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protestants, grâce à l'édit de Nantes, jouissent de tous les droits de citoyens; ils peuvent aspirer à tous les emplois; ils ont des villes où leur culte se célèbre sans entraves, des chambres mixtes dans les parlements, où leurs affaires sont examinées par des juges qui appartiennent à leur croyance. Cette paix aurait pu être durable, même dans un pays où les fils des victimes de la Saint-Barthélemy coudoyaient à chaque pas les fils des ligueurs, si l'on avait eu dans le cœur des sentiments véritablement chrétiens. Mais le feu des haines religieuses n'était que comprimé sans être éteint. Les hommes d'État et les fanatiques aspiraient avec nne égale ardeur au renversement de l'édit de Nantes. Henri IV, disaient les politiques, a organisé le parti protestant comme parti, non comme religion, il a constitué un État dans l'État; cette égalité armée de deux religions en présence l'une de l'autre ressemble plutôt à une trêve qu'à la paix. Ces raisons n'étaient pas sans force. L'intolérance de son côté ne songeait pas à la politique, ou elle n'y songeait qu'en sous-ordre, pour trouver des auxiliaires dans les hommes d'État; elle avait ses arguments à elle; elle combattait pour sa propre main. Qu'était-ce à ses yeux qu'un huguenot, sinon un homme obstiné dans l'erreur, et qu'il fallait contraindre à rentrer dans le bon chemin, s'il n'écoutait pas les raisons et refusait de se laisser convaincre? Et qu'était-ce qu'un ministre huguenot, sinon l'apôtre d'une erreur mor

telle? Le roi devait à Dieu, à l'Église, à sa conscience, au bonheur des peuples dont la destinée lui était confiée, de combattre par tous les moyens le fléau de l'hérésie. L'Espagne pouvait lui servir d'exemple. Malgré l'inquisition, malgré toute la vigilance d'un gouvernement absolu, l'hérésie, qui se rit de toutes les barrières, et qui prend des forces et des accroissements dans le péril, avait menacé de l'envahir. Elle avait pénétré dans le clergé, dans les cloîtres'. Le vieux roi Charles-Quint, retiré dans son couvent de Saint-Just, en avait frémi. Mais Philippe II, se souvenant que sa maison avait été en Europe la ferme colonne de la foi, n'avait reculé devant aucun

1. Rodrigo de Valer avait, le premier, prêché la réformation à Séville. Après lui le docteur Egidius, Constantin Ponce et Vargas, et, plus tard, Lozada, un médecin, Cassiodoro, un moine, répandirent son enseignement dans l'Andalousie. Francisco Enzinas, connu dans les lettres sous le nom de Dryander, et dont le frère avait péri à Rome sur le bûcher, traduisit la Bible en espagnol. San-Roman, l'ami des frères Enzinas, mourut dans les flammes à Valladolid, laissant après lui une Église évangélique fondée, dont le premier pasteur fut un moine dominicain, Domingo de Roxas, second fils du marquis de Posa. Cazalla, don Carlos de Seso, furent ses auxiliaires. La foi évangélique eut des adhérents dans la Nouvelle-Castille et dans les royaumes de Murcie, de Grenade et de Valence. Les Aragonais, plus indépendants que le reste de l'Espagne, et plus voisins du Béarn, gouverné par des princes protestants, embrassèrent en grand nombre la religion nouvelle. << Si l'inquisition n'y avait pris garde, dit son historien Paramo, la religion protestante aurait couru à travers toute la Péninsule comme un feu follet. » — « Tels étaient, dit Illescas, le nombre, le rang et l'importance des coupables que, si le remède avait été différé de deux ou trois mois seulement, toute l'Espagne aurait été en feu. » Voyez les articles de M. Rosseew Saint-Hilaire,

sacrifice pour extirper cette plaie1. Poussé par le saint-siége, aidé par l'inquisition, dont lui-même stimulait le zèle, il avait rempli les cachots, allumé les bûchers, jusqu'à ce que l'hérésie fût détruite et vaincue par l'extermination de tous les hérétiques'. Voilà ce qu'on répétait chaque jour à Louis XIV; et comme il était préoccupé de son aïeul Henri IV et de la foi solennellement jurée, on lui remettait aussi sous les yeux le serment du sacre qui contenait les paroles suivantes : « Au nom de JésusChrist, je promets au peuple chrétien qui m'est soumis de m'appliquer, selon mon pouvoir et de bonne foi, à écarter de toute l'étendue de ma domination

dans la Revue chrétienne du 15 janvier, du 15 février et du 15 mars 1857.

1. « Il faut couper court au mal, écrivait Charles-Quint. Il faut que les coupables, quel que soit leur rang, soient punis avec l'éclat et la vigueur qu'exige la nature de la faute... Sans la certitude que j'ai que vous et les membres du conseil extirperez le mal jusqu'à sa racine, je ne sais si je ne me résignerais pas à sortir d'ici pour y remédier moi-même....>>

2. L'inquisition se prépara en silence. Le même jour, à Séville, à Valladolid, partout où l'hérésie s'était glissée, tous les suspects furent saisis en même temps. Dans Séville seule, il y eut huit cents arrestations dans la même journée.... Le premier auto-da-fé eut lieu le 21 mai 1553. Il n'y avait que trente victimes, et quatorze seulement furent jetées aux flammes. On apporta dans un coffre les os de la mère des Cazalla, que l'inquisition avait fait exhumer, et qui furent réduits en cendres. Le second auto-da fé eut lieu le 8 octobre 1559, à Valladolid, en présence de Philippe II. Le sombre roi, qui devait, dix ans après, signer l'arrêt de mort de son propre fils, ne laissa reposer les bourreaux que quand il ne leur resta plus dans l'étendue des Espagnes une proie à saisir. Voyez M. Rosseew-Saint-Hilaire, loc. laud.

tous les hérétiques dénoncés par l'Église... Je confirme ces promesses par serment; j'en prends Dieu à témoin et ces saints Évangiles.

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Déjà sous Louis XIII, pour accorder ces paroles avec l'édit de Nantes, on avait eu recours à un étrange subterfuge. On avait défendu par ordonnance royale d'appliquer aux réformés la qualification d'hérétiques. Il est juste de dire qu'au commencement de son règne Louis XIV avait exécuté ponctuellement les prescriptions de l'édit. Dans son désir de diminuer le nombre des protestants, il se bornait, dit-il dans une lettre à son fils, à leur refuser toutes les grâces qui dépendaient de lui seul, «et cela par bonté plus que par rigueur, pour les obliger par là à considérer de temps en temps, d'eux-mêmes et sans violence, si c'était avec quelque bonne raison qu'ils se privaient volontairement des avantages qui pouvaient leur être communs avec tous ses autres sujets. » Il avait encore une autre tactique, qui était de récompenser largement les conversions, et il avait fondé pour cela une caisse secrète dont Pellisson, qui était lui-même un protestant converti, avait l'administration. C'était, il faut l'avouer, bien mal connaître et bien peu respecter la liberté de conscience; mais au moins ces indignes manœuvres n'allaient pas jusqu'à la persécution violente. Bientôt on se lassa de cette douceur. Vingt-deux tem

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ples du pays de Gex furent rasés, sous prétexte que ce bailliage n'avait été réuni au territoire du royaume qu'après la promulgation de l'édit de Nantes. On défendit aux protestants d'enterrer leurs morts pendant le jour. En 1663, un arrêt déchargea les nouveaux convertis du payement de leurs dettes envers ceux de la religion1. On déclara que les relaps avaient renoncé au bénéfice de l'édit, et l'on fit traî ner sur la claie les cadavres des protestants qui, après avoir abjuré, refusaient en mourant les sacrements de l'Église'. Les curés furent autorisés à s'introduire par force chez les mourants pour les exhorter à se convertir. Les chambres de l'édit furent supprimées dans plusieurs parlements; des temples furent abattus; il y eut défense de réparer ceux qui tombaient en ruine. Les maîtres d'école ne purent enseigner aux enfants des réformés que la lecture, l'écriture et le calcul. Une ordonnance de 1680 défendit aux catholiques d'embrasser la religion réformée, sous peine des galères perpétuelles. L'année suivante, il fut permis aux enfants de sept ans d'em

1. Charles Weiss, Histoire des réfugiés protestants, t. I, p. 66. 2. Déclaration du 29 avril 1686.

3. « Nous voulons et il nous plaît que nos sujets de la religion prétendue réformée, tant mâles que femelles, ayant atteint l'âge de sept ans, puissent et qu'il leur soit loisible d'embrasser la religion catholique, apostolique et romaine, et qu'à cet effet ils soient reçus à faire abjuration de la religion prétendue réformée, sans que leurs pères et mères et autres parents y puissent donner le moin

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