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guer d'un droit légitime, je veux dire le pouvoir de régler certaines questions comme ils l'entendent, les petits états étant obligés d'acquiescer à leurs décisions.'

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Dans les Principes il déclare qu'un examen de l'histoire internationale moderne révèle une primauté exercée par les principales puissances du monde civilisé', et, dans la Société des nations, il parle des fanatiques de l'égalité des états, des publicistes qui aimeraient mieux voir le droit et la justice assassinés dans le forum international que protégés efficacement par la reconnaissance légale des inégalités de puissance et d'influence qui existent parmi les états du monde civilisé. Il est permis de douter que les petits états, lors de la récente conférence de paix de Paris, aient été suffisamment impressionnés par la sagesse et l'équité des principales puissances alliées et associées pour reconnaître leur primauté et placer leurs destinées entre les mains de leurs représentants. La puissance ou la faiblesse ne produisent, à cet égard, aucune différence. Un nain est aussi bien un homme qu'un géant : une petite république n'est pas moins un état souverain que le plus puissant royaume.' Nous croyons que la vraie doctrine a été exprimée dans cette citation de Vattel, dont la gloire en tant que publiciste n'est pas près de s'éteindre.

Le dernier des Essais que nous ayons à considérer est celui où le docteur Lawrence traite de l'Evolution de la Paix, sujet qu'il avait à cœur, qui guidait sa pensée s'il ne la gouvernait pas, et qui colore tous ses écrits quand ils ne sont pas expressément consacrés aux moyens de réaliser cet idéal lui-même. Les plus grandes forces dans la vie moderne, déclare-t-il dans cet essai remarquable, sont le Commerce, la Démocratie et le Christianisme ', et il ajoute qu'elles sont rangées ensemble du côté de la paix'. Il reprend ces mêmes idées, plus en détail mais brièvement encore, dans les lignes suivantes :

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'Le commerce fleurit au plus haut point là où règne la sécurité la plus parfaite; et la participation du peuple aux

affaires du gouvernement place le droit de veto entre les mains de ceux qui souffriraient le plus d'une guerre. Ainsi le développement du commerce et la croissance de la démocratie ont eu pour effet accidentel de fortifier les sentiments pacifiques des hommes civilisés. Mais en plus de ces forces dont l'objet principal n'est point la paix, mais dans le premier cas la production de la richesse et dans le second l'augmentation de la liberté politique, il existe une cause puissante qui contribue directement et immédiatement à restreindre les passions belliqueuses de la nature humaine, je veux parler de l'application de la morale chrétienne aux transactions internationales.'

Faisant appel à l'histoire il retrace les étapes par lesquelles nos ancêtres renoncèrent aux guerres privées, car il pensait et fort justement que ce que de petits groupes avaient accompli, les groupes plus importants que nous appelons états pourraient l'accomplir à leur tour:

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Quand nous jetons un regard en arrière sur l'histoire du progrès humain nous pouvons voir que les passions de l'homme primitif étaient si impérieuses et sa raison si faible que rien ne pouvait le satisfaire que la sauvage justice de la vengeance. Nous suivons l'accroissement de l'autorité de l'état à mesure que l'organisation s'affirme comme un puissant facteur dans la lutte pour l'existence. Nous voyons comment cette autorité essaya d'abord de régler l'emploi de la force dans les querelles privées et fournit ensuite une alternative dans les tribunaux qu'elle établit et qu'elle arma de pouvoirs de coercition. L'étape suivante nous montre la survivance du plus apte dans l'accroissement de l'autorité des cours de justice et dans la décadence des guerres privées. Enfin la civilisation bannit complètement la vendetta et l'homme civilisé la considère comme une marque de barbarie quand il l'observe dans des communautés moins avancées.'

Passant aux guerres publiques il dit :

'De même que dans la première phase de l'histoire des guerres privées les passions de l'individu lésé ont été la mesure de la sévérité du châtiment, de même dans la phase

correspondante de l'histoire des guerres publiques les passions de la tribu conquérante sont la mesure des atrocités commises sur les vaincus.'

L'analogie d'ailleurs ne s'arrête pas là :

'Dans la seconde phase la ressemblance entre l'histoire des guerres publiques et privées est aussi complète que dans la première.... Dans les relations des conflits internationaux nous retrouvons la croissance graduelle d'un système de règles, fondées sur la coutume, qui contiennent la férocité des combattants et qui introduisent la clémence et la bonne foi dans une sphère de l'activité humaine dont elles avaient été absentes auparavant. Le consentement tacite des états civilisés remplace l'opinion publique de la communauté.'

D'une manière analogue les nations ont eu recours à l'arbi trage et ont constitué des tribunaux temporaires, tout comme dans la troisième phase du docteur Lawrence 'l'État constitua des tribunaux auxquels les personnes lésées pouvaient avoir recours au lieu d'essayer de se faire justice à elles-mêmes.' Et dans son remarquable petit essai le docteur Lawrence sentait et déclarait que les nations étaient entrées dans la quatrième phase, car il notait que nous avons commencé à regarder les conflits internationaux comme barbares.' Trente-quatre ans plus tard, revenant à cette phase de son sujet, il écrivait :

'Depuis un certain temps nous avons vécu sous une forme d'ordre international correspondant dans l'ensemble à l'ordre intérieur qui subsista pendant des siècles dans les plus vieilles communautés-états. Graduellement on institua des tribunaux chargés de juger les querelles entre individus et d'infliger le châtiment des crimes, tandis que le vieux droit de vengeance privée, s'il n'était pas au début entièrement aboli, n'était admis que dans la limite de règlements très stricts. De la même façon les nations ont eu leurs tribunaux d'arbitrage et elles ont eu recours à eux de plus en plus fréquemment ; mais elles n'ont pas encore abandonné le droit de faire la guerre à leur gré et selon leur bon plaisir, bien qu'elles aient accepté d'observer plus ou moins, durant les hostilités, cer

taines restrictions qui ont pris forme dans ce que nous appelons les lois de la guerre. La société des nations est maintenant dans les mêmes conditions que la société des individus en Angleterre au temps d'Alfred le Grand, qui stipulait dans ses jugements que les parents d'un homme assassiné devraient attendre sept jours avant d'attenter à la vie du meurtrier, et que, si ce dernier consentait dans cet intervalle à payer la compensation en argent qui constituait la réparation légale de son crime, il ne pourrait aucunement être attaqué. En d'autres termes, elle commence tout juste à sortir de la barbarie. Mais, de même que les individus furent avec le temps complètement réconciliés avec les procédés légaux et qu'ils donnèrent leur assentiment à des lois qui rendaient punissable ce recours à la vengeance familiale qui avait été l'orgueilleux privilège de tout homme libre, de même il pourra se faire que des états s'accordent bientôt à mettre au ban de l'humanité, comme ennemis du bien public, ceux d'entre eux qui auront recours à la guerre au lieu de faire appel à des tribunaux d'arbitrage et à des comités de conciliation. Cette suggestion est loin d'être une utopie. Mise en pratique elle contribuerait simplement à avancer d'un cran de plus une évolution qui déjà s'est accomplie dans ses premières phases suivant un mode très semblable au développement historique de la société à l'intérieur des états progressifs.'

Le docteur Lawrence exprimait ainsi ses conclusions définitives dans La Société des Nations, ouvrage écrit pendant la dernière année de la guerre et dont la préface date de six semaines avant l'armistice avec l'Allemagne :

'Nous avons vu maintenant qu'il y a quatre besoins sur la satisfaction desquels l'humanité civilisée devrait insister dans n'importe quel système ayant pour but la création d'un ordre international nouveau et meilleur, soit par l'établissement d'une Société des Nations, soit par tout autre moyen. Ce sont, premièrement la création de cours d'arbitrage chargées d'examiner les cas susceptibles de traitement judiciaire, secondement l'établissement de comités de conciliation par le règlement des cas impossibles à ajuster par la voie légale, troisièmement l'organisation d'une force inter

nationale à employer en dernier recours pour obliger les états récalcitrants à se soumettre aux décisions de ces tribunaux et comités, et quatrièmement le désarmement proportionnel et simultané de toutes les puissances civilisées, à l'exception des seules forces nécessaires à la sauvegarde de l'édifice social. Le premier de ces besoins peut être satisfait en poussant un peu plus avant les plans déjà établis, et partiellement mis à même d'être exécutés, par les Conférences de la Haye de 1899 et de 1907. On pourrait remédier au second par la réforme radicale et par le vigoureux développement du système du concert européen et du concert mondial, qui a eu une existence si embryonnaire et si précaire pendant plusieurs générations. En nous occupant du troisième nous pouvons tirer des conclusions utiles des rares occasions où une force internationale a été employée à exercer une pression sur un état qui bravait le concert européen. Quant au quatrième, il n'existe pas de précédents, mais des propositions visant un désarmement partiel ont été faites par des gouvernants responsables en plusieurs occasions, et récemment, en 1907, la Seconde Conférence de la Haye a passé à l'unanimité une résolution déclarant que l'étude de la réduction des charges militaires par les puissances était au plus haut point désirable.

Toutes ces remarques concernent directement l'organisation et le fonctionnement de la Société des Nations.

'Mais il faudra prévoir en outre la révision périodique des actes de cette société et aussi l'amélioration et l'extension du code international sous lequel elle devra vivre et que ses cours devront appliquer. A cet effet un corps de la nature d'une assemblée législative sera nécessaire, et les nations en possèdent déjà le germe dans la Conférence de la Haye. Bien des réformes s'imposent à la fois dans sa constitution et dans sa procédure. Mais elle est là, prête à s'adapter aux besoins de l'ère nouvelle.'

Il est notoire que, dans le cours de sa laborieuse existence de soixante-dix ans, le docteur Lawrence a publié bien des contributions utiles et renommées à la science du droit international, dont il était un maître incontesté, malgré qu'il fut par profession clergyman de l'église établie d'Angleterre.

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