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nouvellement formée en Irlande, sous le titre de volontaires irlandais, avoue que son but est le rappel de l'union. Ni l'expérience du passé, ni l'état présent des choses, n'autorisent à espérer avec quelque fondement que le seul redressement des griefs rétablisse la paix en Irlande. Personae plus que moi n'a été convaincu que l'émancipation serait suivie de la tranquillité, et qu'il serait permis au parlement de continuer le cours des améliorations, sans être troublé par la violence populaire. J'ai été grandement désappointé. Cette marche pacifique ne s'accordait pas avec les projets des fauteurs de l'agitation; les meneurs du peuple avaient goûté les douceurs du pouvoir; travailler lentement et sans bruit à l'extirpation des abus n'en. trait ni dans leurs plans ni dans leurs désirs: depuis ce momen l'agtitation a recommencé, et l'état de l'irlande est maintenant plus déplorable que jamais. Et ce nouveau ¡corps des volontaires irlandais menace le pays de conséquences encore plus alarmantes. Son organisation doit s'étendre sur toute l'Irlande. Il y a une association centrale à Dublin, et trois pacificateurs doivent être nommés pour chaque paroisse, où l'un de leurs devoirs sera d'enrôler toute la population des environs, fermiers et ouvriers, dans des associations secondaires, sous la direction de l'association centrale. L'objet déclaré de la société, est la pacification le main. tien de la paix, l'établissement de réunions populaires en même temps que les sessions trimestrielles, pour rendre la police inutile. Quoique les volontaires ne soient pas actuellement armés, il est reconnu qu'ils le seront plus tard, lorsque la loi du pays le permettra, c'est-à-dire lorsque l'association sera devenue, par son influence physique et morale, un pouvoir supérieur au gouvernement lui-même, et pourra former, comme une preuve de ses succès révolutionnaires, une garde nationale semblable à celle d'un pays voisin. Telle est cette association, et elle est tout entière à l'ordre d'un seul homme. Un des membres les plus actifs de l'association s'est déclaré lui-même un instrument dans les mains du grand libérateur et pacificateur de son pays. « Personne, a-t-il dit, ne peut êtreun pacificateur, s'il n'est d'abord un agitateur populaire, intrépide, et s'il n'a l'approbation de Daniel O' Connell. Je le dis aux hommes de Clare, si par suite de quelques mesures atroces du gouvernement, une crise devait éclater, pareille à celle de Camden et de Castlereagh en 1798, et que O'Connell nous ordonnât de courir aux armes, de combattre, de tout houleverser, au lieu de continuer cette résistance constitutionnelle qui est notre défense habituelle, eh bien! alors je ne commanderais pas aux hommes de Clare d'aller dans le bois de Cratloe couper des arbres pour faire des manchies de pique, mais je les enverrais d'abord couper les arbres de mon propre domaine, et je ne me contenterais pas d'être un spectateur oisif de la lutte. »

Comme il était impossible qu'une pareille association coexistât avec la sûreté du pays et le maintien du gouvernement, le bill avait d'abord pour objet de la détruire, ainsi que toute association du même genre. Les autres clauses tendaient à réprimer les désordres qui, dans beaucoup de parties de l'Irlande, constituaient presque le pays en état de rébellion.

« Les hommes, disait le ministre, se rassemblent en corps à des signaux convenus; ces corps appartiennent à un vaste système d'organisation, et ont été conduits jusqu'ici, de manière à braver la puissance de la loi et Ann. hist, pour 1833.

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tous les efforts du gouvernement. Je ne dirai pas jusqu'à quel point ceś désordres et l'association des volontaires on ces mesures se touchent comme cause et effet; mais il y a certainement entre eux une coïncidence remar quable, et les personnes qui forment de pareilles associations, qui profitent de leurs réunions pour prononcer des discours violens et incendiaires, ne doivent pas être étonnées si les mécontentemens et les troubles éclatent ensuite avec une nouvelle force. Si la police est dénoncée comme cruelle, arbitraire, inconstitutionnelle, peut-on s'étonner qu'il s'en suive des attaques contre la police et des meurtres? Au surplus, quelle qu'en soit la cause, l'etat d'une grande partie du pays n'est que trop notoire. Les pertubateurs n'agissent pas seulement contre les dimes; ils prescrivent les conditions du louage des terres, et celui qui désobéit à leurs ordres court le risque d'avoir ses propriétés détruites ou d'être massacré. Ils désignent les personnes qui doivent faire travailler et être employées, défendant aux Quyriers de travailler pour des maîtres qui ont encouru leur haine, et empêchaut les maitres d'employer les ouvriers qui ne sont pas dociles à Jeurs ordres. Ils donnent force à leurs commandemens par des actes de cruauté et des outrages; par la spoliation et le meurtre; par des attaques sur les maisons au milieu de la nuit; en arrachant les habitans de leurs lits et en les maltraitant avec tant de barbarie, que la mort en résulte souvent, ou en leur infligeant des maux à peine moins cruels que la mort. Ces hommes, qui se rassemblent ainsi à certains signaux, exécutent des mouvemens concertés, surveillent la marche des troupes, et grâce à des informations qui ne leur manquent jamais, ils parviennent si bien à les éviter qu'ils ne peuvent être réprimés par l'armée. C'est pourquoi l'un des objets de l'acte de coërcition sera de défendre les rassemblemens noc

turnes. >>

Après avoir exposé à quels outrages, à quelles menaces effrayantes, à quels traitemens cruels les plaignans, les jurés et les témoins se trouvaient en butte, et combien le cours de la justice en était interrompu, lord Grey continuait ainsi :

Il ne faut donc pas s'étonner que la violence soit triomphante. La liste des crimes commis en Irlande, pendant l'année dernière, contient 172 homicides. 465 vols, 568 actes de brigandage nocturne, 455 délits consistant dans l'action de couper les jarrels aux troupeaux, 2,095 avertissemens illégaux, 425 rassemblemens de même nature, 796 injures aux propriétés, 753 attaques contre des maisons, 280 incendies, 3,156 agressions graves. Le total des crimes de tous genres, durant l'année passée, qui se rattachent à l'état de troubles du pays, monte à plus de 9,000 et il s'accroît toujours. Dans la province de Leinster, le nombre des crimes commis pendant les mois de juillet, d'août et de septembre; a été de 1,279, et dans les trois mois suivans, il s'est élevé à 1,646. Il y règne enfin un système de démoralisation tel qu'on n'en a jamais vu de pareil dans un pays civilisé. »

Le ministre entrait ensuite dans l'analyse des diverses clauses du bill par lequel le gouvernement se proposait de mettre un terme à tant de maux. Ce bill combinait plusieurs dispositions prises des lois qui avaient été rendues par les parlemens d'Irlande et d'Angleterre, pour la répression de

brigandages pareils à ceux qu'il avait décrits, avec les changemens que les circonstances exigeaient. La disposition pour la suppression des sociétés et des associations illégales était empruntée au huitième statut de Georges IV, qui donnait au Ford lieutenant le pouvoir de supprimer tout rassemblement, toute assemblée, qu'il jugeráit dangereux pour la paix publique, et de les empêcher à l'avenir, sous quelque dénominationi que ce soit. L'action de les convoquer était punie comme un crime. Les districts pourraient être déclarés en état de troubles; les personnes poursuivies en vertu du nouveau bill seraient obligées de se défendre sur-le-champ, comme dans les cas de felonie, sans pouvoir différer leur proees. Le lord lieutenant serait autorisé, sur information convenable, à déclarer tout un comté en état de troubles, et alors aucun habitant ne pourrait, sous les peines les plus graves, s'absenter de sa maison une heure après le coucher du soleil ou avant son lever, à moins qu'il n'eût des raisons légitimes pour motiver son séjour hors de chez lui. Aucune réunion, à l'effet d'adresser des pétitions au parlement, ou de discuter des griefs religieux ou politiques, n'aurait lieu sans qu'il en ait été donné avis, dix jours à l'avance, au lord lieutenant, dont l'autorisation serait nécessaire. Les districts proclamés en état de troubles seraient, jusqu'à un certain point, soumis à la loi martiale. Des cours militaires seraient établies pour juger les crimes et les délits, sous l'empire du bill. Le ministre ne niait pas l'inconstitutionnalité de cette mesure, mais elle était indispensable. Ces cours martiales n'auraient pas moins de cinq, ni plus de neuf membres, et aucun officier au dessous de vingt-un ans, ou ayant moins de deux ans de grade, n'y serait admis. Elles n'auraient pas le droit de juger les crimes que la loi punit comme des cas de félonie, à moins d'un mandat spécial du lord lieutenant, et alors elles ne pourraient appliquer que la déportation à vie ou pour sept ans. Les officiers ne seraient jamais dénoncés ni poursuivis pour

aucun de leurs actes, en leur qualité de membres de ces cours martiales. Le bill autorisait en outre à entrer dans les maisons pour rechercher les armes, et ceux qui refuseraient de les livrer seraient sujets à être punis; il faisait aussi un crime de la propagation des écrits séditieux dans les districts proclamés en état de troubles. Enfin l'acte d'habeas corpus était suspendu, avec cette restriction, que les personnes arrêtées seraient jugées dans les trois mois, ou mises en liberté.

Le bill ne rencontra aucune opposition dans la Chambre des lords, les pairs du parti conservateur ou anti-ministériel pensant que la seule faute du gouvernement était de ne pas avoir eu recours plus tôt à de pareilles mesures. Quelques amendemens furent adoptés dans le comité, principalement à l'instigation du duc de Wellington, touchant la constitution, les pouvoirs et le mode de procédure des cours martiales, et le bill passa le 22 février, sans qu'aucune division eût eu lieu dans le cours de la discussion.

Mais des débats animés, orageux, et des difficultés chaque jour renaissantes, l'attendaient dans la Chambre des communes. Lorsqu'il y fut apporté, le 22, de la Chambre des lords, la première lecture en fut ajournée au 27, pour qu'il pût être d'abord imprimé suivant le désir de beaucoup de membres. Aussitôt M. O'Connell annonça que ce jour-là il demanderait l'appel nominal, et qu'il le ferait répéter chaque fois qu'il s'apercevrait de l'affaiblissement de son effet, pendant tout le temps que le bill serait devant la Chambre. Faisant ensuite allusion au retard qu'éprouvaient les mesures projetées par le ministère pour le redressement des griefs de l'Irlande, il lui rappela qu'il y avait une autre Chambre du parlement dont ils pourraient trouver impossible d'en obtenir l'adoption, quelque unanimité que le bill de coërcition y eût rencontrée; une Chambre où toute mesure empreinte de haine pour l'Irlande était certaine d'être accueillie. M. Stanley nia qu'il y cût aucune nécessité de mener de front

de

les mesures de rigueur avec celles de redressement, et déclara que si le ministère ne pouvait les faire passer indistinctement, il se retirerait. Ces deux sortes de mesures n'avaient pas rapport entre elles; mais le rejet de l'une ou de l'autre prouverait également ce fait, que l'administration ne possédait pas la confiance des deux Chambres du parlement, et en conséquence qu'elle ne devait pas continuer à conduire les affaires du pays.

17 février. Lord Althorp, en demandant la première lecture du bill, recommença à dérouler le tableau de tous les forfaits commis en Irlande depuis une année. Ici, c'étaient des troupes de bandits qui entraient dans les maisons, et en tuaient les habitans, hommes, femmes et enfans, quelquefois de la façon la plus barbare, en plein jour, sans éprouver le moindre obstacle, sans qu'aucune tentative fût faite pour arrêter les meurtriers; là, c'étaient des fermes auxquelles on mettait le feu pendant la nuit, et ceux qui cherchaient à s'en échapper essuyaient aussitôt des décharges de coups de fusil, ou étaient battus de la manière la plus cruelle; ailleurs c'étaient des moissons que les assaillans détruisaient faute d'avoir pu forcer le domicile de l'homme désigné à leur vengeance. Ces crimes avaient pour causes tantôt la perception des dîmes, tantôt l'expulsion d'un tenancier de sa terre pour non paiement des dimes, tantôt la préférence donnée à un tenancier qui avait enchéri sur un premier occupant, tantôt enfin, toutes sortes d'injures privées. Différentes pièces lues à la Chambre par lord Althorp témoignaient que ces outrages, ces désordres, ces violences, n'avaient fait que s'accroître au commencement de 1833, et les attribuaient principalement aux hommes connus sous le nom de pieds blancs (white-feet) (1). Ils s'avertissaient mutuellement de l'ap

(1) Lord Althorp livra le tableau suivant à la Chambre, comme une preuve de l'augmentation toujours croissante des crimes pour les trois

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