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sur ces points, il est hors de doute que l'entreprise d'un protectorat colonial est un acheminement vers l'annexion complète, et, comme tel, ce protectorat sera discuté quand nous traiterons des droits sur le territoire.1 Ces protectorats ne peuvent pas être des États clients, car ils ne sont nullement des États, c'està-dire des membres de la famille des nations et des sujets du droit international. Tous les rapports qu'ils peuvent avoir avec les États proviennent du fait qu'ils sont, pour ainsi dire, les membres inférieurs de la famille d'une personne internationale importante, la Puissance protectrice.

Les Etats perpétuellement neutres forment un autre cas anormal. Ils ne sont que trois en Europe — la Suisse, la Belgique et le Luxembourg-et sont dans cette condition particulière que leur neutralité permanente est garantie par les Grandes Puissances de l'Europe, pourvu qu'ils ne fassent la guerre que pour défendre leur territoire en cas d'attaque, et qu'en temps de paix ils ne prennent pas d'engagements qui puissent les entraîner à des hostilités dans un autre but que celui de leur défense. On a par suite soutenu qu'ils devaient être, à strictement parler, comptés parmi les États partiellement souverains, puisque ces restrictions équivalent à des limitations d'indépendance. L'État pleinement souverain peut faire tel traité qui lui plaît avec toute Puissance qui consent à entrer en négociations avec lui, et déclarer la guerre chaque fois qu'il juge que les circonstances justifient cet acte extrême. Le priver de ces droits, c'est restreindre sa souveraineté extérieure ; et lorsqu'un État est réduit à souffrir une telle privation, non passagèrement et pour un but spécial, mais d'une manière permanente et comme la condition de son existence, il peut difficilement être regardé comme personne internationale au plein sens du terme. D'autre part, on a déjà dit que les États limitent constamment leur activité future par des accords actuels, et que ces stipulations ne sont pas tenues pour des dérogations à la souveraineté. Rien de plus vrai; mais alors les engagements sont faits par une personne internationale qui est libre de les prendre ou non, comme il lui 1 V. § 80.

plaît, et qui peut les défaire selon l'occasion, au lieu que les États neutralisés d'une façon permanente n'ont pas cette liberté. Ils peuvent, naturellement, s'ils le veulent, faire la guerre et négocier au mépris des traités de garantie et au risque d'une intervention des Puissances garantes. Mais ceci n'est qu'une autre manière de dire qu'un État, ainsi qu'un homme, possède le pouvoir physique de faire toutes sortes de choses défendues, s'il consent à courir le risque des conséquences sous peine de mort ou de moins grave châtiment. Il est vrai aussi que les États perpétuellement neutres ne sont pas placés sous la suzeraineté ou le protectorat des Puissances qui ont garanti leur neutralité. Les petits fragments de souveraineté qui leur sont retirés ne sont pas ajoutés ailleurs. Ils sont en suspens; et le fait qu'ils subsistent prouve que la nécessité supposée de l'existence des pleins pouvoirs de la souveraineté pour toute partie du monde civilisé n'est pas une nécessité, tout comme le partage de la souveraineté entre les États clients et les États patrons montre que la doctrine de l'indivisibilité de la souveraineté est erronée.1 Mais les pouvoirs dont les gouvernements des États de neutralité permanente sont privés sont si minimes en comparaison de ceux qu'ils possèdent pleinement, et la position occupée par ces États par rapport au rang, à l'honneur et à l'influence est si peu affectée par leur neutralisation, qu'il pourrait paraître y avoir de l'affectation à vouloir les classer parmi les États partiellement souverains, quoiqu'ils ne puissent pas exercer légalement une ou deux prérogatives de la pleine souveraineté. Ce sont des anomalies dont le caractère irrégulier ne peut être aperçu qu'au microscope du juriste. C'est pourquoi mieux vaudrait les traiter comme s'ils n'offraient rien d'anormal.

Les transactions internationales qui ont eu lieu durant les cent dernières années au sujet des marches de l'Empire Ottoman ont créé un grand nombre de difficultés et d'anomalies. Bien hardi serait le juriste qui essaierait de donner une réponse positive à cette simple question: l'île de Chypre est-elle possession 1 Westlake, International Law, part I, pp. 27-30; Oppenheim, International Law, vol. i, pp. 140–144.

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britannique ou turque ? Le droit de l'occuper et de l'administrer fut concédé par la Turquie à la Grande-Bretagne par la Convention de 1878, mais une somme importante (92,800 livres) est annuellement payée par le Gouvernement britannique à la Porte en représentation de l'excédent des recettes sur les dépenses au temps où l'île changea de mains. En ce qui concerne la Crète, elle a, d'abord, en juillet 1909, un suzerain nominal, le Sultan de Turquie, un Haut-Commissaire nommé par les quatre Puissances tutrices, la Grande-Bretagne, la France, la Russie et l'Italie; une assemblée, dont tous les membres, sauf dix, sont élus par le peuple. Les affaires intérieures sont administrées par le Haut-Commissaire et le Conseil des Ministres; les affaires extérieures sont entre les mains des représentants des quatre Puissances à Rome. Le peuple est résolu à l'annexion à la Grèce; la Turquie est déterminée à empêcher cette annexion même par les armes; et les Puissances tutrices sont décidées à maintenir le statu quo, ce qui semble signifier que le pavillon turc flottera librement sur le roc de la baie de La Sude, et que les insulaires seront libres de cultiver avec la Grèce d'aussi étroites relations qu'ils le voudront si seulement ils s'abstiennent d'une union légale. Impossible de concevoir confusion plus extraordinaire. Maintenant, en conséquence de la défaite de la Turquie par les Alliés balkaniques, l'union semble, en fait, consommée.

La position de l'Egypte est exceptionnellement irrégulière en même temps qu'exceptionnellement importante. Il ne peut pas y avoir de doute que, d'après la lettre des documents internationaux, elle a été constituée en un État partiellement souverain sous la suzeraineté de la Turquie; mais on ne peut non plus douter que l'autorité de fait en dernier ressort appartient, non au Sultan, mais au Gouvernement de la Grande-Bretagne. Le pays fut pendant des siècles une province de l'Empire Ottoman. En 1831, son gouverneur, Méhémet-Ali, se révolta contre le Sultan. Après quelques années d'une guerre heureuse il était sur le point de prendre Constantinople, quand les Grandes Puissances intervinrent et le contraignirent à

rendre la plus grande partie de ses conquêtes. Mais, par le Quadruple Traité de 1840, et le Firman du Sultan de juin 1841, l'Égypte fut érigée en pachalik héréditaire sous le gouvernement de Méhémet-Ali et de ses descendants; par ces concessions et d'autres, subséquentes, le titre de Khédive fut conféré au gouverneur du pays, qui obtint plusieurs des droits de prince souverain. Il pouvait entretenir une armée, contracter des emprunts, faire des conventions non-politiques avec les Puissances étrangères; et quoique, par le Firman de 1879, le nombre des soldats Égyptiens fût limité à dix-huit mille, et quelques autres restrictions imposées à Tewfik Pacha, alors khédive, il fut laissé en possession de plusieurs des pouvoirs de la souveraineté extérieure. La position du khédive est encore nominalement définie par le Firman, mais la suzeraineté officielle de la Porte a été pratiquement mise de côté, par suite du pouvoir exercé sur les affaires égyptiennes, d'abord par l'Angleterre et la France agissant de concert, puis, quand la France eut cessé sa coopération active en 1882, par l'Angleterre agissant seule. Après que la Grande-Bretagne eut, cette même année, réprimé la révolte d'Arabi Pacha, l'Égypte a été occupée par les troupes anglaises et le pays gouverné d'après les vues britanniques.1 Mais, pendant seize ans, les provinces du sud, appelées Soudan Égyptien, furent submergées par un débordement du fanatisme des derviches et se maintinrent dans une indépendance barbare. Le Soudan fut, cependant, reconquis par une armée anglo-égyptienne, qui, en 1898, abattit la tyrannie du Calife dans la grande bataille d'Omdurman. En vertu de la Convention anglo-égyptienne du 19 janvier 1899, les provinces reconquises furent placées sous le condominium des deux pays, et elles ont toujours été depuis administrées par un gouverneur général nommé par le khédive sur l'avis et avec l'approbation du Gouvernement britannique. La Grande-Bretagne prit avant d'occuper l'Égypte l'engagement de se retirer dès qu'elle aurait relevé les finances et institué une administration indigène satisfai1 Holland, European Concert in the Eastern Question, ch. iv.

sante. Mais les évènements ont tellement accru ses responsabilités que sa retraite causerait la ruine du pays.1 Sa position a été régularisée par un accord avec la France, en date du 8 avril 1904,2 et l'adhésion subséquente des autres Puissances. Ainsi une coopération amicale a remplacé la méfiance et l'intrigue, et un heureux terme a été mis à une période de dangereuse tension. D'après la classification que nous avons adoptée, l'Égypte est certainement un État client. La difficulté est de trouver son patron. Est-ce la Turquie, suzerain officiel, ou la Grande-Bretagne, Puissance qui guide et dirige?

La Papauté est la dernière et la plus grande de nos anomalies. Jusqu'en 1870, le Pape fut un souverain temporel. En cette année, une armée italienne s'empara de Rome, qui fut immédiatement annexée au royaume d'Italie, dont elle devint la capitale. Les États pontificaux disparurent de la carte, et le Pape cessa d'être de fait monarque régnant, quoiqu'il conservât toujours sa grande autorité spirituelle. En 1871, le Parlement italien définit sa position par un statut appelé la Loi des Garanties, contre laquelle les occupants de la chaire pontificale n'ont jamais cessé de protester. Ils ont, cependant, profité de quelques-uns des privilèges qu'elle leur accorde, quoiqu'aucun d'eux n'ait jamais touché la grande somme annuelle qui leur est allouée pour l'entretien de leurs palais et le maintien de leur personnel diplomatique. D'une part, le Pape n'est plus chef d'État. Quoiqu'aucune autorité du royaume italien ne puisse entrer dans sa demeure sans son aveu, cependant ses demeures ne sont pas à lui et ses fonctionnaires ne sont pas ses sujets. Il peut négocier des concordats, mais ce ne sont pas des traités. Ses agents à l'étranger, et les agents qu'il reçoit des États étrangers, jouissent des immunités diplomatiques,

1 Débat à la Chambre des Communes, 10 août 1882, Hansard, 3o série, vol. cclxxiii; Discours de Lord Salisbury à la Mansion House, 9 nov. 1898.

2 Appendice au vol. i d'Oppenheim, International Law; Supplement to American Journal of International Law, vol. i, pp. 6-8.

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