Page images
PDF
EPUB

II

depuis le commencement de la Révolution contre les défenfeurs de la liberté, & que M. de Mirabeau luimême a effuyées tant de fois de la part de ceux dont il ne rougit pas d'emprunter aujourd'hui les armes.

Pour attaquer l'opinion qu'on s'étoit formée des principes profeffés par lui à la féance du 20 Mai, le moyen, non le plus loyal fans doute, mais le plus efficace eût été de changer fon Discours à l'impreffion, s'il n'en eût pas exifté un monument authentique mais lorfque chacun a dans les mains la pièce de 'comparaison; lorsque le Journal du Moniteur offre la transcription exacte & littérale du Difcours prononcé par M. de Mirabeau; lorfqu'il fait que ce Difcours a été tranfcrit fur fon propre manufcrit (1), altérer aujourd'hui ce Difcours, y changer précisément & seulement les phrases où fa doctrine étoit clairement confignée, y fubftituer celles qui font propres à caractériser une autre doctrine! je ne m'expliquerai pas fur la nature de ce procédé: mais je dirai que c'eft prononcer foi-même l'aveu de fa propre condamnation; que c'est donner la preuve la plus évidente que l'opinion qu'on avoit foutenue n'étoit pas celle qu'on avoue; que c'eft fournir à ceux qu'on attaque une

LETTRE de M. Hippolite de Marcilly, Redacteur du Journat le Moniteur, à M. Theodore Lameth.

(1) Je renouvelle à M. Théodore de Lameth l'affurance que M. de Mirabeau l'aîné nous a envoyé fon Difcours, & que c'eft fur le Manufcrit qu'il nous a fourni, qu'on l'a imprimé littéralement dans le Moniteur ; il eft également vrai que M. de Mirabeau nous a envoyé directement fa Replique, imprimée auffi littéralement dans le Moniteur.

Paris le 14 Juin 1790. Signe, HIPPOLITE DE MARCILLY.

réponse que rien ne peut affoiblir, parce qu'elle git dans les faits & dans l'opinion même de l'Auteur.

Le rapprochement du Difcours effectivement prononcé par M. de Mirabeau à l'Affemblée Nationale, & de celui qu'il envoie aujourd'hui comme authentique aux 83 Départemens, eft à la fuite de cette réponse, & lui fervira de pièce juftificative. On verra dans l'un, M. de Mirabeau priver nettement le Corps législatif du droit de délibérer fur la décifion de la guerre, & le réduire à témoigner fon improbation fur une guerre déja commencée; on le verra, dans l'autre, faire tous fes efforts pour se rapprocher des principes & perfuader qu'il avoit feulement demandé la participation du Roi à l'acte du Pouvoir législatif qui devoit décider la guerre.

Eft-ce-bien en ufant de pareils moyens, que M. de Mirabeau ofe imputer à fes adverfaires d'avoir fait de cette difcuffion, une querelle de parti, une affaire d'amourpropre? Quoi! c'étoit une chose combinée que la réunion de toutes ces perfonnes qui, fans liaison de société, n'ont entr'elles d'autre point de rapprochement que leur ardent amour du bien public! c'étoit par un mouvement d'amourpropre que ce grand nombre de Députés qui n'avoient pas parlé dans la queftion, qui n'avoient présenté aucun Décret, fe font réunis pour demander, avec un courage infatigable, que celui de M. de Mirabeau fût amendé! quoi! la perfévérance courageufe de M. Fréteau, pour la confécration du principe! quoi! l'indignation patriotique de M. le Camus, lorfqu'on a voulu l'écarter pa

13

la queftion préalable! quoi! le mouvement de la majorité, les applaudiffemens de tous les Patriotes & de toutes les galeries, quand la queftion préalable a été rejetée, quand l'amendement du principe a été définitivement admis! quoi! cette ivreffe avec laquelle nous nous difions en fortant, la Patrie eft fauvée, la guerre ne peut-être décidée que par un Décret du Corps légiflatif! quoi! l'émotion que nous fentions encore du danger que nous avions couru, ce n'étoit-là, felon M. de Mirabeau, que des mouvemens d'amour-propre! Ah! puiflions-nous en éprouver fouvent encore de pareils, & puiffe, pour le bien commun, M. de Mirabeau n'en connoître jamais d'autres !

Mais M. de Mirabeau fait bien que l'amour-propre n'a jamais été mêlé dans cette belle caufe; il fait qu'on a défiré que les vrais principes fuffent propofés, fuffent défendus par lui: il fait qu'entièrement, qu'exclufivement attachés au fuccès de la délibération, ceux qu'il accufe d'amour-propre l'ont fupplié d'en être le patron, d'en être le chef; il fait qu'ils fe feroient bornés à défendre fa propofition, à refter dans le filence, fi leur concours eût été fans utilité; il fait qu'ils l'ont prévenu que s'il propofoit fon Décret, il feroit combattu loyalement, mais avec énergie; il fait enfin, qu'en réfiftant à leurs inftances, il n'a ceffé de louer leur franchife & leur générosité.

Et c'eft après une telle conduite, c'eft envers des hommes qui n'ont jamais contracté avec lui de liaisons, mais que dans le cours des travaux communs il a

toujours connu par des procédés francs & nobles, que M. de Mirabeau se permet de publier une forte de dénonciation. Il parle de faction, d'intrigue, de parti; il fait bien que ceux qu'il accufe n'ont d'autre parti que celui de la Conftitution; il fait bien que le trait qui les caractérise, c'eft que toutes leurs liaifons font à découvert; il fait bien qu'ils n'ont jamais foutenu leurs opinions par un autre motif que celui d'y croire la vérité; il fait bien que s'il avoit exifté des factions, on n'auroit pas ofé les en inftruire.

[ocr errors]

Par quel étrange changement M. de Mirabeau a-t-il aujourd'hui dans la bouche toutes ces expreffions, toutes ces accufations ridicules & décriées, que les ennemis de la Révolution étoient en poffeffion de diriger contre lui? Quoi! c'eft M. de Mirabeau qui croit que l'enthousiasme public, que l'indignatiou ou l'amour du Peuple, que le bruit général d'une grande Cité, que les applaudiffemens, la joie de trente à quarante milles perfonnes raffemblées peuvent être le prix de l'intrigue ou de l'argent; c'est lui qui croit que ce nombre immenfe de fectateurs ardens de la liberté, qui, dans toutes les parties de la Capitale, parlent, lifent, s'occupent fans ceffe du mouvement de la chofe publique, font aveuglément mûs & dirigés par quelques perfonnes? les avoit-il donc achetés ces applaudiffemens du Peuple, qu'il a plufieurs fois fi juftement obtenus? n'a-t-il pas vu fouvent fous fes yeux, que ceux qui par leurs dignités ont le plus d'intérêt & le plus de moyens pour capter cet intéreffant fuffrage, n'en obtiennent abfolument rien

quand le mouvement naturel de l'opinion ne le leur décerne pas? Lorfque plufieurs fois, fur des queftions bien moins importantes, le Peuple s'eft transporté en foule autour de l'Affemblée Nationale; lorfqu'on l'a vu former des vœux ardens pour l'opinion de M. de Mirabeau; lorfque, dans un excès de chaleur, il mêloit aux éloges de fes Héros l'expreffion de fa haine contre ceux qui foutenoient un avis contraire, M. de Mirabeau l'avoit-il amené? l'avoit-il inspiré ? l'avoit-il acheté ? Ah! que ceux-là méconnoiffent & traveftiffent l'enthousiasme du Peuple, qui ne conçoivent pas encore notre augufte Révolution! que ceux-là fe trompent fur le Peuple, qui n'ont point en eux le germe de ces fentimens impétueux, mais naturels & purs, qui le conduifent & qui l'animent. Mais ce n'eft point à M. de Mirabeau à dédaigner une opinion qui fait encore toute fa force & toute fa renommée ; qu'il laiffe calomnier ces mouvemens à ceux qui ont eu moins à s'en louer que lui, & qu'il ne dégrade point aujourd'hui un triomphe que demain il fera peut-être jaloux d'obtenir.

Mais enfin, fi M. de Mirabeau pense férieusement qu'il existe des hommes affez vils pour vouloir acheter les fignes de l'opinion publique, affez coupables pour chercher, dans des mouvemens populaires, des moyens de gêner la liberté des délibérations, qu'il nomme les perfonnes, qu'il articule les faits, qu'il rapporte les il n'eft certainement aucun de ceux qu'il attaque preuves, qui ne defirent fincèrement l'éclairciffement de la vérité.

« PreviousContinue »