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Et finalement, il arriverait que peu de principes reçus et de règles adoptées émergeraient de la masse des cas. Le reste ne serait, la plupart du temps, qu'un pur chaos d'exemples contradictoires. Mais, çà et là, il serait possible de discerner une tendance qui pourrait avec le temps prévaloir et produire une nouvelle règle. Tout ce qu'on peut faire ici, c'est parler très brièvement, d'abord, de l'annexion totale, et ensuite de la cession par un État à un autre d'une portion de son territoire. Sous chaque chef, il y aura à parler des personnes et des choses.

Lorsqu'un État absorbe en entier le territoire d'un ennemi conquis, l'État vaincu disparaît en tant que personne internationale. Ses sujets deviennent les sujets du conquérant, s'ils continuent à résider sur le sol transféré. Mais s'ils quittent immédiatement le territoire, ou si, non présents sur le territoire quand la cession a eu lieu, ils n'y reviennent pas s'établir, leur position est incertaine. On les a crus, dans certains cas, sujets du conquérant; mais la tendance est, depuis quelque temps, de les considérer comme appartenant à l'État étranger où ils se seraient fait naturaliser. Quant à demeurer citoyens de l'État d'origine, ils ne le peuvent plus, puisqu'il a cessé d'exister.1

En ce qui concerne la propriété, c'est, pour le conquérant, un droit indiscutable de prendre tout l'actif de l'État vaincu ou de la communauté belligérante. La question de savoir s'il prend aussi les dettes et s'il est tenu d'exécutèr les contrats de la personne internationale éteinte est douteuse, quoique le courant de l'opinion semble prendre la direction de l'affirmative. Les commissaires des concessions du Transvaal nommés par le Gouvernement britannique en 1900 ont déclaré dans l'introduction à leur Rapport qu'un État qui en a annexé un autren'est pas légalement lié en vertu des contrats faits par l'État qui a cessé d'exister'. Mais l'opinion dominante en Angleterre semble contraire; 2 et les commissaires eux-mêmes atténuent l'intransigeance de cette formule dans les passages qui la suivent

1 Despagnet, Droit international public, pp. 343-345; Westlake, International Law, part I, pp. 69–71; Cogordan, La Nationalité, pp. 300–340. 2 Voir Westlake, International Law, part I, pp. 81-83; Hall, International Law, 5th ed., p. 99; Oppenheim, International Law, vol. i, p. 122.

immédiatement. Ils admettent que l'usage moderne des nations a tendu vers la reconnaissance de ces contrats', et approuvent expressément l'idée que les obligations de l'État annexé à l'égard des personnes privées doivent être respectées', avec certaines restrictions, dont la plus importante est que ' l'État annexant serait fondé à refuser de reconnaître les obligations assumées par l'État annexé dans un but immédiat de guerre contre lui'. En fait, les commissaires basaient les conclusions de leur rapport sur le principe de la protection de toute personne dans la possession et la jouissance de droits régulièrement acquis par l'accomplissement des conditions régulières.1 Ainsi la pratique de la Grande-Bretagne en cette occasion appuie la doctrine que l'État successeur prend avec les biens de l'État éteint ses dettes et ses obligations. Quelques juristes prétendent que cette doctrine s'étend même aux obligations assumées en vue de faire la guerre qui aboutit à la conquête.2 Mais tant que la nature humaine restera ce qu'elle est, on peut difficilement s'attendre à ce que les vainqueurs remboursent les sommes avancées dans le but d'assurer, s'il se peut, leur défaite. On discute encore le point de savoir si l'obligation de payer les dettes dépasse les limites de l'actif reçu. Les traités de l'État éteint meurent avec lui, à l'exception des clauses qui fixent les frontières du territoire transféré, ou créent des droits en lui ou sur lui, tels que le droit de pêche dans ses eaux ou de transit sur ses chemins de fer. D'autre part, les traités de l'État annexant s'appliquent à l'État annexé. Il va presque sans dire que, chez les États civilisés, la conquête ne touche pas aux droits et devoirs privés des particuliers.

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Un grand nombre des règles de l'absorption totale d'un État par conquête s'appliquent à l'annexion d'une partie d'État par cession. Mais il y a cette grande différence que, dans le second cas, il reste toujours une personne inter

1 British Parliamentary Papers, South Africa, 1901, Cd. 623, pp. 6–8. 2 Oppenheim, International Law, vol. i, p. 123.

3 Westlake, International Law, part I, pp. 75-78.

4 Despagnet, Droit international public, pp. 97-102; Westlake, International Law, part I, pp. 59-62, 66–68.

nationale pour négocier les termes de la cession, recevoir l'acte de fidélité de ceux des sujets du territoire cédé qui veulent garder leur nationalité primitive, posséder les droits et remplir les obligations de ses traités, et réclamer du vainqueur l'exécution des devoirs qu'il juge lui incomber au regard des personnes et des biens des territoires qu'il a acquis. Le changement de nationalité est naturellement compris dans toute cession. Les habitants du pays cédé deviennent les sujets de l'État auquel il est cédé. Mais la pratique leur permet, depuis la capitulation d'Arras de 1640 et l'annexion de Strasbourg de 1697, de garder leur nationalité première s'ils quittent le territoire cédé en leur laissant un délai, généralement d'un an, pour opter. La concession d'une faculté de cet ordre est devenue une clause de style des traités de cession. Elle fut d'abord accompagnée de la condition que ceux qui choisiraient l'alternative du départ vendraient les terres et maisons qu'ils avaient dans le territoire cédé; mais on n'a vu qu'une survivance d'une pareille rigueur dans les temps modernes. L'option a été accordée si constamment qu'elle pourrait être à juste titre réclamée comme un droit, quand même un traité de cession n'aurait pas de clause qui l'accordât en termes exprès, ou dans les rares cas où il n'y a pas eu traité de cession, mais seulement acceptation tacite de la part de l'État dépossédé par le fait de la conquête. L'application des détails a suscité maintes difficultés. Le changement d'allégeance, et, par conséquent, la liberté d'option, s'applique-t-il aux sujets de l'État cédant domiciliés sur le territoire cédé au moment de la cession, ou à ceux qui y sont nés ? Le droit d'option appartient-il aux femmes mariées et aux mineurs, ou bien leur nationalité est-elle déterminée pour eux par leurs maris et leurs parents? Si les mineurs doivent faire eux-mêmes le choix, le délai d'option sera-t-il prolongé jusqu'à ce qu'ils atteignent l'âge de leur majorité ? A ces questions et à d'autres semblables il n'est pas possible de donner des réponses précises fondées sur des principes

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généraux. Il est à souhaiter que chaque traité de cession contienne des règles explicites à ce sujet.1

Quant à la propriété d'État et aux obligations d'État, plus d'une des règles de l'absorption totale s'applique à la cession. Mais, dans le second cas, certaines questions, l'attribution des dettes d'État, et l'obligation d'exécuter les contrats d'État, sont presque toujours réglées dans l'acte passé entre l'État annexant et l'État démembré. Le principe le plus en faveur chez les auteurs modernes est que l'État successeur assume la dette locale du territoire cédé, et acquitte les obligations locales légalement contractées pour lui par l'État prédécesseur. On avance aussi qu'une portion équitable de la dette générale doit être cédée en même temps que le territoire qui change de main. Mais ceci n'est advenu qu'à de rares reprises, notamment quand le nouveau souverain voulait se faire bien voir aux yeux du monde, comme l'Italie, lorsqu'en 1860 elle prit sur elle une partie de la dette du Pape en s'annexant une partie des États pontificaux. En 1898 les États-Unis refusèrent de prendre à leur charge la dette mise à celle de Cuba par l'Espagne, et ne voulurent pas permettre au Gouvernement cubain de la prendre. Et, en 1905, aucune portion de la dette russe ne passa au Japon en même temps que la partie méridionale de l'île de Sakhaline, qui fut cédée par la Russie avec tous ses travaux publics et domaines publics'. Un territoire cédé, en passant d'un État à un autre État, sort d'un réseau de droits et devoirs internationaux pour entrer dans un autre. Tout ce qu'on peut dire qu'il y ait à prendre avec lui, ce sont les droits locaux, les obligations locales, les possessions locales.2

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1 Cogordan, La Nationalité, pp. 300-346; Westlake, International Law, part I, pp. 71-74; Despagnet, Droit international public, pp. 345–350.

2 Westlake, International Law, part I, pp. 60-63, 78-81; Hall, International Law, 5th ed., pp. 98, 99; Takahashi, International Law applied to the Russo-Japanese War, p. 775.

CHAPITRE IV

LES SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL

§ 50

Sources du

droit inter

national.

ON doit se faire une idée claire de ce qu'on entend par Sens des mots l'expression 'sources du droit' avant de pouvoir discuter quelles sont les sources du droit international. La source d'une rivière est le lieu d'où elle sort en cours d'eau- un lac, ou une fontaine jaillissant à la surface de la terre. Si nous suivons étroitement l'analogie, nous dirons que la source d'une règle de droit donnée est l'endroit où on la trouve tout d'abord. Mais la règle pourra d'abord se présenter sous la forme d'une suggestion, d'une simple proposition avancée dans l'espoir qu'elle sera acceptée; et, pendant cette période préparatoire, ce ne sera pas une vraie loi. La loi doit, à vrai dire, être formulée, mais elle doit encore recevoir l'autorité, au lieu qu'une rivière n'a qu'à venir à la lumière du jour pour être une rivière, que les hommes en aient ou non besoin. Si nous prenons la source d'un droit pour désigner son commencement en tant que loi, revêtue de toute l'autorité requise pour produire sa force obligatoire, alors, au regard des affaires internationales, il n'y a qu'une source de droit, le consentement des nations. Ce consentement peut être ou tacite ou exprès. Tacite, il se montre par la coutume, c'est-à-dire l'observation habituelle de certaines règles de conduite par les États dans leurs rapports mutuels, quoiqu'ils ne se soient pas solennellement obligés par des promesses d'agir ainsi. Exprès, il se donne par les traités, lorsque ces instruments établissent des règles de conduite que les Puissances signataires s'engagent à observer à l'avenir.1 Si, d'un autre côté, l'on prend pour sources du droit international les lieux où ses règles ont d'abord pris naissance 1 Oppenheim, International Law, vol. i, pp. 20–25.

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