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§ 46

États dont l'indépendance est

Le dernier cas, et le plus fréquent, d'admission dans la société des États civilisés se présente quand la reconnaissance de l'indéreconnue à la pendance est accordée à une communauté politique qui s'est

suite de leur

séparation d'un autre

État.

retranchée du corps politique auquel elle appartenait auparavant
pour se donner une existence nationale distincte. La communauté
ainsi reconnue doit, naturellement, posséder un territoire déter-
miné, soumis à l'autorité d'un gouvernement organisé qui l'ad-
ministre d'une manière conforme à la civilisation, se faire obéir
de ses citoyens, et parler avec autorité, en leur nom, dans ses
rapports avec les autres États. L'acte de reconnaissance est
un acte normal, pleinement compatible avec le maintien des rela-
tions pacifiques au regard de la mère patrie, pourvu toutefois
que
la lutte soit, ou définitivement ou virtuellement, terminée
dans un sens favorable à la nouvelle communauté. Ainsi la

reconnaissance de l'indépendance des États-Unis par les
Puissances qui l'accordèrent après que la Grande-Bretagne
les eut elle-même reconnus indépendants aux préliminaires
de 1782 ne fut pas un acte hostile envers elle, mais leur
reconnaissance par la France en 1778, au plus fort de la
lutte dont le résultat était alors extrêmement incertain, fut un
acte d'intervention que la métropole avait le droit de venger, ce
qu'elle fit par la guerre. Autre exemple: quand l'indépendance
des colonies hispano-américaines révoltées fut reconnue par la
Grande-Bretagne, l'Espagne n'avait pas de motif de se plaindre
d'une violation du droit international, parce qu'aucune reconnais-
sance ne fut en aucun cas accordée avant la cessation de tout
effort sérieux pour relever sa suprématie, quoique sur le papier
elle maintînt toujours ses revendications. La reconnaissance fut
donnée d'abord à Buenos-Aires en 1824: à cette date, la lutte
avait duré vingt ans, et la colonie était libérée de la souveraineté
de l'Espagne depuis quatorze ans. La reconnaissance du Texas
par les États-Unis offre un cas analogue. En 1836 les Texiens in-
surgés, non seulement battirent l'armée mexicaine à San-Jacinto,
mais firent prisonnier le Président du Mexique; les tentatives
ultérieures du Mexique pour rétablir son autorité furent abso-

lument impuissantes: la lutte était finie quand les États-Unis reconnurent la république du Texas en 1837.1 Mais il est hors de doute que les nécessités politiques ou les sympathies nationales hâtent quelquefois la reconnaissance: il en fut ainsi quand, en 1903, les États-Unis reconnurent l'indépendance du Panama moins de quinze jours après sa séparation de la République de Colombie, et, cinq jours après cette reconnaissance, signèrent avec lui un traité qui leur donnait des facilités, que la Colombie avait refusées, pour la construction par le gouvernement américain d'un canal entre l'Atlantique et le Pacifique. De plus, il ne faut pas se hâter de conclure que, parce que la plupart des formations d'États nouveaux par séparation entraînent l'usage de la force, aucune ne s'est accomplie pacifiquement. Le contraire est démontré par la reconnaissance amiable de l'indépendance du Brésil par le Roi Jean VI du Portugal en 1825, et la séparation sans effusion de sang de la Norvège, détachée de la Suède en 1905.

§ 47

manières de

dance.

La reconnaissance peut avoir lieu de plusieurs manières. Les diverses Parfois la déclaration formelle de reconnaissance est faite dans reconnaître un document séparé et indépendant: ce fut ainsi que les États- l'indépenUnis reconnurent l'État Libre du Congo en 1884.3 Parfois cette déclaration prend place dans un traité qui se réfère également à d'autres questions, ce qui fut le cas de l'Allemagne quand elle reconnut, la même année, le même État. Parfois la reconnaissance est conditionnelle: ainsi l'indépendance de la Roumanie, de la Serbie et du Monténégro fut reconnue, au Traité de Berlin de 1878, à charge par ces États de n'établir entre leurs sujets aucune différence de capacité pour cause de religion.5 La reconnaissance peut être effectuée, sans déclaration expresse, par

1 Historicus, Three Letters on Recognition; Moore, International Law Digest, vol. i, pp. 72-119.

2 Moore, International Law Digest, vol. iii, pp. 53, 55, 261.

3 Supplement to the American Journal of International Law, vol. iii, pp. 5, 6.

'British Parliamentary Papers, Africa, No. 4 (1885), pp. 263–264.

* Holland, European Concert in the Eastern Question, pp. 293–303.

l'établissement avec la communauté reconnue de relations qui ne peuvent exister qu'entre États indépendants. Ainsi n'y a-t-il pas de déclaration formelle de reconnaissance dans le Traité d'amitié et de commerce entre la France et les États-Unis en 1778; mais l'indépendance des colonies révoltées est sousentendue à chaque article, et, à plusieurs reprises, elles s'engagent à faire ce qui ne peut l'être que par des États souverains.1 L'envoi d'un représentant diplomatique dûment accrédité, ce que firent les États-Unis dans le cas du Texas, a le même effet que la négociation d'un traité. L'un et l'autre sont des actes de souveraineté. Les accomplir au regard d'un candidat à l'admission dans la famille des nations suppose que, en ce qui concerne l'État qui les accomplit, la demande du candidat est accordée. La reconnaissance faite par un État ne lie nullement les autres. Mais l'exemple, une fois donné, doit être bientôt suivi, à moins que la communauté nouvellement reconnue ne perde presque immédiatement son indépendance de facto, ou soit si petite et si peu importante qu'elle puisse être impunément négligée. La promptitude ou la lenteur de la reconnaissance est souvent déterminée par les sympathies politiques; mais aucune Puissance ne peut persister indéfiniment à fermer les yeux sur les faits accomplis. Lorsqu'une province ou une colonie a conquis une réelle indépendance, sa reconnaissance doit venir tôt ou tard, même de la mère patrie. L'initiative, en ces matières, est habituellement prise par le gouvernement d'un pays influent. Parfois les Grandes Puissances de l'Europe agissant de concert s'unissent sur la reconnaissance, comme lorsqu'elles admirent la Turquie à participer aux avantages du droit public en 1856, ou donnèrent satisfaction aux aspirations des États balkaniques en 1878. Dans ces cas, les petits États ont suivi l'exemple de leurs puissants voisins. A vrai dire le concert européen, qui représente l'accord de six Grandes Puissances, peut être considéré comme représentant en ces matières l'ensemble de l'Europe, avec le droit de parler en son nom.

1 Treaties of the United States, pp. 296–305.

§ 48

de la vie de

État.

Considérés comme membres de la société des nations, les États Continuité sont des corps constitués agissant par leurs gouvernements. Chaque État est lié par les engagements contractés par ses chefs en son nom, sauf violation flagrante de sa loi et de sa constitution. Les autres États n'ont pas le droit de déterminer quel individu ou quel corps de l'État doit diriger les affaires extérieures de cet État. Ils doivent négocier avec ceux qui sont légalement désignés pour cela. Tout ce qu'ils ont le droit de demander, c'est qu'il y ait quelqu'un qui puisse parler au nom de l'État et prendre pour lui des engagements qu'il regarde comme obligatoires.

La continuité de l'État n'est pas affectée par les changements de la forme du gouvernement, ou les modifications, en plus ou en moins, de l'étendue du territoire. Qu'il devienne tour à tour empire, royaume, et république, ou qu'il garde une de ces formes pendant des siècles, c'est toujours la même personne internationale. Les autres Puissances reconnaissent presque toujours la nouvelle forme de gouvernement d'un État très ancien, afin de pouvoir continuer leurs rapports avec lui. Refusent-elles cette reconnaissance, aucune relation officielle n'est possible jusqu'au moment où elles changent de politique. Mais la personnalité de l'État subsiste toujours. Elle ne cesse pas d'exister parce qu'elle est méconnue.

Un État, cependant, perd sa personnalité quand il est entièrement anéanti comme sujet du droit international, soït en s'absorbant dans un autre État, comme la république du Transvaal et le Texas, soit en entrant dans une étroite union fédérale avec d'autres États, comme les cantons suisses en 1848, ou en se divisant en plusieurs États comme la première république de Colombie, qui se partagea en 1832 entre trois États: Vénézuéla, Équateur et Nouvelle-Grenade, cette dernière devenant en 1863 la république actuelle de Colombie, dont Panama se détacha en 1903. De plus la formation d'une union incorporée ou d'une union réelle implique l'extinction de la personnalité

Succession d'État.

internationale des États qui les composent, et leur remplacement par une nouvelle personnalité internationale qui résulte de leur association. Il y a, en outre, d'autres changements qui, sans mettre fin à l'existence de l'État, altèrent en fait son caractère. Ainsi, quand un État souverain devient partiellement souverain, ou qu'un État du type ordinaire accepte la neutralisation permanente, ou quand les mêmes changements ont lieu, mais dans l'ordre inverse, l'État se survit, bien que sa nature soit très

considérablement modifiée.1

2

§ 49

Par succession d'Etat on entend la substitution d'un État à un autre, le successeur continuant à jouir des droits et à s'acquitter des obligations de son prédécesseur. L'idée de succession dans le sens de substitution est venue du droit romain, d'après lequel l'héritier prend la place de la persona du défunt et entre dans son vêtement légal. Les publicistes ont depuis Grotius adopté cette idée et tâché d'introduire dans le droit international des principes et des règles dérivés du Corpus Iuris Civilis. Mais comme un État diffère grandement d'un individu, et que, dans les cas de cession, l'État qui cède existe encore pour faire des conditions du transfert l'objet d'un marché, il en résulte que l'État successeur n'occupe jamais exactement la position légale de son prédécesseur. C'est pourquoi, en essayant de lui appliquer des théories basées sur la substitution de personnes, on tombe dans une grande confusion. Les règles ne sont posées que pour être modifiées. La donnée pratique s'oppose à la donnée technique; sous la trompeuse apparence d'un raisonnement strictement légal se cache une grande quantité de doutes et d'inconvénients. Mieux vaudrait négliger les données techniques et remplacer les déductions qu'on en tire par de continuelles références à la pratique des États. Dans une certaine mesure, on l'a déjà fait; pour l'achever il faudrait un gros volume, fruit de longues et laborieuses recherches. 1 Rivier, Droit international, vol. i, pp. 65–69. 2 De Iure Belli ac Pacis, liv. II, ch. ix.

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