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pas tardé à y paraître de leur côté, et bien qu'il fût évident que leur chef méditait quelque attentat, on fut d'abord assez tranquille; mais le 17, les Français furent assaillis tout à coup, sans provocation, au moment où ils se trouvaient en désordre dans les casernes et dans les rues de la ville. Ils cssuyèrent une décharge qui leur tua un homme et en blessa dix-huit autres. Aussitôt ils repoussèrent vigoureusement les palicares qui se réfugièrent partie dans les montagnes, partie dans les maisons de la ville. Exaspérés par une si lache attaque et animés par d'anciens ressentimens, les soldats français envahirent ces maisons et firent un horrible carnage des assaillans, dont plus de trois cents payèrent leur audace de la vie. Cet événement, auquel avaient pu contribuer les intrigues de l'étranger, souleva une indignation générale : loin d'obtenir le concours du peuple, les bandes de Colocotroni y rencontrèrent des ennemis, et les forces du gouvernement se mirent d'elles-mêmes aux ordres du commandant des troupes françaises dans Argos; car, malgré toutes les calomnies répandues contre elles, on n'avait pu réussir à leur aliéner l'affection et la reconnaissance des Grecs.

Pendant que cette échauffourée avait lieu, le roi Othon, qui s'était embarqué à Brindes (14 janvier), voguait paisiblement vers son nouveau royaume, accompagné de plusieurs vaisseaux anglais, français et russes, et précédé d'une flottille portant des troupes bavaroises destinées pour la Grèce. Des navires grecs vinrent au devant de l'escadre, qui fut suivie par un millier de bâtimens de toutes grandeurs, depuis la pointe de la Morée jusque dans la rade de Nauplie. Après être resté quelques jours à bord pour donner le temps aux troupes de débarquer, et laisser achever les préparatifs de sa réception, le jeune roi descendit à terre le 6 février, au milieu des transports d'allégresse d'une immense population, accourue à Nauplie de tous les points. Dans une proclamation publiée le même jour, en langue allemande et en langue grecque

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(voy. 'Appendice), il promettait aux Grecs de protéger consciencieusement leur religion, de maintenir fidèlement les lois, de faire administrer impartialement la justice en faveur de tous, et de conserver intacts contre qui que ce fùt', leur indépendance, leurs libertés et leurs droits. Il invitait ensuite les habitans à se soumettre désormais aux lois et aux autorités chargées de leur exécution, afin qu'il fût dispensé de la nécessité de faire poursuivre avec rigueur les perturbateurs de la paix publique et les rebelles.

Pour le moment, cette nécessité n'apparaissait nulle part: une amnistie pour tous les crimes et délits politiques commis précédemment avait été publiée, sans préjudice dés réparations civiles; la tranquillité régnait dans toute la Grèce; Colocotroni lui-même ainsi que ses partisans avaient fait leur soumission et déposé les armes. Il se présenta au roi, revêtu de l'ancien costume grec, entouré de ses palicares, et jetant des regards orgueilleux sur la foule assemblée, Tous les autres chefs de parti, les plus opposés, étaient aussi venus ajouter, avec leur suite et l'éclat brillant de leur costume, à la solennité de l'entrée d'Othon dans Nauplie. Dès son arrivée, toutes les autorités étaient allées spontanément · résigner leurs pouvoirs entre les mains de la régence, et protester de leur fidélité et de leur obéissance au roi. Bref, aucune voix discordante ne se fit entendre dans le concert d'acclamations qui saluait le nouveau règne.

On s'occupa d'abord et sans retard de l'organisation du pays. Les nominations à des places administratives se sucdèrent tous les jours. Les choix que fit la régence indiquèrent qu'elle voulait avant tout calmer les passions, effacer les dissentimens et fondre tous les partis en un seul. Des hommes de toutes les opinions étaient nommés aux emplois. On remarqua pourtant que Colocotroni et quelques uns de ses plus chauds partisans avaient été tenus à l'écart, de même que quelques Grecs connus pour leurs principes républicains. Au surplus, le calme rétabli dans tout le pays, et la

régularité apportée dans toutes les branches de l'adminis tration commencèrent bientôt à porter leurs fruits et à faire revivre le commerce. Ce retour de prospérité fut favorisé par la lassitude profonde où était tout le monde des troubles et des agitations politiques. La presse, à qui le comte d'Armansperg avait voulu laisser une liberté entière, se montrait beaucoup plutôt dévouée qu'hostile au nouveau gouver

nement.

L'un des actes les plus importans de la régence fut de distribuer avec beaucoup de soin les troupes bavaroises sur tous les points, dans les places fortes de la Grèce et les îles. On en envoya une grande partie aux frontières, que l'on se préparait à mettre en état de défense; un autre détachement alla prendre possession du château de Caristhène, d'où Colocotroni pouvait braver les attaques de ses ennemis : l'occu pation de ce château le faisait considérer comme un prince souverain par le reste des Grecs. Les troupes françaises, dont le départ avait déjà été annoncé, étaient concentrées dans Coron, Modon et Navarin.

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Des tribunaux furent institués pour rendre la justice en matière civile et criminelle, jusqu'à la promulgation des lois nouvelles ils sont composés d'un président, de quatre juges, d'un procureur d'état et d'un greffier. Il y a trois tribunaux criminels pour toute la Grèce. La procédure doit être sommaire, et le jugement, non sujet à appel ou cassation, exécuté dans les vingt-quatre heures,. à moins que le tribunal ne demande la grâce du condamné. Quant aux lois que ces tribunaux ont mission d'appliquer, elles sont d'une sévérité extrême, ayant été puisées dans les anciens codes de Venise et du moyen-âge, sous la présidence du comte Capo-d'Istria. On venait d'y ajouter quelques articles relatifs à ceux qui forment des complots contre le gouvernement, à ceux qui enrôlent ou qui débauchent des soldats et à tous les autres crimes de ce genre, lesquels seront punis de mort, Aucune garantie n'était accordée d'une manière expresse

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pour la liberté de la défense et la publicité des débats. Au reste, cette organisation n'était que provisoire.

Le ministère fut composé de sept secrétaires d'état pour les affaires étrangères, la justice, l'intérieur, les cultes et l'instruction publique, les finances, la guerre, la marine.

Un bouclier d'azur, décoré d'une croix d'argent, ayant au milieu un écu avec les quartiers de la maison de Bavière, qui sont au nombre de vingt-un, forme les armes de la Grèce. Deux lions se trouvent aux côtés du bouclier qui porte une couronne fermée, et il est entouré d'une tente de pourpre avec de l'hermine, dont le sommet est également orné d'une couronne. Le sceau de l'état consiste dans les mêmes armes avec ces mots : Othon, par la grâce de Dieu, roi de la Grèce : tel est aussi l'intitulé des décrets. Voici la formule du serment... « Je jure, au nom de la très-sainte Trinité et sur les saints Evangiles, fidélité à notre roi Othon, et obéissance aux lois du royaume de la Grèce. »

La division géographique qui avait été introduite par le comte Capo-d'Istria fut changée. On divisa le royaume en dix départemens, et chaque département en districts. Les départemens furent, 1° l'Argolide et Corinthe, 2o l'Achaïe et l'Elide, 3° la Messénie, 4° l'Arcadie, 5° la Laconie, 6° l'Acarnanie et l'Etolie, 7° la Locride et la Phocide, 8° l'Attique et la Béotie, 9° l'Eubée, 10° les Cyclades. A la tête du gouvernement local de chaque département fut placé un nomarque, assisté d'un conseil, et à la tête de chaque cercle ou district un éparque avec un autre conseil particulier.

Quant à l'armée, il résulte de divers décrets qu'elle comptera dix bataillons légers à quatre compagnies de 50 hommes, huit bataillons d'infanterie de ligne à six compaguies de 120 hommes, plus les états-majors; une compagnie d'artillerie de 100 hommes; une compagnie d'ouvriers de 132 hommes; une compagnie de pionniers de 86 hommes; une compagnie du train de 126 hommes; six escadrons de lanciers de 111 cavaliers chaque; de sorte que l'effectif des

forces du nouvel état peut s'évaluer provisoirement à 8,904 hommes. Un décret spécial ordonna, en outre, la formation de 300 gardes-du-corps, chargés plus particulièrement du service près du roi. L'uniforme est, sauf quelques modifications légères, celui des troupes bavaroises de même

arme.

Mais avant d'organiser cette armée, il fallait s'occuper du licenciement des troupes irrégulières qui ne cessaient de semer l'inquiétude dans le pays. Quoiqu'on eût assuré leurs droits, en leur donnant la faculté de se retirer dans leurs foyers, après avoir remis les armes, ou de s'enrôler dans les régimens nouveaux, elles ne se soumirent pas sans difficulté à l'ordre de se dissoudre. Un grand nombre d'Albanais, d'Épirotes, de Thessaliens, qui formaient la majeure partie de ces troupes, refusèrent d'entrer au service du gouvernement, et quittèrent le royaume. Il y eut même un régiment de Rouméliotes qui ne passa la frontière qu'après avoir soutenu un combat contre les Bavarois. Un seul trait, au surplus, fera juger de la composition de ces bandes indiscipli

nables.

L'une d'elles, forte de plusieurs milliers d'hommes, tomba à l'improviste, dans la nuit du 25 mai, sur la ville d'Arta en Épire, et y porta, en un clin d'œil, la mort, l'incendie et le pillage. Les habitans ne purent racheter leurs jours qu'à prix d'argent. Ceux qui se trouvèrent hors d'état de satisfaire à ces exactions furent impitoyablement massacrés; les femmes et les filles furent traitées d'une manière infâme et les enfans égorgés. Beaucoup de maisons devinrent la proie des flammes. Les consuls étrangers se virent également obligés de payer à ces brigands de grosses sommes. Cette boucherie dura trois jours, après lesquels la horde infernale, gorgée de sang et de butin, regagna les montagnes, emmenant avec elle plusieurs habitans notables. C'est à peine si quelques uns de ces assassins purent être saisis et châtiés en proportion de leurs crimes. Ann. hist. pour 1833.

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