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et de quelques pages de ma Polémique 1, on saura à peu près tout ce qu'il y a à dire en bien ou en mal de celui que les peuples appelèrent un fléau: les fléaux de Dieu conservent quelque chose de l'éternité et de la grandeur de ce courroux divin dont ils émanent. Ossa arida... dabo vobis spiritum, et viveris. (ÉZÉCHIEL.)

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Voyez, t. xxvIII, Polémique, articles du 17 novembre 18185 juillet 1824 inclusivement.

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DE BUONAPARTE

ET DES BOURBONS.

30 MARS 1814.

ON, je ne croirai jamais que j'écris sur le tombeau de la France; je ne puis me persuader qu'après le jour de la vengeance nous ne touchions pas au jour de la miséricorde. L'antique patrimoine des rois très chrétiens ne peut être divisé: il ne périra point, ce royaume que Rome expirante enfanta au milieu de ses ruines, comme un dernier essai de sa grandeur. Ce ne sont point les hommes seuls qui ont conduit les événements dont nous sommes les témoins; la main de la Providence est visible dans tout ceci : Dieu lui-même marche à découvert à la tête des armées, et s'assied au conseil des rois. Comment, sans l'intervention divine, expliquer et l'élévation prodigieuse et la chute plus prodigieuse encore de celui qui, naguère, fouloit le monde à ses pieds? il n'y a pas quinze mois qu'il étoit à Moscou, et les Russes sont à Paris; tout trembloit sous ses lois, depuis les colonnes d'Hercule jusqu'au Caucase; et il est fugitif, errant, sans asile; sa puissance s'est débordée comme le flux de la mer, et s'est retirée comme le reflux.

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Comment expliquer les fautes de cet insensé ? Nous ne parlons pas encore de ses crimes.

Une révolution, préparée par la corruption des mœurs et par les égarements de l'esprit, éclate parmi nous. Au nom des lois, on renverse la religion et la morale; on renonce à l'expérience et aux coutumes de nos pères; on brise les tombeaux des aïeux, base sacrée de tout gouvernement durable, pour fonder sur une raison incertaine une société sans passé et sans avenir. Errant dans nos propres folies, ayant perdu toute idée claire du juste et de l'injuste, du bien et du mal, nous parcourûmes les diverses formes des constitutions républicaines. Nous appelâmes la populace à délibérer au milieu des rues de Paris, sur les grands objets que le peuple romain venoit discuter au Forum, après avoir déposé ses armes et s'être baigné dans les flots du Tibre. Alors sortirent de leurs repaires tous ces rois demi-nus, salis et abrutis par l'indigence, enlaidis et mutilés par leurs travaux, n'ayant pour toute vertu que l'insolence de la misère et l'orgueil de haillons. La patrie tombée en de pareilles mains fut bientôt couverte de plaies. Que nous resta-t-il de nos fureurs et de nos chimères? des crimes et des chaînes!

Mais du moins le but que l'on sembloit se proposer alors étoit noble. La liberté ne doit point ètre accusée des forfaits que l'on commit sous son nom; la vraie philosophie n'est point la mère des doctrines empoisonnées que répandent les faux sages. Éclairés par l'expérience, nous sentîmes enfin

que le gouvernement monarchique étoit le seul qui pût convenir à notre patrie.

Il eût été naturel de rappeler nos princes légitimes; mais nous crûmes nos fautes trop grandes pour être pardonnées. Nous ne songeâmes pas que le cœur d'un fils de saint Louis est un trésor inépuisable de miséricorde. Les uns craignoient pour leur vie, les autres pour leurs richesses. Surtout il en coûtoit trop à l'orgueil humain d'avouer qu'il s'étoit trompé. Quoi! tant de massacres, de bouleversements, de malheurs, pour revenir au point d'où l'on étoit parti! Les passions encore émues, les prétentions de toutes les espèces ne pouvoient renoncer à cette égalité chimérique, cause principale de nos maux. De grandes raisons nous poussoient; de petites raisons nous retinrent: la félicité publique fut sacrifiée à l'intérêt personnel, et la justice à la vanité.

Il fallut donc songer à établir un chef suprême qui fût l'enfant de la révolution, un chef en qui la loi, corrompue dans sa source, protégeât la corruption et fit alliance avec elle. Des magistrats intègres, fermes et courageux, des capitaines renommés par leur probité autant que pour leurs talents, s'étoient formés au milieu de nos discordes ; mais on ne leur offrit point un pouvoir que leurs principes leur auroient défendu d'accepter. On désespéra de trouver parmi les François un front qui osât porter la couronne de Louis XVI. Un étranger se présenta: il fut choisi.

Buonaparte n'annonça pas ouvertement ses pro

jets; son caractère ne se développa que par degrés. Sous le titre modeste de consul, il accoutuma d'abord les esprits indépendants à ne pas s'effrayer du pouvoir qu'ils avoient donné. Il se concilia les vrais François, en se proclamant le restaurateur de l'ordre, des lois et de la religion. Les plus sages y furent pris, les plus clairvoyants trompés. Les républicains regardoient Buonaparte comme leur ouvrage et comme le chef populaire d'un état libre. Les royalistes croyoient qu'il jouoit le rôle de Monk, et s'empressoient de le servir. Tout le monde espéroit en lui. Des victoires éclatantes, dues à la bravoure des François, l'environnèrent de gloire. Alors il s'enivra de ses succès, et son penchant au mal commença à se déclarer. L'avenir doutera si cet homme a été plus coupable par le mal qu'il a fait que par le bien qu'il eût pu faire et qu'il n'a pas fait. Jamais usurpateur n'eut un rôle plus facile et plus brillant à remplir. Avec un peu de modération il pouvoit établir lui et sa race sur le premier trône de l'univers. Personne ne lui disputoit ce trône : les générations nées depuis la révolution ne connoissoient point nos anciens maîtres, et n'avoient vu que des troubles et des malheurs. La France et l'Europe étoient lassées; on ne soupiroit qu'après le repos; on l'eût acheté à tout prix. Mais Dieu ne voulut pas qu'un si dangereux exemple fût donné au monde, qu'un aventurier pût troubler l'ordre des successions royales, se faire l'héritier des héros, et profiter dans un seul jour de la dépouille du génie, de la gloire et du

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