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de l'honneur des femmes, des insultes au pouvoir (c'est-à-dire aux ministres); mais des raisons géné rales et constitutionnelles, point. Étoient-ce, en effet, des raisons dignes seulement d'être examinées pour ceux qui ne voient dans les deux Chambres qu'un conseil passif sans action et sans droit? Au reste, la loi ne réprimoit rien, et donnoit au gouvernement l'apparence de l'arbitraire, en laissant tout empire à la licence.

Quant aux ordonnances, il n'y en eut qu'une remarquable; et, au lieu de régler l'éducation, elle la bouleversa.

Les Chambres eurent alors l'avantage des bonnes propositions opposées aux mauvais projets de loi. La seule vue, vraiment grande et politique autant qu'elle est juste et généreuse, présentée dans la session de 1814, appartient à un maréchal de France.

Le premier ministère fut emporté par la tempête qu'il avoit laissée se former; et cette tempête fut sur le point d'emporter la France.

CHAPITRE IV.

Du second ministère. Sa formation.

Le principal ministre du premier ministère fut porté d'un commun accord à la tête du second. La plus belle carrière s'ouvroit devant lui; il pouvoit achever son ouvrage et consolider le trône qu'il avoit puissamment contribué à relever. Il lui suffisoit de bien sentir sa position, de renoncer fran

chement à la révolution et aux révolutionnaires, d'embrasser avec franchise la monarchie constitutionnelle, mais en l'asseyant sur les bases de la religion, de la morale et de la justice; en lui donnant pour guides des hommes irréprochables, nécessairement fixés dans les intérêts de la couronne.

Le nom de ce ministre, ses talents, son expérience des affaires, son crédit en Europe, tout l'appeloit à remplir ce rôle aussi brillant pour lui qu'utile à la France. Il auroit joui, dans la postérité, du double éclat de ces hommes extraordinaires qui perdent et qui sauvent les empires. A force de gloire, il eût forcé ses ennemis au silence.

Naturellement enclin à embrasser ce parti, et par l'empire de sa haute naissance, et par la rare perspicacité de son jugement, il en fut détourné par une de ces fatalités qui changent toute une destinée. Trop long-temps absent de la France, il n'en connoissoit pas bien le véritable esprit : il interrogea des hommes qui le trompèrent; car il est peut-être encore plus habile à juger les choses que les hommes. Le ministre rentra donc, comme malgré lui, dans des systèmes dont il sentoit la nécessité de sortir.

CHAPITRE V.

Suite du précédent.

Ces systèmes se fortifièrent encore quand un homme resté à Paris fut, par une autre fatalité, jeté dans le ministère.

Ce personnage fameux, qui n'avoit pris d'abord aucun parti, mais qui, dans toutes les chances, vouloit se ménager des ressources, faisoit porter des paroles à Gand, comme il en faisoit probablement porter ailleurs. Une coalition puissante se formoit pour lui à mesure que nous avancions en France. Il ne fut plus possible d'y résister en approchant de Paris. Tout s'en mêla, la religion comme l'impiété, la vertu comme le vice, le royaliste comme le révolutionnaire, l'étranger comme le François. Je n'ai jamais vu un vertige plus étrange. On crioit de toutes parts que, sans le ministre proposé, il n'y avoit ni sûreté pour le roi ni salut pour la France; que lui seul avoit empêché une grande bataille, que lui seul avoit déjà sauvé Paris, que lui seul pouvoit achever son ouvrage.

Qu'on me permette une vanité : je ne parlerois pas de l'opinion que je manifestai alors, si elle avoit été ignorée du public. Je soutins donc que, dans aucun cas, il ne falloit admettre un tel ministre; que si jamais on lui livroit la conduite des affaires, il perdroit la France, ou ne resteroit pas trois mois en place. Ma prédiction s'est accomplie.

Outre les raisons morales qui me faisoient penser ainsi, deux raisons me sembloient sans réplique.

En politique, comme en toute chose, la première loi est de vouloir le possible: or, dans la nomination proposée il y avoit deux impossibilités.

La première naissoit de la position particulière où se trouveroit le ministre par rapport à son maître;

La seconde venoit de cet empêchement constitutionnel qui fait le jugement du XXXIX® chapitre de la première partie de cet ouvrage.

Si l'on croyoit qu'un homme de cette nature étoit utile, il falloit le laisser derrière le rideau, le combler de biens, élever sa famille en proportion des services qu'il pouvoit avoir rendus, prendre en secret ses conseils, consulter son expérience. Mais on auroit dû éviter de faire violence à la couronne pour le porter ostensiblement au ministère. Au reste, il fut presque impossible aux meilleurs esprits d'échapper à la force des choses et à l'illusion du moment.

Je me rappellerai toute ma vie la douleur que j'éprouvai à Saint-Denis. Il étoit à peu près neuf heures du soir: j'étois resté dans une des chambres qui précédoient celle du roi. Tout à coup la porte s'ouvre je vois entrer le président du conseil, s'appuyant sur le bras du nouveau ministre... O Louisle-Désiré! ô mon malheureux maître! vous avez prouvé qu'il n'y a point de sacrifice que votre peuple ne puisse attendre de votre cœur paternel!

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CHAPITRE VI.

Premier projet du second ministère.

Le conseil installé, il falloit qu'il adoptât une marche; le nouveau ministre admis voulut lui faire prendre la seule possible dans ses intérêts particuliers. Il sentoit l'incompatibilité de son existence ministérielle avec le jeu de la monarchie représen

tative. Il comprit très bien que si la force armée illegitime et la force politique pareillement illégitime n'étoient pas conservées, sa chute étoit inévitable. Il savoit qu'on ne lutte pas contre la force des choses; et comme il ne pouvoit s'amalgamer avec les éléments d'un gouvernement légal, il voulut rendre ces éléments homogènes à sa propre nature.

Son plan fut sur le point de réussir : il créa une terreur factice avant que la cour entrât dans Paris. Supposant des dangers imaginaires, il prétendoit forcer la couronne à reconnoître les deux Chambres de Buonaparte, et à accepter la déclaration des droits qu'on s'étoit hâté de finir. Louis XVIII eût été roi par les constitutions de l'empire; le peuple lui auroit fait la grâce de le choisir pour chef; il eût daté les actes de son gouvernement de l'an 1er de son règne; les gardes du corps et les compagnies rouges eussent été licenciés; l'armée de la Loire conservée; et la cocarde blanche, arrachée à quelques soldats fidèles arrivés de l'exil avec le roi, eût été remplacée par la cocarde tricolore des rebelles, encore armés contre le souverain légitime.

Alors la révolution eût été, en effet, consommée; la famille royale fût restée là quelque temps, jusqu'au jour où le peuple souverain, et les ministres, plus souverains encore, eussent jugé bon de changer et le monarque et la monarchie. A cette époque la faction révolutionnaire murmuroit même quelques mots de la nécessité d'exiler les princes; le projet étoit d'isoler le roi de sa famille.

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