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CHAPITRE XVII.

Suite des objections. Que nous avons essayé inutilement de diverses constitutions. Que nous ne sommes pas faits pour des assemblées délibérantes.

On se récrie avec une sorte de justice sur la multitude de nos constitutions: mais est-ce une raison pour ne pas en trouver une qui nous convienne? Combien de fois les Anglois en changèrentils avant d'arriver à celle qu'ils ont aujourd'hui ? Le rump, le conseil des officiers de Cromwell, les différentes sectes religieuses, enfantoient chaque jour des institutions politiques, que l'on se hâtoit de proclamer comme des chefs-d'œuvre : cela a-t-il rendu ridicule leur dernière constitution, et nui à son excellence et à son autorité ?

Nous ne sommes pas faits, ajoute-t-on, pour des assemblées délibérantes. Mais n'en avons-nous jamais eu de ces assemblées ? Autre erreur historique, plus frappante encore que la première. Nos pères étoient-ils moins ardents que nous ? Ces Francs, qu'Anne Comnène vit passer à Constantinople, qui étoient si impétueux, si vaillants, qui ne pouvoient consentir à se tenir découverts devant Alexis; ces Francs irascibles, impatients, volontaires, n'avoient-ils pas des conseils de baronnie, des assemblées de province, des états-généraux de la langue d'oil et de la langue d'oc? Lorsque, sous Philippe de Valois, s'éleva la querelle entre les juridictions seigneuriales et ecclésiastiques, vit-on

jamais rien de plus grave que ce qui se passa alors? C'étoient pourtant les deux premiers ordres de la monarchie, qui, dans toute leur puissance, luttoient pour leurs priviléges. La cause fut plaidée devant Philippe : Pierre de Cugnières, chevalier, personnage vénérable, tenant à la fois à la robe et à l'épée, pour mieux convenir aux deux hautes parties contendantes, portoit la parole en qualité d'avocat général et de conseiller du roi. Cette première réclamation du droit civil contre le droit canonique produisit dans la suite l'appel comme d'abus, sauvegarde de la justice dans le temps des bonnes mœurs, tout fait naître les bonnes lois. On admira dans cette grande affaire la piété et la justice du roi, la respectueuse hardiesse de l'orateur de la partie civile, et la dignité du clergé. Ce fut un beau spectacle que celui de ces prélats et de ces chevaliers jurant sur leurs croix et sur leurs épées de s'en rapporter à l'intégrité du roi, plaidant la cause de la religion et de la noblesse devant un monarque fils aîné de l'Église, et le premier comme le plus ancien gentilhomme de son royaume.

Quatre ou cinq siècles plus haut, nous trouvons ces mêmes François délibérant aux assemblées de Mars et de Mai; et, pour que nous n'en puissions douter, le temps nous a transmis leurs décisions dans le recueil des Capitulaires. Plus haut encore, nous les verrons fixant par les lois gombette, allemande, ripuaire et salique, le tarif des blessures. Leur terrible justice consistoit alors à imposer leur épée : ils parloient éloquemment sur ce

MÉLANGES POLITIQUES.

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droit public de leur façon. Ils discutoient sur la longueur, la largeur et la profondeur de la plaie: s'ils avoient fait tomber une partie du crâne d'un homme, ils consentoient à payer quelques sous d'or; plus si cet homme étoit Franc, moins s'il étoit Romain ou Gaulois. Mais il falloit que l'os abattu en valût la peine, et que lancé à travers un espace de douze pas, il fit résonner un bouclier. Enfin, dans les forêts de la Germanie, nous apercevons nos pères délibérant autour d'une épée nue, plantée au milieu du Mallus, ou décidant de la paix ou de la la à la main : « Alors que guerre, coupe le cœur, dit Tacite, ne peut feindre, et qu'il est disposé aux en«<treprises généreuses. >>

«

Pourquoi donc le peuple, qui a toujours parlé et délibéré en public dans les temps de sa barbarie, comme à l'époque de sa civilisation, qui a produit des ministres et des magistrats comme Suger, Nogaret, Pierre de Cugnières, Sully, L'Hospital, de Thou, Mathieu Molé, Lamoignon, d'Aguesseau; des publicistes comme Bodin et Montesquieu; des orateurs comme Massillon et Bossuet, n'entendroit-il rien aux lois et à l'éloquence? Enfin, n'avons-nous pas déjà vingt-cinq années d'expérience? Et n'est-ce rien pour un peuple comme celui-ci, qu'un quart de siècle? Quelques-uns de nos ministres actuels ont paru à la tribune avec éclat, et connoissent tous les fils qui font mouvoir le corps politique. Nos erreurs passées nous serviront de leçons; nous en avons déjà la preuve dans la modération et le bon esprit des deux Chambres.

CHAPITRE XVIII.

Suite des objections. Notre position continentale.

«Notre position continentale nous oblige à avoir << une nombreuse armée : si cette armée dépend des << Chambres, nous serons envahis avant que les " Chambres aient délibéré; si la couronne dispose « des soldats, la couronne peut opprimer les deux « Chambres. >>

Cette objection, la plus spécieuse de toutes, se résout comme celle de l'opposition, par la puissance de l'opinion. Croit-on de bonne foi que si l'ennemi étoit sur la frontière, les Chambres pussent refuser une armée au roi; que des propriétaires voulussent se laisser envahir? Loin de se rendre populaires par ce refus, elles soulèveroient contre elles la nation. Chez un peuple si sensible à l'honneur, si épris de la gloire des armes, la foule passeroit à l'instant dans le parti de la couronne, et la constitution seroit anéantie. D'ailleurs une invasion estelle si subite, si imprévue, que l'on n'en ait pas reçu des avis long-temps d'avance? Est-ce avec une poignée de soldats qu'une nation voisine entreroit en France? N'auroit-elle pas été obligée de rassembler des troupes, de les faire marcher; n'aurions-nous rien su de ses mouvements et de ses préparatifs ?

Toutefois, comme il ne s'agit point d'imiter les Anglois, de se laisser dominer par des systèmes,

d'adopter entièrement une constitution, sans égard aux habitudes, aux mœurs, à la position d'un peuple, comme si le même vêtement convenoit à tous les hommes, il est évident qu'il faut laisser au pouvoir exécutif en France une bien plus grande force qu'en Angleterre. Le roi doit être plus libre dans ses mouvements, parce que la France est plus grande, plus exposée aux combinaisons de la politique extérieure. L'Angleterre n'a rien à craindre pour son existence d'un ennemi étranger; mais en France, il peut survenir une guerre qui mette l'État en péril. Beaucoup d'intérêts que l'on soumet à la discussion publique chez nos voisins demandent parmi nous du secret, et ne pourroient être débattus sans danger dans nos deux Chambres. En France, il est essentiel de regarder toujours à deux choses : au gouvernement du dedans, et aux affaires du dehors. Tandis qu'on se livreroit à des abstractions politiques, et qu'on auroit l'œil fixé sur les astres, on pourroit tomber dans un abîme. Pour prévenir ce malheur, il faut que le trône, placé comme un bouclier devant nous, nous garantisse de tous les coups qu'on voudroit nous porter: il faut qu'il soit en avant-garde de la nation; qu'environné d'éclat et de dignité, il en impose par sa puissance et par sa splendeur. L'autorité du roi doit être dégagée de beaucoup d'entraves pour agir avec vigueur et rapidité; elle doit avoir, dans certains cas, quelque chose de la dictature à Rome; et c'est surtout dans ce moment que nous devons tendre à augmenter le pouvoir monarchique, à l'investir de toute la

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