a vivement combattue, en soutenant que, la destination de ce navire étant un port neutre, il ne pouvait être question de contrebande, puisqu'il n'y a pas de contrebande de port neutre à port neutre. A la Conférence de La Haye de 1907 l'Allemagne maintint ce point de vue qui fut appuyé d'autre part, tandis que la proposition de la Grande-Bretagne tendant à supprimer toutes les difficultés en abolissant la notion même de la contrebande ne rencontra pas assez d'adhésions 2 V. § 186. Annuaire, 1896, p. 231. pour la faire triompher,1 et a été, depuis, complètement abandonnée. Enfin, en 1899, la Conférence de Londres a réglé la question par un compromis. La doctrine ne doit s'appliquer à la contrebande conditionnelle que dans le cas exceptionnel, et dès lors très rare, où il s'agit d'un État n'ayant pas de frontière maritime. Il serait évidemment injuste de permettre à cet État d'obtenir d'un port neutre ce qu'il n'aurait pu obtenir d'un port qui lui eût appartenu. Les ports d'un belligérant peuvent être bloqués; ceux d'un neutre ne le peuvent pas. Il serait trop facile pour cet État de se faire expédier ses approvisionnements militaires dans des navires neutres qui les débarqueraient impunément dans un port neutre d'où il les ferait diriger, en toute sécurité, par la voie de terre, sur ses camps et sur ses arsenaux. Le seul moyen de prévenir un tel abus est de permettre à l'ennemi d'intercepter les approvisionnements militaires en mer, et c'est ce qu'a permis la Déclaration de Londres, tout en prenant les précautions voulues pour que la destination ennemie des objets soit prouvée avant qu'ils ne puissent être confisqués. Par contre, lorsqu'il s'agit de contrebande absolue, c'est la destination finale des marchandises qui sert de critérium. Il serait absurde de supposer qu'une puissante flotte se laissât paresseusement ballotter sur les vagues devant un port neutre alors que des chargements d'armes et de munitions de guerre y pénétreraient par séries sous ses yeux, pour être dirigés par chemin de fer vers les arsenaux d'un ennemi dont cette flotte aurait déjà chassé les navires et bloqué les ports. La justice exige qu'on ne permette aucun abus de la neutralité. L'humanité proteste contre la prolongation de la guerre qui résulterait de cet abus et la prudence s'oppose à ce qu'on exerce sur la nature humaine la pression qu'il faudrait pour lui faire tolérer un tel résultat. Les compromis sont rarement populaires, mais en pratique ils rendent parfois de grands services. Espérons que ce sera le sort du compromis que nous venons d'examiner. 1 Lawrence, International Problems and Hague Conferences, pp. 186-189. § 258 ments essen en matière bande. On a émis tant d'opinions superficielles au sujet de la Les élécontrebande qu'il est utile de grouper, en les classant en- tiels de la semble, les éléments essentiels qui doivent se trouver réunis culpabilité avant qu'on puisse dire qu'un fait de contrebande a été de contrecommis; ces éléments ont d'ailleurs été déjà incidemment soulignés dans la première partie du présent chapitre. Il faut tout d'abord noter que c'est le fait du transport et non l'acte d'acheter ou de vendre que les textes cherchent à atteindre. Les commerçants neutres sont libres de vendre des armes et d'autres objets de contrebande, sur territoire neutre, aux agents des belligérants. Ce n'est qu'en tant que les articles de contrebande sont exportés à destination d'un belligérant que l'adversaire de celui-ci acquiert le droit de les saisir. En d'autres termes, on permet ce que des auteurs du continent européen ont appelé le commerce passif et on abandonne au belligérant qui peut s'en emparer le commerce actif. C'est là une règle ancienne et bien établie. Bynkershoek l'a posée dans cette claire maxime: Non recte vehamus, sine fraude tamen vendimus.1 C'est la doctrine des tribunaux des prises de tous les États civilisés, et elle n'a jamais été contestée, si ce n'est par ces théoriciens qui voudraient imposer aux États neutres la charge intolérable d'empêcher tout trafic de munitions de guerre entre leurs sujets et les belligérants. En second lieu, il faut que la contrebande soit destinée à un belligérant. C'est ce qu'impliquent toutes les règles de la Déclaration de Londres, et ce qu'indique avec la plus grande clarté le rapport du comité de rédaction qui fut l'œuvre de M. Louis Renault, le distingué jurisconsulte qui représenta la France à la Conférence navale. Ce principe était déjà si bien acquis, il y a un siècle, qu'un tribunal anglais relâcha un navire danois, capturé à Cape Town en 1 Quaestiones Iuris Publici, liv. I, ch. xxii. 2 British Parliamentary Reports, Miscellaneous, No. 4 (1909), p. 43. 1806, en raison de ce que la Grande-Bretagne occupait déjà ce port quand le navire danois y arriva, et que, dès lors, longtemps avant la capture, le chargement pouvait pénétrer dans ce port sans pénétrer chez l'ennemi.1 Quelques années plus tard, une flotte ennemie, mouillée dans un port neutre, fut considérée par un tribunal américain comme constituant une destination ennemie. La Suède était restée neutre dans la guerre de 1812-1814 entre la Grande-Bretagne et les États-Unis, et un navire suédois, le Commercen,2 faisait voile de Cork vers le port neutre de Bilboa; mais il avait un chargement de blé, et il fut établi que son capitaine voulait livrer ce chargement à la flotte anglaise qui mouillait dans ce port. Un corsaire américain captura le Commercen en cours de route, et son cas fut soumis en dernier ressort à la Cour suprême qui le déclara de bonne prise comme ayant eu une destination ennemie. Le principe subsiste même quand il n'y a point de port. Le fait d'approvisionner de munitions la flotte ennemie ou des navires de guerre isolés en haute mer serait un fait de contrebande aussi caractérisé que celui de transporter des obus dans un arsenal. En troisième et dernier lieu, la faute est caractérisée dès l'instant qu'un navire neutre, chargé de contrebande, quitte les eaux neutres pour une destination ennemie, et elle cesse dès que cette destination est atteinte et que les marchandises y sont effectivement déchargées et non déposées ailleurs par subterfuge. Comme l'a dit Lord Stowell, dans l'affaire de l'Imina: Les objets doivent être saisis in delicto, au cours même de leur voyage vers un port ennemi.' La faute est en général constante pendant tout le cours du voyage et prend fin avec la remise des marchandises entre les mains de l'ennemi. Mais si, pendant le voyage, on renonce à la 1 The Trende Sostre: C. Robinson, Admiralty Reports, vol. vi, pp. 390392, note. 2 Wheaton, Reports of the Supreme Court, vol. i, p. 382; Scott, Cases on International Law, p. 766. 3 Voir le cas du Yiksang dans Takahashi, loc. cit., pp. 73–107. • C. Robinson, Admiralty Reports, vol. iii, p. 168. destination ennemie pour une destination innocente, comme ce fut le cas pour l'Imina, ou si, par suite de sa reddition et de sa cession, le lieu de destination a cessé d'être un lieu ennemi, les prises qui seraient opérées après ce chargement ne donneraient lieu à aucune confiscation. § 259 du. transport de Il y a eu, jusqu'à ces derniers temps, de grandes divergences Des sancde vues entre les Puissances maritimes au sujet des sanctions tons d du transport de contrebande. On admettait bien que la contrebande. contrebande était sujette à confiscation, quoique même sur ce point il y ait eu au moins un traité stipulant simplement la mise sous séquestre temporaire1; on admettait aussi que, dans certains cas, la confiscation pouvait s'étendre au navire comme aux biens. Mais on n'était pas d'accord sur la définition de ces cas. Quelques Puissances, comme la GrandeBretagne, les États-Unis et le Japon, s'attachaient principalement à la propriété du navire et autorisaient la confiscation de celui-ci lorsqu'il avait le même propriétaire que les articles de contrebande. D'autres États, comme la France, l'Allemagne et la Russie, considéraient plutôt la proportion existant entre les articles de contrebande et le reste du chargement.2 On pourrait citer d'autres critériums invoqués. Ces critériums se combinaient d'ailleurs entre eux. En fait, la Déclaration de Londres a délivré le monde civilisé d'une diversité de vues qui causait autant de danger que de confusion. Elle permet la confiscation du navire si la contrebande forme soit par sa valeur, soit par son poids, soit par son volume, soit par son fret, plus de la moitié de la cargaison'. Elle ajoute, comme sanction contre les navires transportant une moindre proportion de contrebande, qu'ils ont la charge des frais occasionnés au capteur par la procédure devant la juridiction nationale des prises, ainsi que 1 6 1 Le traité de 1795, entre les États-Unis et la Prusse, qui expira en 1796. V. Treaties of the United States, p. 903. • British Parliamentary Papers, Miscellaneous, No. 5 (1909), pp. 70–73. |