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de suivre les mouvements convulsifs d'un homme agité par ses propres passions, et par celles qu'il a si follement soulevées. Je disois au roi que Buonaparte avoit remporté une victoire sur le parti républicain, et ce parti l'a vaincu de nouveau. La publication de l'Acte additionnel lui a enlevé, comme nous l'avions prévu, le reste de ses complices. Attaqué de toutes parts, il recule, il retire à ses commissaires extraordinaires la nomination des maires des communes, et rend cette nomination au peuple. Effrayé de la multiplicité des votes négatifs, il abandonne la dictature, et convoque la Chambre des représentants en vertu de cet Acte additionnel qui n'est point encore accepté. Errant ainsi d'écueil en écueil, il se replie en cent façons pour éluder ses engagements et ressaisir le pouvoir qui lui échappe : à peine délivré d'un danger, il en rencontre un nouveau. Ce souverain d'un jour osera-t-il instituer une pairie héréditaire? Comment gouvernera-t-il ses deux Chambres qu'il est forcé de réunir? Montreront-elles à ses ordres une obéissance passive? N'élèveront-elles pas la voix? Ne chercheront-elles point à sauver la patrie? Quels seront les rapports de ces Chambres avec l'assemblée du Champ-de-Mai, qui n'a plus de véritable but, puisque l'Acte additionnel est mis à exécution avant que les suffrages aient été comptés? Cette assemblée du Champ-de-Mai, composée de trente mille électeurs, ne se croira-t-elle pas la véritable représentation nationale, supérieure en autorité à cette Chambre des représentants

qu'elle aura elle-même choisis? Il est impossible à l'intelligence humaine de prévoir ce qui sortira d'un pareil chaos; ces changements subits, cette étrange confusion de toutes choses, annoncent une espèce d'agonie du despotisme : la tyrannie usée et sur son déclin conserve encore l'intention du mal, mais elle paroît en avoir perdu la puissance. On diroit, en effet, que Buonaparte, jouet de tout ce qui l'environne, ne prend plus conseil que du moment, esclave de cette destinée à laquelle il sembloit commander jadis. La licence règne à Paris, l'anarchie dans les provinces : les autorités civiles et militaires se combattent. Ici on menace de brûler les châteaux et d'égorger les prêtres; là on arbore le drapeau blanc et l'on crie vive le roi! Cependant, au milieu de ces désordres, le temps marche et les événements se précipitent. L'Europe entière est arrivée sur les frontières de la France: chaque peuple a pris son poste dans cette armée des nations, et n'attend plus que le dernier signal. Que fera l'auteur de tant de calamités? S'il quitte Paris, Paris demeurera-t-il tranquille? S'il ne rejoint pas ses soldats, ses soldats combattront-ils sans lui? Un succès peut-il changer sa fortune? Non un succès retarderoit à peine sa chute. Peut-il, d'ailleurs, l'espérer, ce succès? L'arrêt est parti d'en haut, la victoire s'est déclarée, et Buonaparte est déjà vaincu dans Murat: un appel a été fait aux passion des peuples d'Italie, et ces peuples ont répondu par un cri de fidélité. Puissent les François imiter cet exemple! Puissent-ils abandonner le fléau de la

MÉLANGES POLitiques.

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terre à la justice du ciel! Ah, sire! espérons que, désarmé par les prières du fils de saint Louis, le dieu des batailles épargnera le sang de notre malheureuse patrie! Vous conserverez à la France, pour son bonheur, ce reste de sang qu'elle a trop prodigué pour sa gloire! Le moment approche où Votre Majesté va recueillir le fruit de ses vertus et de ses sacrifices: à l'ombre du drapeau blanc, les nations jouiront enfin de ce repos après lequel elles soupirent, et qu'elles ont acheté si cher.

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DE LA

DERNIÈRE DÉCLARATION

DU CONGRÈS.

Gand, le 2 juin 1815.

L

A déclaration émanée du congrès de Vienne, Ben date du 12 mai 1815, fait autant d'honneur aux plénipotentiaires qui l'ont signée qu'aux souverains dont elle est pour ainsi dire la dernière profession de foi.

Rien de plus clair et de plus précis que la manière dont les trois questions sont posées et résolues dans le rapport de la commission, inséré au procès-verbal. En effet, le succès de l'invasion de Buonaparte est un fait et non un droit : le succès ne peut rien changer à l'esprit de la déclaration du 13 mars. Cette vérité, resserrée à dessein dans la solution de la première question, seroit susceptible de longs développements.

Soutenir, par exemple, que l'Europe, à qui l'on reconnoissoit le droit d'attaquer Buonaparte encore errant dans les montagnes du Dauphiné, n'auroit pas celui de s'armer contre Buonaparte redevenu le maître de la France, ne seroit-ce pas une véritable absurdité?

La déclaration du 13 mars prévoyoit et suppo

soit évidemment le succès, autrement elle devenoit ridicule on ne fait pas marcher un million de soldats pour combattre douze cents hommes. Buonaparte pouvoit-il entreprendre la conquête d'un grand royaume avec quelques satellites, sans y être appelé par une conspiration redoutable? Le caractère connu de l'usurpateur devoit confirmer dans cette pensée les princes réunis à Vienne : cet homme n'est point un partisan qui sait faire la guerre à la tête d'une bande déterminée, sur les rochers et dans les bois; il ne retrouve sa force et son audace qu'en remuant des masses et en employant des moyens immenses. Les souverains avoient donc jugé le péril avec sagesse. L'empereur de Russie apprit le 3 mars, à deux heures de l'après midi, que Buonaparte avoit quitté l'île d'Elbe; et le même jour, à cinq heures du soir, une estafette porta à Pétersbourg l'ordre de faire partir la garde impériale russe; les autres souverains expédièrent des courriers aux ministres et aux commandants de leurs provinces; en moins d'une semaine le signal fut donné à toutes les armées de l'Europe: ce n'étoit pas, nous le répétons, contre douze cents hommes, qu'un seul pont rompu pouvoit arrêter dans les défilés de Gap, qu'étoit dirigée tant de prévoyance, de résolution et d'activité.

La seconde question du procès-verbal porte sur le traité de Paris, que Buonaparte offre de sanctionner, tout en affectant de l'appeler un traité honteux. Le congrès répond avec raison, et conformément à la déclaration du 31 mars 1814, que

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