Page images
PDF
EPUB

glorieux travaux du génie. Ne portons plus nos regards au dehors; écrions-nous, comme Virgile, à l'aspect de notre belle patrie :

Salve, magna parens frugum. .
Magna virum!

Et pourquoi ne le pas dire avec franchise! Certes, nous avons beaucoup perdu par la révolution; mais aussi n'avons-nous rien gagné? N'est-ce rien que vingt années de victoires? N'est-ce rien que tant d'actions héroïques, tant de dévouements généreux ? Il y a encore parmi nous des yeux qui pleurent au récit d'une noble action, des cœurs qui palpitent au nom de patrie.

Si la foule s'est corrompue, comme il arrive toujours dans les discordes civiles, il est vrai de dire aussi que dans la haute société les mœurs sont plus pures, les vertus domestiques plus communes; que le caractère françois a gagné en force et en gravité. Il est certain que nous sommes moins frivoles, plus naturels, plus simples; que chacun est plus soi, moins ressemblant à son voisin. Nos jeunes gens, nourris dans les camps ou dans la solitude, ont quelque chose de mâle ou d'original qu'ils n'avoient point autrefois. La religion, dans ceux qui la pratiquent, n'est plus une affaire d'habitude, mais le résultat d'une conviction forte; la morale, quand elle a survécu dans les cœurs, n'est plus le fruit d'une instruction domestique, mais l'enseignement d'une raison éclairée. Les plus grands intérêts ont occupé les esprits; le monde entier a

passé devant nous. Autre chose est de défendre sa vie, de voir tomber et s'élever les trônes, ou d'avoir pour unique entretien une intrigue de cour, une promenade au bois de Boulogne, une nouvelle littéraire. Nous ne voulons peut-être pas nous l'avouer; mais au fond ne sentons-nous pas que les François sont plus hommes qu'ils ne l'étoient il a trente ou quarante ans? Sous d'autres rapports, pourquoi se dissimuler que les sciences exactes, que l'agriculture et les manufactures ont fait d'immenses progrès? Ne méconnoissons pas les changements qui peuvent être à notre avantage; nous les avons payés assez cher.

y

Cessons donc de nous calomnier, de dire que nous n'entendons rien à la liberté : nous entendons tout, nous sommes propres à tout, nous comprenons tout. En lui témoignant de la considération et de la confiance, cette nation s'élèvera à tous les genres de mérite. N'a-t-elle pas montré ce qu'elle peut être dans les moments d'épreuve? Soyons fiers d'être François, d'être François libres sous un monarque sorti de notre sang. Donnons maintenant l'exemple de l'ordre et de la justice, comme nous avons donné celui de la gloire; estimons les autres nations sans cesser de nous estimer. Les révolutions et les malheurs ont des résultats heureux, lorsqu'on sait profiter des leçons de l'infortune: les fureurs de la Ligue ont sauvé la religion; nos dernières fureurs nous laisseront un état politique digne des sacrifices que nous avons faits.

Que tous les bons esprits se réunissent pour

192

MÉLANGES POLITIQUES.

prêcher une doctrine salutaire, pour créer un centre d'opinions d'où partiront tous les mouvements. Les Chambres doivent s'attacher étroitement au roi, afin que le roi soit plus libre d'exécuter les projets qu'il médite pour le bonheur de son peuple. Loyauté dans les ministres, bonne foi de tous les côtés : voilà notre salut. Respect et vénération pour notre souverain, liberté de nos institutions, honneur de notre armée, amour de notre patrie: voilà les sentiments que nous devons professer. Hors de là nous nous perdrons dans des chimères, dans de vains regrets, dans des humeurs chagrines, des récriminations pénibles; et, après bien des contestations, le siècle nous ramènera de force à ces principes dont nous aurons voulu nous écarter. Nous le voyons, par exemple : il y a vingt-six ans que la révolution est commencée. Une seule idée a survécu; l'idée qui a été la cause et le principe de cette révolution, l'idée d'un ordre politique qui protége les droits du peuple sans blesser ceux des souverains. Croit-on qu'il soit possible d'anéantir aujourd'hui ce que les fureurs révolutionnaires et les violences du despotisme n'ont pu détruire? La Convention nous a guéris pour jamais du penchant à la république; Buonaparte nous a corrigés de l'amour pour le pouvoir absolu. Ces deux expériences nous apprennent qu'une monarchie limitée, telle que nous la devons au roi, est le gouvernement qui convient le mieux à notre dignité comme à notre bonheur.

RAPPORT

SUR L'ÉTAT DE LA FRANCE,

AU 12 MAI 1815,

FAIT AU ROI DANS SON CONSEIL A GAND.'

IRE,

Le seul malheur qui menaçât encore l'Europe, après tant de malheurs, est arrivé. Les souverains, vos augustes alliés, ont cru qu'ils pouvoient être impunément magnanimes envers un homme qui ne connoît ni le prix d'une conduite généreuse, ni la religion des traités. Ce sont là de ces erreurs qui tiennent à la noblesse du caractère : une âme droite et élevée juge mal de la bassesse et de l'artifice, et

I

Lorsque nous arrivâmes de Gand, de très bons royalistes d'ailleurs, mais qui s'étoient laissé surprendre, cherchèrent à justifier leur enthousiasme pour un personnage trop fameux; ils disoient Vous ne savez pas quels services il nous a rendus; vous n'étiez pas ici pendant les Cent-Jours; vous n'avez pas connu l'esprit de la France, etc.

:

Il est assez bizarre de supposer que des personnes qui avoient passé de longues années en France sous le règne de Buonaparte, qui n'en avoient été absentes que trois mois, qui, pendant ces trois mois, étoient restées à quelques lieues de la frontière; qui, MÉLANGES POLITIQUES. 13

T. I.

le sauveur de Paris ne pouvoit pas bien comprendre le destructeur de Moscou.

Buonaparte, placé par une fatalité étrange entre les côtes de la France et de l'Italie, est descendu, comme Genséric, là où l'appeloit la colère de Dieu. Espoir de tout ce qui avoit commis et de tout ce qui méditoit un crime, il est venu; il a réussi. Des hommes accablés de vos dons, le sein décoré de vos ordres, ont baisé le matin la main royale que le soir ils ont trahie. Sujets rebelles, mauvais François, faux chevaliers, les serments qu'ils venoient de vous faire à peine expirés sur leurs lèvres, ils sont allés, le lis sur la poitrine, jurer pour ainsi dire le parjure à celui qui se déclara si souvent lui-même traître, félon et déloyal.

Au reste, sire, le dernier triomphe qui couronne et qui va terminer la carrière de Buonaparte n'a rien de merveilleux. Ce n'est point une révolution véritable; c'est une invasion passagère. Il n'y a

pendant ces trois mois, recevoient tous les jours des nouvelles de Paris, publiques ou secrètes, à vingt heures et quelquefois à seize heures de date; qui étoient au centre des armées et de la diplomatie européenne, et conséquemment au centre de toutes les intelligences et de tous les rapports; qui voyoient à chaque moment arriver auprès du roi, des François de la capitale et des provinces ; il est assez bizarre, dis-je, de supposer que la France étoit devenue pour ces personnes un pays totalement inconnu. Aussi, si l'on veut bien lire ce rapport avec quelque attention, on verra que nous n'étions pas trop mal instruit à Gand de ce qui se passoit à Paris; que nous avions bien prévu le prompt dénoùment de cette courte tragédie, et que nous avions peut-être mieux jugé le jeu des factions et l'état des partis que ceux qui étoient placés plus près du théâtre.

« PreviousContinue »