Page images
PDF
EPUB

les calculs ordinaires des États, de la part de la Russie; mais si S. M. Impériale n'est pas prête à faire de tels sacrifices à l'égard de son propre empire, elle n'a aucun droit moral de faire de semblables expériences aux dépens de ses alliés et de ses voisins.

On allègue de plus, qu'aussi longtemps que S. M. Impériale tiendra opiniâtrement à ce projet inadmissible, il sera possible aux plénipotentiaires des puissances alliées de présenter des plans d'arrangements pour la reconstruction de l'Europe, ou au présent Congrès de s'assembler officiellement pour discuter ou sanctionner aucun projet.

S. M. Impériale ne peut guère espérer que les plénipotentiaires de l'Autriche et de la Prusse viennent, de leur propre mouvement, proposer, en présence de l'Europe, l'abandon des frontières militaires de leurs États, comme une mesure saine et honorable. Il serait déraisonnable de leur part de faire une telle démarche. Peuvent-ils, en leur qualité d'hommes d'Etat (après avoir conçu et signé la paix de Paris), recommander en présence de l'Europe et de leurs propres sujets, une telle mesure comme étant de nature « à mettre fin aux longues agitations de l'Europe et aux malheurs des peuples par une paix solide, fondée sur une juste répartition de forces entre les puissances et portant dans ses stipulations la garantie de sa durée. »

Les plénipotentiaires de la Grande-Bretagne, de la France et de l'Espagne, et probablement ceux des autres États de l'Europe, grands et petits, ont la même manière de voir à l'égard de ce projet. Dans quelle fâcheuse position sera donc l'Europe, si S. M. Impériale ne veut pas renoncer à son projet et est déterminée à prendre possession du duché de Varsovie contre l'opinion générale, et lorsque les plénipotentiaires des autres puissances, chargés d'établir en Europe un nouveau système, en vue d'une paix permanente et solide, seront obligés d'informer les représentants de tous les pays, rassemblés à Vienne, de leur impossibilité, par suite de la ligne de conduite adoptée par la Russie, d'espérer de pouvoir en venir à une solution que, par le Traité de Paris, ils ont pris l'engagement envers l'Europe de trouver après une si longue agitation et tant de souffrances.

Aucun autre mode ne peut être adopté, à moins que S. M. Impériale ne condescende gracieusement à peser sérieusement les conséquences qui doivent résulter du projet qu'elle poursuit aujourd'hui. C'est à S. M. Impériale de juger de la conduite que réclament impérieusement les différentes déclarations adressées à l'Europe en son nom, l'esprit des Traités, l'honneur et la sécurité des Alliés, l'opinion générale de l'Europe, ses éminentes vertus, le grand rôle qu'elle a pris, en face de l'Europe, dans une occasion aussi solennelle que celle de la réunion des plénipotentiaires en un congrès général.

Premier protocole du comité institué pour les affaires d'Allemagne, séance du 14 octobre 1814.

Présents:

Pour l'Autriche, M. le prince de Metternich, M. le baron de Wessenberg. Pour la Prusse, M. le chancelier d'État, prince de Hardenberg, M. le ministre d'État, baron de Humboldt.

Pour la Bavière, M. le feld-maréchal, prince de Wrède.

Pour le Hanovre, M. le comte de Munster, M. le comte de Hardenberg. Pour le Wurtemberg, M. le ministre d'État baron de Linden. Secrétaire général, le conseiller aulique de Martens.

M. le prince de Metternich a ouvert la conférence par l'observation. que, d'après le but de cette réuuion, quelques points préalables devaient être discutés avant qu'on pût entrer dans ce qui concernait la future constitution germanique, et comme l'impossibilité de se concerter de suite avec tous les Etats était manifeste, il a posé les questions suivantes :

Première. Doit-on constituer un comité chargé de délibérer sur les bases de la future constitution germanique? A cette question il a été unanimement répondu affirmativement, et ce comité a été reconnu nécessaire par tous les plénipotentiaires présents.

Deuxième. De quels membres ce comité doit-il se composer?

Il a été unaniment résolu que ce comité devoit n'être composé que des plénipotentiaires des cinq Cours d'Autriche, de Prusse, de Bavière, du Hanovre et de Wurtemberg, soit parce qu'un plus grand nombre pourrait entraver la marche de la chose, et que toutefois les cinq Cours nommées doivent être regardées comme les plus puissantes; soit parce que les autres États s'étaient d'avance soumis par les conventions qu'ils avaient conclues avec les puissances alliées, aux déterminations que l'ordre des choses à établir pour le maintien de la liberté germanique pourrait exiger, et que par conséquent ils ne pourront prétendre d'assister à ce comité.

Troisième. De quelle manière l'établissement du comité doit-il être notifié aux autres co-États?

On a unanimement reconnu que cette notification était nécessaire, qu'elle devait se faire par le moyen d'une Déclaration non signée, comme celle du 8 octobre, mais que l'établissement de la commission devait être consigné dans un protocole que tous les membres signeront. Cette Déclaration, pour laquelle le conseiller aulique de Martens a été chargé de faire un projet de rédaction, se rapportera aux stipulations du Traité de Paris, et à la Déclaration du 8 octobre; on y fera sentir

aux princes qui ne font pas partie du comité, qu'ils se sont soumis de la manière susdite, par leurs Traités d'alliance, à l'organisation future de l'Allemagne; cependant on leur promettra expressément que les bases d'une future constitution que le comité posera, ne seront mises en exécution qu'après leur avoir été communiquées.

Quatrième. Quels moyens ont les membres du comité ou veulent-ils employer pour faire adopter leur opinion par leurs co-États?

On a été unaniment d'avis que la mission du comité d'établir les principes de la constitution future étant fondée sur le droit et sur les circonstances, il ne faudra pas imaginer des moyens particuliers pour les faire admettre, d'autant plus que l'accord parfait des cinq Cours fournirait le moyen le plus sûr pour faire agréer aux autres États des principes qui ne doivent avoir d'autre but que le véritable intérêt de l'Allemagne dans son ensemble et ses parties.

Cinquième. De quels membres le comité se composera-t-il ?

On a indiqué alors les plénipotentiaires pour chaque Cour, savoir : 1° Pour l'Autriche, M, le prince de Metternich et M. le baron de Wessenberg;

2o Pour la Prusse, M. le chancelier d'État, prince de Hardenberg, et M. le ministre d'État, baron de Humboldt;

1

3o Pour la Bavière, M. le feld-maréchal, prince de Wrède;

4° Pour le Hanovre, MM. les comtes de Munster et de Hardenberg; 5o Pour le Wurtemberg, M. le ministre d'État, baron de Linden. Les membres ont chargé unanimement le conseiller aulique Martens, de la rédaction du protocole; cependant, MM. les plénipotentiaires se sont réservé la faculté d'amener aux séances leurs secrétaires de légation, pour accélérer les copies du protocole approuvé.

Sixième. On a fixé la séance d'après-demain, à midi, pour procéder à la représentation des pouvoirs des plénipotentiaires, et pour examiner le projet de Déclaration; quant aux pouvoirs, on est convenu que les pouvoirs généraux donnés pour le Congrès, seraient regardés comme suffisants, et qu'on en joindrait des copies certifiées aux actes.

La séance a été levée, après que le protocole a été approuvé et signé par les membres présents.

Fait à Vienne, le 14 octobre 1814.

Signé Metternich; Hardenberg; Wrède; Wessenberg;

Humboldt; Munster; Hardenberg.

Memorandum de lord Castlereagh, au sujet de la situation de l'Autriche et de la Prusse en présence des prétentions de la Russie sur la Pologne.

Vienne, le 14 octobre 1814.

La question de la Pologne et des Traités qui la concernent ayant été soumise de la manière la plus complète à l'examen de l'empereur de Russie, toute hésitation pour amener S. M. Impériale à une décision ne peut produire aucun avantage réel, mais ne conduira qu'à une interprétation erronée de la détermination de ses Alliés à cet égard.

Il est considéré comme étant de la plus grande importance, même avant le départ de S. M. Impériale pour Bade, qu'elle soit informée du projet bien arrêté sur lequel ses Alliés ont l'intention d'insister auprès de S. M. Impériale et dont elles se croient en droit, aussi bien par les Traités que par les principes généraux de politique et de justice, de réclamer l'acceptation par S. M. Impériale. Ils doivent en outre apprendre à l'empereur, qu'aussitôt après le retour de S. M. Impériale à Vienne, ils se proposent de faire une nouvelle tentative pour terminer cette question amicalement avec elle. Dans l'espoir dont ils se flattent où ils arriveraient promptement à un arrangement satisfaisant des affaires de l'Europe, ils désireraient dans ce but que le Congrès fût ajourné. Si malheureusement au contraire, ils ne parvenaient pas à obtenir le résultat qu'ils recherchent si ardemment, ils considéreraient alors comme leur devoir de laisser le Congrès se réunir comme il a été convenu pour que le sujet soit formellement et officiellement porté devant lui.

Il est proposé, afin que les ministres des deux puissances soient complétement en mesure de soumettre à l'empereur à son retour leur détermination finale, qu'ils s'entendent pour fixer le minimum de concession qu'ils croyent devoir réclamer de l'empereur;

Qu'en soumettant cette détermination à l'empereur, au nom de leurs Cours respectives, ils puissent lui dire qu'en vue de la conservation de l'harmonie qui a signalé l'alliance, ils ont réduit leurs prétentions aux limites les plus étroites possibles; que dans le cas où ils seraient forcés d'adopter une ligne de conduite différente, ils doivent se considérer comme étant complétement en droit de proposer d'autres arrangements plus larges;

Qu'il peut être désirable, même dans cette ouverture amicale, de soumettre à l'empereur différentes propositions sur le côté politique de la question, afin de garder toujours en vue que c'est la Russie seule et non les autres Cours, qui forme réellement un obstacle à la délivrance de la Pologne.

Dans le cas où cette question deviendrait un des objets de discussion du Congrès, il est proposé qu'elle soit mise en avant par une note officielle du ministre d'Autriche, séparément ou conjointement avec celui de Russie, adressée au ministre de Russie, et réclamant de cette puissance l'exécution de l'article du Traité du 27 juin 1813, et que cette note, après avoir exposé les vues, les droits et les opinions de ces puissances, conclut par l'offre au choix de l'empereur de l'une ou l'autre des propositions suivantes :

1o La réunion entière et complète de la Pologne sous un souverain indépendant comme avant le premier partage; si un semblable arrangement était accepté par l'empereur, l'Autriche et la Prusse sont prêtes à faire les sacrifices nécessaires.

2. Si l'empereur s'oppose à cette mesure comme occasionnant un trop grand sacrifice de territoire de la part de la Russie, les Cours d'Autriche et de Prusse sont disposées à consentir à l'établissement du royaume de Pologne tel qu'il existait en 1791, lorsqu'il se donna une constitution sous Poniatowski.

3o Ou bien si l'empereur repousse l'établissement de la Pologne, sur une échelle territoriale néanmoins modifiée, en un royaume réellement indépendant et préfère s'en tenir au principe du partage, les deux puissances (tout en protestant contre son droit d'agir relativement à son partage de la Pologne, contrairement aux stipulations de la convention de 1797), sont disposées à donner leur adhésion à ce principe de partage, pourvu qu'il soit appliqué d'une façon équitable et d'après les égards dus à la sécurité au point de vue militaire de leurs États respectifs.

Pour l'exécution de ce principe, ils proposent que la Vistule, à travers le duché de Varsovie jusqu'à Sandomir, serve de frontière à la Russie, la Prusse recevant Thorn sur la rive droite, si l'empereur désire posséder Varsovie sur la rive gauche.

En addition à cette note, l'Autriche devrait adresser une note séparée à la Prusse pour réclamer son intervention suivant le Traité de septembre 1813, par lequel elle s'est engagée à veiller à l'exécution à l'amiable du Traité de juin 1813. Des copies de ces différentes notes seraient soumises au Congrès, et les diverses puissances de l'Europe seraient invitées à soutenir lesdites ouvertures et à déclarer à l'empereur de Russie jusqu'à quel point et à quelles conditions l'Europe réunie en Congrès peut ou ne peut pas admettre les prétentions de S. M. Impériale à un agrandissement en Pologne.

Il est désirable qu'il soit bien nettement fait comprendre à l'empereur que, malgré leur désir d'éviter un appel aussi pénible par toute modification possible de leurs justes demandes, dans la mesure du minimum qu'ils sont convenus de proposer à S. M. Impériale, les Alliés,

« PreviousContinue »