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libéraux, ou en vivant d'un revenu libre; dans ce cas, l'anobli reçoit les armoiries qu'il choisit des mains du héraut d'armes. Ces récompenses du souverain ne détruisent point l'égalité devant la loi, et sont un moyen d'encourager le mérite et la

vertu.

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CHAPITRE XVI.

Objections des royalistes contre la Charte.

Les royalistes disent : « C'est en invoquant les progrès des lumières avec les mots de liberté et d'égalité que l'on a précipité la France dans tous «<les malheurs; le nom même de constitution est « odieux et presque ridicule. On ne transporte point <<< ainsi chez un peuple le gouvernement d'un autre « peuple : les gouvernements naissent des mœurs, « et sont fils du temps; restons François, et ne « soyons pas Anglois; ce qui est bon pour eux est << mauvais pour nous. Nous sommes trop légers « pour nous occuper sérieusement des soins publics, « trop faciles à nous enflammer, trop enclins aux <<< discours inutiles, trop peu épris du bien général, « pour avoir des assemblées délibérantes. Nous << aurons toujours de l'honneur, fondement de notre <«< monarchie, mais nous n'aurons point cet esprit public qui tient à un autre principe de gouverne« ment. Notre position continentale même ne nous « permet pas de pareilles formes politiques. Tandis « que, dans les deux Chambres, nous délibérerons

« sur la levée d'une armée, les ennemis arriveront «< à Paris. Si le roi, au contraire, dispose à son gré « des soldats, il détruira quand il voudra notre prétendue constitution. >>

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On voit que des deux côtés nous ne dissimulons point les objections, et que nous les présentons dans toute leur force.

Nous avouerons d'abord que l'on a si étrangement abusé de ces mots, progrès des lumières, constitution, liberté, égalité, qu'il faut du courage aujourd'hui pour s'en servir dans un sens raisonnable. Les plus énormes crimes ont été commis, les doctrines les plus funestes se sont répandues au nom des lumières. Le ridicule et l'horreur sont venus s'attacher à ces phrases philosophiques, prodiguées sans mesure par des libellistes et des assassins. On a égorgé les blancs pour prouver la nécessité d'affranchir les noirs : la raison a servi à détrôner Dieu, et le perfectionnement de l'espèce humaine nous a fait descendre au-dessous de la brute.

Mais, d'un autre côté, n'avons-nous pas reçu une autre leçon ? Pour nous sauver des systèmes d'une philosophie mal entendue, nous nous sommes précipités dans les idées opposées. Qu'en est-il advenu? Qui voudroit, qui oseroit aujourd'hui vanter le pouvoir arbitraire? Les excès d'un peuple soulevé au nom de la liberté sont épouvantables, mais ils durent peu, et il en reste quelque chose d'énergique et de généreux. Que reste-t-il des fureurs de la tyrannie, de cet ordre dans le mal, de cette

sécurité dans la honte, de cet air de contentement dans la douleur, et de prospérité dans la misère ? La double leçon de l'anarchie et du despotisme nous enseigne donc que c'est dans un sage milieu que nous devons chercher la gloire et le bonheur de la France. Prenons-y garde, d'ailleurs: si, exaspérés par le souvenir de nos maux, nous les attribuons tous aux lumières, on nous dira que la dévastation du Nouveau-Monde, les massacres de l'Irlande et ceux de la Saint-Barthélemy ont été causés par la religion; que si Louis XVI a été traîné à l'échafaud par des philosophes, Charles Io y a Ier été conduit par des fanatiques. Cette manière de raisonner de part et d'autre ne vaut donc rien: ce qui est bon reste bon, indépendamment du mauvais usage que les hommes en ont pu faire.

Cette difficulté sur les mots une fois écartée, venons au fond des objections.

On dit : « Les gouvernements sont fils des mœurs «et du temps. Restons François; ne transportons << point chez nous les institutions d'un autre peuple,

«

« bonnes pour eux, mauvaises pour nous. »

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que

y a ici grande erreur. Il ne faut pas s'imaginer du tout la forme actuelle de notre gouvernement soit une chose absolument nouvelle pour nous; que, de plus, elle ait été inventée par les Anglois, et qu'avant eux personne n'avoit songé qu'il pût exister un gouvernement participant des trois pouvoirs, monarchique, aristocratique et démocratique.

D'abord, tous les anciens ont pensé que le

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meilleur gouvernement possible seroit celui qui réuniroit ces trois pouvoirs. C'étoit l'opinion de Pythagore et d'Aristote. «Je conclus avec Platon, «dit Cicéron, que la meilleure forme de gouverne«ment est celle qui offre l'heureux mélange de la royauté, de l'aristocratie et de la démocratie 1. » C'étoit ce qu'avoit fait Lycurgue à Sparte. Écoutons Polybe: «Le plus parfait de tous les gouver<<nements ne seroit-il pas celui dont les pouvoirs << se serviroient de contre-poids, où l'autorité du peuple réprimeroit la trop grande puissance des «rois, et où un sénat choisi mettroit un frein à la << licence du peuple 3?»

Tacite partageoit cette opinion: il pensoit, à la vérité, qu'un tel gouvernement étoit si parfait, qu'il ne pouvoit exister chez les hommes. Mais nous avons fait remarquer ailleurs qu'il avoit été réservé au christianisme de réaliser ce beau songe des plus grands génies de l'antiquité. En effet, le gouvernement représentatif est né des institu

tions chrétiennes.

Des autorités imposantes ne prouveroient pas que des peuples doivent renverser leur gouvernement, lorsqu'il est établi, pour en prendre un plus parfait; mais quand ces peuples ont changé de constitution au milieu d'une révolution violente, si la nouvelle constitution se trouve être dans les formes regardées comme les plus belles, par un

'Fragm. Republ., lib. 11.

ARCHITAS in Stob. 3 POLYB., Excerpt., lib. vi, cap. VIII et IX. 4 TAC. Ann. IV, 33. 5 Génie du Christianisme.

Lycurgue, un Aristote, un Platon, un Polybe, un Tacite, cela doit donner de la confiance: on peut croire qu'on ne s'est pas tout-à-fait trompé.

Montesquieu, après avoir fait un éloge pompeux du gouvernement anglois, prétend qu'on en découvre l'origine chez les Germains peints par Tacite, et que ce beau système a été trouvé dans les bois.

S'il en est ainsi, en l'adoptant aujourd'hui, nous ne ferions nous-mêmes, comme les Anglois, que reprendre le gouvernement de nos pères; mais soit qu'il vienne des Francs, nos aïeux, soit qu'il ait été produit par la religion chrétienne, soit qu'il découle de ces deux sources, il est certain qu'il est conforme à nos mœurs actuelles, qu'il ne les contrarie point, et qu'il n'est point parmi nous une production étrangère.

Dans le moyen-âge, toute l'Europe, excepté peutêtre l'Italie et une partie de l'Allemagne, eut à peu près la même constitution : les cortès en Espagne, les états-généraux en France, les parlements en Angleterre, étoient fondés sur le système représentatif. L'Europe, marchant d'un pas égal vers la civilisation, seroit arrivée pour tous les peuples à un résultat semblable, si des causes locales et des événements particuliers n'avoient dérangé l'uniformité du mouvement.

La France eut à repousser des invasions, sa noblesse périt presque tout entière aux champs de

Esprit des Lois, liv. 1x, chap. vi.

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