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ou d'empêchement de l'un des conjoints quand un dépôt a été effectué à la Caisse d'épargne. Néanmoins elle a cru devoir amender le second de ses alinéas, à l'effet de bien spécitier que lorsque c'est le mari qui est interdit, absent ou empêché, le juge doit aussi tenir compte des circonstances pour fixer la somme à concurrence de laquelle la femme pourra effectuer le retrait des fonds déposés par son mari ou sur un livret ouvert à son nom, mais au delà de 100 francs par mois, - et cela tout comme il devra tenir compte des circonstances de la cause pour déterminer le quantum des retraits de fonds que le mari pourra opérer sur le livret ouvert au nom de sa femme lorsque ce sera celle-ci qui se trouvera interdite, absente ou empêchée.

Par contre, la commission n'a pas cru devoir proposer d'amendement à celles des dispositions de la proposition de loi qui règlent la procédure à suivre en cas d'opposition maritale.

Il n'y a lieu de s'y arrêter que pour faire une seule remarque: sans être trop compliquée, cette procédure est cependant réglée d'une manière telle qu'elle semble devoir prévenir les oppositions maritales qui seraient manifestement injustifiables.

Les femmes y trouveront donc une garantie de plus de leurs intérêts légitimes.

Tout comme,d'ailleurs, les ouvriers pourront espérer que la seule possibilité d'une opposition de leur part empêchera leur femme de vouloir effectuer dans des conditions anormales le retrait de fonds déposés par elle a la Caisse d'épargne.

La commission ayant cru préférable d'introduire, à l'exception de la dernière, toutes les dispositions de la proposition de loi entre les articles 23 et 24 de la loi du 16 mars 1865 modifiée par celle du 1er juillet 1869, elles sont à y numéroter 23bis à 23quinque et elles doivent être regardées comme constituant la matière d'un article premier de la proposition de loi. Quant à la dernière des dispositions de celle-ci, elle vise un cas nouveau d'intervention du juge de paix et apporte une ajoute à l'article 3 de la loi du 25 mars 1876 sur la compétence: il y a lieu, dès lors, semble-t-il, d'en faire l'objet d'un article 2.

Après avoir refusé d'étendre les effets de la proposition de loi à d'autres institutions de prévoyance ou de crédit que la Caisse générale d'épargne, placée sous la garantie de l'Etat parce qu'il serait impossible tant d'énumérer convenablement celles de ces institutions pouvant à bon droit dans le présent et dans l'avenir être assimilées sous le rapport dont il s'agit à la dite caisse que d'organiser, au moins aussi rapidement qu'il le faudrait, le système des garanties de solvabilité à exiger de ces institutions la commission a adopté l'ensemble de la proposition de loi à l'unanimité de ses membres présents, moins une abstention.

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TEXTE DE LA COMMISSION.

Art. 1er. Les dispositions suivantes sont ajoutées à la loi du 16 mars 1865 modifiée par celle du 1er juillet 1869, dont elles formeront les articles 23bis à 23quinque:

Art. 23bis. La femme mariée, placée sous un régime qui confère à son mari l'administration de ses biens, est néanmoins admise à se faire ouvrir un livret sans l'assistance de son mari.

Sauf opposition de son mari, la femme peut retirer sans l'assistance de celui-ci, à concurrence de 100 francs par mois, les sommes inscrites au livret ainsi ouvert, et disposer de ces sommes pour les besoins du ménage. Le concours des époux est exigé pour les retraits dépassant 100 francs par mois. Les remboursements sont effectués exclusivement par le bureau d'immatriculation du livret.

Le juge appelé à statuer sur l'opposition prévue à l'alinéa précédent peut en ordonner la mainlevée si l'intérêt soit du ménage, soit de la femme l'exige.

Si la mainlevée de l'opposition est ordonnée par le juge, la femme conserve le droit d'opérer des retraits dans les conditions déterminées au deuxième alinéa du présent article. Si, au contraire, l'opposition est accueillie, la femme perd cette faculté et le mari peut toucher seul le montant du livret.

Pendant la durée du mariage, et à concurrence de 1,000 francs, les sommes inscrites au livret de la femme ne sont pas susceptibles de saisie de la part des créanciers du mari, à moins que ceux-ci ne prouvent que les dettes dont ils poursuivent le payement ont été contractées pour les besoins du ménage.

Art. 23ter. En cas d'interdiction, d'absence ou d'empêchement de la femme, le juge de paix peut autoriser le mari à retirer les fonds déposés par elle, jusqu'à concurrence de la somme qu'il fixera d'après les circonstances.

En cas d'interdiction, d'absence ou d'empêchement du mari, le juge de paix peut, à concurrence de la somme qu'il déterminera d'après les circonstances, autoriser la femme soit à retirer les fonds déposés par son mari, soit à effectuer sur les sommes inscrites à son propre livret, des retraits dépas sant 100 francs par mois.

La demande en autorisation peut être faite par simple requête sur papier libre. Si elle émane de la femme, celle-ci peut agir valablement sans l'autorisation du tribunal. Le juge consigne son autorisation au bas de la requête.

Art. 23quater. Le mineur émancipé est réputé majeur dans ses rapports avec la caisse.

Le mineur non émancipé peut se faire ouvrir un livret sans l'intervention de son représentant légal.

Sauf opposition de la part de son représentant légal, le mineur non émancipé et âgé de 16 ans révolus est admis à retirer seul les sommes inscrites au livret ainsi ouvert; il ne peut toutefois, sans le consentement de son représentant légal, opérer dans le courant du même mois des retraits excédant 100 francs ou dépassant le dixième du solde du livret. Il ne sera pas tenu compte de la limite du dixième, si la somme retirée mensuellement ne dépasse pas 10 francs. Les remboursements sont effectués exclusivement par le bureau d'immatriculation du livret.

Art. 23quinque. L'opposition visée aux articles 23bis et 23quater sera faite, poursuivie et jugée d'après les règles de la procédure de droit commun. sauf les dérogations suivantes :

L'exploit d'opposition sera notifié au directeur général de la caisse et mentionnera, à peine de nullité, la qualité en laquelle agit l'opposant ainsi que les nom, prénoms, lieu et date de naissance du mineur ou de la femme mariée.

Dans la buitaine de la date de la signification de l'exploit, l'opposant sera tenu, sous peine de nullité de son opposition, d'assigner en validité le mineur ou la femme mariée et de dénoncer la demande en validité au directeur général de la caisse

Le délai pour faire opposition ou pour interjeter appel sera de 8 jours à partir de la notification du jugement; celui pour se pourvoir en cassation, de quinze jours.

La décision qui aura acquis l'autorité de la chose jugée sera notifiée au directeur général de la

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Developper l'esprit d'épargne au sein des classes laborieuses, c'est travailler à la fois à leur bien-être matériel et à leur éducation morale. Le législateur a le devoir de seconder puissamment cette grande œuvre sociale. Il a souvent montré tout l'intérêt qu'il y attache. Voici que se présente une occasion de marquer encore la sollicitude qu'il a pour elle. en affranchissant l'épargne de la femme mariée et celle du mineur de certaines entraves qui nuisent à leur développement.

L'institution de la Caisse générale d'épargne et de retraite sous la garantie de l'Etat a rendu à l'épargne populaire les services les plus signalés. Les avantages que procure ce grand établissement national peuvent être assurés, dans des conditions meilleures, aux deux catégories d'épargne que nous venons de signaler, par quelques mesures simples et pratiques, d'une portée immédiatement saisissable. Le bien général des classes populaires et l'intérêt des familles d'ouvriers recommandent l'emploi de ces mesures. Des raisons de justice et de protection des faibles réclament leur adoption.

Elles peuvent être établies sans altérer l'organisation légale de la famille en Belgique. Les plus importantes de ces dispositions celles qui concernent la femme mariée- peuvent être introduites dans notre législation comme un tempérament aux conséquences extrêmes du seul régime patrimonial que connaissent, en fait, les conjoints, dans les classes laborieuses: le régime de communauté.

Leur économie a éte nettement précisée en ces termes par M. de Smet de Naeyer, dans les développements présentés à l'appui de sa proposition dans la séance de la Chambre des représentants du 3 mars 1899;

(1) Présents: MM. le baron Bethune, président; Dupont, Le Clef, Ectors, Hardenpont, Limpens, Roberti, le baron Herry, le baron della Faille d'Huysse, Le Jeune, Bara Cappelle, Claeys Boúúaert, le baron Orban de Xivry et le chevalier Descamps, rapporteur.

Notre proposition écarte tout ce qui tend à modifier le systeme général des droits patrimoniaux de la femme dans le mariage pour n'introduire dans la loi sur la Caisse générale d'épargne et de retraite que des mesures simplement protectrices de la famille ouvriere.

Sa prompte adoption par les Chambres permettra à la Belgique de se placer au tout premier rang des nations au double point de vue de l'étendue et de la sécurité de l'épargne au sein des classes laborieuses. »

I.

- LES ENTRAVES LEGALES A L'ÉPARGNE DE LA FEMME MARIÉE.

Il y a quelques années, le directeur général de la Caisse d'épargne et de retraite, en rendant compte de la situation de cet établissement, s'exprimait en ces termes: Le nombre restreint de femmes mariées qui bénéficient des avantages que procure l'institution de la Caisse d'épargne est dù aux entraves que la législation actuelle oppose aux pouvoirs des femmes mariées. Aussi est-il permis d'émettre le vou, ajoutait-il, de voir notre parlement adopter une législation analogue à celle qui existe en France et dans la plupart des pays de l'Europe occidentale. »

Quelles sont ces entraves dont parlait M. Mahillon? Elles ne regardent pas les dépôts proprement dits: la caisse les accepte sans difficultés.

Elles concernent surtout les retraits, mais elles sont de nature à réagir fatalement sur le nombre des versements. Elles tiennent à l'intervention trop étendue et trop discrétionnaire du mari sous l'empire du droit commun qui régit l'association conjugale quant aux biens.

Justement soucieuse de mettre sa responsabilité à couvert, la Caisse d'épargne est amenée à adopter, en matière de retraite, une jurisprudence en harmo nie avec le régime matrimonial des époux, lequel est de droit commun, celui de la communauté légale, et se trouve être en fait, à ce titre, le seul régime applicable aux classes où l'on se marie sans contrat. De là toutes les exigences concernant l'intervention du mari.

Les conséquences pratiques de cette situation ne sont pas difficiles à saisir.

Les retraits peuvent être fort difficiles.

La nécessité pour le mari d'intervenir matériellement, dit à ce propos M. de Smet de Naeyer, est une source d'inépuisables difficultés.

Beaucoup de femmes dont les maris sont illettrés ne parviennent pas à décider ceux-ci à faire au bureau de poste les démarches nécessaires, comportant l'intervention de témoins, pour les remboursements éventuels.

D'autres redoutent, non sans raison, l'éventualité bien naturelle d'une maladie ou d'une blessure qui tiendrait le mari dans son lit. Comment, dans ce cas, obtenir le retrait immédiat d'un peu d'argent dont les intéressés ont toujours besoin dans ces circonstances? il y a bien la procuration, mais c'est là une formalité que, en général, les travailleurs n'aiment pas à remplir et qui excite leur défiance. »

Non seulement les retraits, dans ces conditions, peuvent être difficiles, mais ils peuvent devenir périlleux car ils multiplient les occasions et les tentations qui peuvent s'offrir au mari de détourner l'épargne de sa destination ménagère.

Ce n'est pas tout; les retraits peuvent toujours être rendus impossibles à la femme, sile mari y met quelque mauvais vouloir ou oppose simplement la force d'inertie.

Ce n'est pas tout encore; ces retraits que la femme ne peut faire qu'au gré du mari, le mari peut arriver, lui, à les opérer contre le gré de la femme. C'est ainsi que l'épargne elle-même demeure sous la coupe du « seigneur et maître, qui peut la revendiquer non sans chance de succès.

Et dans quelles conditions odieuses parfois! On a vu, dit M. Eugène Van der Rest, chargé du service du contentieux à la Caisse générale d'épargne et de retraite, on a vu des maris abandonner leurs femmes et leurs enfants; grâce à un labeur opiniâtre, la femme a pu subvenir aux besoins de la famille, elle a pu même se constituer un petit pécule; confiante, elle a déposé à la Caisse d'épargne, ne se doutant pas que le mari, un jour, apprendrait ou soupçonnerait la chose et que, fort des droits que lui confere le code civil, il viendrait exiger de la Caisse d'épargne la remise entre ses mains des économies si laborieusement amassées par la femme (1). »

Encore que de tels faits soient rares et que la Caisse d'épargne ne soit pas complètement dépourvue à leur égard de fins de non-recevoir, tout au moins dilatoires, il faut reconnaître que les perspectives ouvertes à la femme qui veut placer à la Caisse d'épargne quelques deniers péniblement économisés en vue des besoins futurs de sa famille, ne sont pas, à tous les points de vue, séduisantes.

Il ne faut pas trop s'étonner, dans ces conditions, si de braves mères de famille, qui prennent régulièrement le chemin de la Caisse d'épargne, gardent

Mariées
Veuves
Célibataires.

leur bonnet de jeune fille ou prennent la coiffe de la veuve aux guichets de cette caisse, ou s'efforcent de tourner d'une manière plus reprochable encore un obstacle qu'elles ne peuvent légalement franchir. Et l'on comprend, d'autre part, comment beaucoup d'entre elles sont amenées, soit à sacrifier la sécurité du placement aux convenances d'une plus facile disposition, soit à conserver en cachette leur modeste avoir, quitte à le laisser improductif; heureuses si les obstacles artificiels semés pour elles sur la route de l'épargne ne les détourne pas du soin même d'épargner et d'enseigner à leurs enfants les bienfaits d'une institution si singulièrement hospitalière pour elles!

II. LES STATISTIQUES.

Les statistiques sont ici douloureusement instructives. M. Louis Frank en a résumé les enseignements dans une étude remarquable sur l'épargne de la femme mariée. Tandis que, dans beaucoup d'autres pays où est en vigueur une législation plus favorable, le nombre de livrets ouverts à des femmes mariées représente au moins la moitié du nombre total des livrets créés au nom des femmes majeures, il y a chez nous une singulière rupture d'équilibre dans cet ordre.

Voici, pour la Belgique et pour la France, les derniers chiffres que nous avons recueillis :

Nombre de livrets d'épargne créés au nom de femmes majeures.

Année Année Année Année Année Année Année Année Année 1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1897 1898

A. Caisse générale d'épargne et de retraite de Belgique.

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463 2,883 3,317 3,111 3,484 3.732 3,532 4,173 3,872 487 3,436 3,880 4,329 4,589 4,849 4,602 5,100 5,091 2,889 18,771 19,959 20,709 19,854 20,360 20,659 24,401 21,593 (2) 3,839 | 25,090 | 27,156 | 28,449 | 27,927 | 28,941 | 28,793 | 30,674 | 30,556 B. Caisses d'épargne ordinaires de France.

86,481 81,847 81,427 68,3121 78,768| 82,688 82,319 82,196|
87,916 84,028 81,399 68,821 76,353 78,331 72,157 72,531

|(3) 174,397|165,876| 162,826| 137,133 155,121 161,019 154,476 154,727

Proportion du nombre de livrets créés au nom de femmes mariées au nombre de livrets créés au nom de femmes majeures (exprimée en pour cent).

Caisse générale d'é

pargne et de retraite (Belgique)

Année Année Année Année Année Année Année Année Année 1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1897 1898

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(1) Article publié en 1889 dans le journal de la Ligue patriotique contre l'alcoolisme. (2) Novembre et décembre 1890.

(3) Année 1890.

1900.

4

Certes, des causes de nature diverse peuvent n'être pas sans influence sur la proportion que nous constatons. Mais ce qui démontre que la législation a sa grande part dans le résultat, c'est que bon nombre de pays, après avoir souffert du mal que nous signalons chez nous, ont vu la situation s'améliorer grandement à la suite d'une réforme légale s'inspirant mieux des conditions de l'épargne familiale. Et le progrès s'accentue constamment.

Les statistiques du Grand-Duché de Luxembourg sont intéressantes à signaler à ce point de vue. Voici le tableau qu'a relevé M. Denis:

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III.

- LA LÉGISLATION COMPARÉE DES PRINCIPAUX ÉTATS DE L'EUROPE.

Indépendamment des pays où la séparation des biens est le régime-type de l'association conjugale quant aux biens, sans parler des lois étrangères qui assurent à la femme la libre disposition du produit de son travail, nous pouvons constater que la plupart des Etats ont tenu à reconnaître à la femme mariée un droit spécial en matiere d'épargne.

L'act du parlement anglais du 5 juin 1828 (9 Georges IV, c. 92) sanctionnait déjà ce droit, rappelé ensuite dans plusieurs autres dispositions, comme dans l'act du 17 mars 1861, concernant le service de la Caisse d'épargne postale.

Le législateur italien a adopté, a la date du 27 mai 1875, le systeme en vigueur depuis si longtemps déja en Angleterre.

La Roumanie, par la loi du 5 janvier 1880; les Pays-Bas, par la loi du 5 mai 1880; le Danemark, par la loi du 28 mai 1880, sont entrés, la mème année, dans la même voie.

L'année suivante, la France et le Portugal, l'une par la loi du 9 avril 1881, l'autre par la loi du 26 avril 1881, réformaient dans le même sens leur législation.

Un peu plus tard, la Suède suivait l'impulsion donnée partout sa loi nouvelle date du 1er janvier 1884.

Une loi autrichienne du 19 novembre 1887 consacre, à son tour, un régime semblable.

La loi luxembourgeoise, promulguée sur la même matière et dans le même esprit, date du 14 décembre 1887.

9 avril 1881 créant une caisse d'épargne postale En ce qui concerne le régime français, la loi du s'est exprimée comme suit dans son article 6:

Les femmes mariées, quel que soit le régime de leur contrat de mariage, seront admises à se faire ouvrir des livrets sans l'assistance de leurs maris; elles pourront retirer sans cette assistance les sommes inscrites aux livrets ainsi ouverts, sauf opposition de la part de leurs maris. »

Remarquons que plusieurs années avant l'adoption de ce décret, l'Assemblée nationale française avait déjà été saisie d'un projet de loi tendant au même but, mais il avait été retiré le 16 mai 1875 devant l'opposition de l'assemblée. Lorsqu'il fut repris, les idées avaient marché et la proposition de réforme trouva, tant à la Chambre qu'au Sénat, des défenseurs autorisés qui emportèrent définitivement l'adhésion du parlement.

A cette occasion, un membre éminent du Sénat français, M. Edouard Laboulaye, répondant à quelques-uns de ses collègues qui repoussaient l'innovation au nom des principes du code civil, s'exprimait en ces termes : « C'est une très belle chose que les principes; cependant, de même qu'il ne faut pas laisser périr les colonies par amour des principes, de même il me semble qu'en ce moment, on sacrifie la femme par amour des principes qui devraient la protéger. »

L'orateur rappelait ensuite combien la condition de la femme ouvrière, de la femme qui travaille, qui gagne de l'argent s'était modifiée depuis le commencement du siècle, et il en tirait cette conclusion:

Il est donc assez naturel de voir si l'on ne peut entendre le code civil d'une façon un peu plus large pour permettre à la femme d'économiser. Qu'arrivet-il dans la vie ordinaire? » ajoutait M. Laboulaye. C'est elle (la femme) qui économise, c'est elle qui s'occupe des enfants, c'est elle qui s'occupe du grand fléau de l'ouvrier, le loyer. Et vous voulez l'empêcher d'aller porter à la Caisse d'épargne les quelques francs qu'elle a pu économiser dans la semaine et qui lui serviront à payer le loyer lorsqu'arrivera cette fatale échéance qui revient si fréquemment?» «On dit que cela constituera une exception à la règle. Peu importe. Ce sera ou ce ne sera pas une exception. Eh bien, les jurisconsultes apprendront qu'il y a une exception dans la loi et que la femme peut déposer à la Caisse d'épargne ses vingt sous Qu'est-ce que la femine fera de cet argent? Il lui servira à élever ses enfants, à payer quelque danger? En adoptant ce paragraphe, le loyer, à améliorer son petit ménage. Y a-t-il la disait en terminant le brillant orateur, vous voterez le ménage. Le mari, tout le premier, sera heureux pour les enfants, pour l'économie, pour l'ordre dans de trouver un peu d'argent au moment de payer le loyer, et s'il n'en trouve pas le jour où il voudra aller au cabaret, ce sera un grand bénéfice et un grand profit. »

IV.

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- LES RÉTROACTES PARLEMENTAIRES
EN BELGIQUE.

Comme le remémore le rapport de la section centrale à la Chambre, c'est un membre du Sénat, le

regretté baron de Coninck de Merckem, qui souleva le premier au parlement, en 1889, la question qui nous occupe aujourd'hui."

Les vicissitudes que subit à la Chambre des représentants l'examen de cette question ne nous montrent que trop combien il peut être difficile parfois de mener à bien des réformes qui ne sont cependant pas sans urgence.

Une premiere proposition faite par M. Carlier, le 18 février 1891, était ainsi conçue : « Les femmes mariées, quel que soit leur régime matrimonial, sont autorisées à faire ouvrir des livrets en leur nom sans l'assistance de leurs maris et à faire sur ces livrets des dépôts à concurrence de 3,000 fr. »

Elles peuvent retirer, sans l'assentiment de leurs maris, les sommes ainsi déposées, sauf opposition de la part de leurs maris pour cause de divertissement. Dans ce cas, l'opposition du mari devra être portée par lui, dans les quinze jours, devant le juge de paix. La règle de l'opposition du mari pour cause de divertissement était empruntée à l'article 215 de l'avant-projet du code civil élaboré par M. Laurent.

Dés le dépôt de ce projet, M. de Smet de Naeyer appuya la proposition et en demanda le renvoi à la commission spéciale chargée de l'examen de quelques modifications a la loi du 16 mars 1865 sur la Caisse d'épargne, en exprimant le vœu de voir la Chambre passer le plus tôt possible à l'examen de ces dispositions.

M. de Corswarem déposa, dans la séance du 29 mai 1891, un remarquable rapport justifiant la proposition et y apportant quelques modifications secondaires, notamment en ce qui concerne les cas d'opposition légitime de la part du mari.

Les discussions de la Chambre mirent en présence trois systèmes: celui de M. Carlier, amendé par la commission; celui de M. Beernaert, qui consacrait la théorie du mandat tacite dans toute son étendue, mais s'arrêtait aux limites de ce mandat, accordant à l'opposition du mari une influence toujours décisive; et celui de M. de Smet de Naeyer, qui, sans laisser le droit de retrait de la femme sous l'empire absolu de l'autorité maritale, s'attachait à mettre ce droit, affranchi à certains égards de cet empire, en rapport avec les exigences du ménage pour la catégorie de déposants visés par le projet, et s'efforçait de mieux préciser les conditions dans lesquelles s'exerceraient les pouvoirs du juge appelé à intervenir dans le différend interfamilial.

Sur la proposition de M. Woeste et malgré l'opposition de M. Bara qui appréhendait les retards qui se produisirent en effet, les trois rédactions furent renvoyées à la commission en vue d'aboutir à une rédaction unique conciliant, autant que possible, les vues divergentes qui s'étaient manifestées.

M. de Corswarem fit, à la date du 13 avril 1892, un second rapport au nom de la commission, mais lá dissolution des Chambres vint dessaisir le parlement des propositions ainsi élaborées.

Le 29 juillet 1892, M. de Smet de Naeyer, d'accord avec quelques-uns de ses collègues, fit une nouvelle proposition, inspirée par les amendements antérieurement déposés par lui. Il en développa les les motifs dans la séance du 22 novembre 1892. L'examen de cette proposition, annexée à d'autres mesures modificatives de la loi de 1865 sur la Caisse d'épargne, aboutit à l'adoption en commission du systeme préconisé par l'honorable député de Gand, mais une nouvelle dissolution dessaisit à nouveau la Chambre du troisième rapport de M. de Cors

warem.

Enfin, dans la séance du 3 mai 1899, M. de Smet

a

de Naeyer, revenant une dernière fois à la charge avec quelques-uns de ses amis, développait un Projet de loi relatif à l'épargne de la femme mariée et du mineur distinct d'une proposition développée par M. Vandervelde, dans la séance du 23 avril 1899 et rapportée par M. Denis dans la séance du 1er mars de la même année, concernant le produit du travail et de l'épargne personnels de la femme. Laissant de côté toutes autres modifications à la loi organique de la Caisse d'épargne et de retraite, l'auteur du nouveau projet bornait ses vœux à l'adoption des mesures protectrices de l'épargne de la femme mariée et du mineur, contenues dans ses propositions de 1892. Ce sont ces mesures, adoptées par la Chambre des représentants sur le rapport de M. Hoyois, qui sont soumises aux délibérations du Sénat.

Nous avons à en préciser la teneur et à en mettre en lumière l'importance.

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L'article 23 bis, § 1, reconnaît à la femme mariée le droit de se faire ouvrir un livret d'épargne. Il donne à ce droit le caractère d'un droit personnel mis à l'abri de l'arbitraire du mari, droit dont l'exercice ne peut être confondu avec le simple accomplissement d'un mandat marital réel ou supposé.

En disant que la femme est admise à se faire ouvrir un livret sans l'assistance de son mari, l'article 23 bis indique nettement qu'il s'agit ici d'un acte à faire par la femme en son nom, acte que la loi declare affranchi de toute autorisation maritale. Ce n'est, en effet, que lorsque la femme agit en son nom que l'on peut parler d'autorisation ou de nonautorisation. Lorsque la femme agit comme mandataire de son mari, il n'y a pas à se demander si elle doit ou non être assistée. La question d'assistance ne se pose pas.

L'article 23 bis confere à la femme, commune en biens, un pouvoir personnel d'administration spécialisée. Mais il ne modifie pas la composition de l'actif de la communauté. L'acte particulier d'administration concernant une partie spéciale de l'avoir de la communauté ne va pas jusqu'à changer l'appartenance de l'objet sur lequel il s'exerce. Il ne donne aucunement à l'argent versé le caractère d'un propre de la femme.

En ce qui concerne le chiffre auquel peut s'élever le dépôt ainsi fait, une disposition du projet de M. Carlier, reproduite dans plusieurs propositions ultérieures, fixait un maximum de 3,000 francs. Cette limite était présentée comme de nature à caractériser ce que l'on peut considérer d'une manière générale, comme une épargne ouvrière », et à rappeler nettemeut la catégorie de déposants visée par le projet de loi.

La question de la limite générale à fixer aux dépôts n'est pas résolue de la même manière en France et en Belgique.

En France, aucun dépôt supérieur à 3,000 francs n'est admis. Cette règle est appliquée indistinctement à tous les déposants. En Belgique, la loi du 16 mars 1865 n'a pas admis cette limite absolue. L'article 26 fixe seulement le chiffre de 3,000 francs comme un quantum au delà duquel la caisse peut convertir les excédents en fonds publics belges. Sous un tel régime, il semble difficile de justifier une disposition dérogatoire visant exclusivement la femme. Mieux vaut laisser les dépôts faits par celle-ci sous l'empire du droit commun et chercher dans un système de retraits bien combiné des garan

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