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CHAPITRE VII.

Suite du premier plan du second ministère.

Cependant on continuoit d'être la dupe de tout ce qu'il plaisoit au parti de débiter. Les plus chauds royalistes accouroient pour nous dire, de la meilleure foi du monde, que si le roi entroit dans Paris avec sa maison militaire, cette maison seroit massacrée; que si l'on ne prenoit pas la cocarde tricolore, il y auroit une insurrection générale. En vain la garde nationale passoit par-dessus les murs de Paris pour venir protester de son dévouement; on assuroit que cette garde étoit mal disposée. La faction avoit fermé les barrières pour empêcher le peuple de voler au-devant de son souverain il y avoit conjuration autant contre ce pauvre peuple que contre le roi. L'aveuglement étoit miraculeux; car alors l'armée françoise, qui auroit pu faire le seul danger, se retiroit sur la Loire; cent cinquante mille soldats étrangers occupoient les postes, les avenues et les barrières de Paris, où ils alloient entrer dans vingt-quatre heures par capitulation; et l'on prétendoit toujours que le roi, avec ses gardes et ses alliés, n'étoit pas assez fort pour pénétrer dans une ville où il ne restoit pas un soldat, où il n'y avoit plus que des bourgeois fidèles, très capables à eux seuls de contenir une poignée de fédérés, si ceux-ci s'étoient avisés de vouloir faire un mouvement.

Il se passa cependant quelque chose de bien

propre à dessiller les yeux : le gouvernement provisoire fut dissous, mais il le fut par une espèce d'acte d'accusation contre la couronne; c'étoit la pierre d'attente sur laquelle on espéroit bâtir la révolution à l'avenir. Quelques personnes furent un peu étonnées; mais le ministre ayant assuré qu'il n'avoit pas eu d'autre moyen de dissoudre le gouvernement provisoire, on le crut. Or, remarquez que le ministre lui seul avoit toute la puissance dans ce gouvernement; et que, s'il avoit voulu laisser faire, ces directeurs, si difficiles à chasser avec cent cinquante mille alliés et toute la maison du roi, auroient été jetés dans la Seine par cinquante hommes de la garde nationale.

CHAPITRE VIII.

Renversement du premier plan du second ministère.

Toute cette comédie finit par je ne sais quel hasard: le nouveau Directoire, les pairs et les représentants de Buonaparte furent chassés : la maison du roi ne fut point dissoute; on ne prit point la cocarde tricolore, grâce aux nobles sentiments du noble héritier de Henri IV, qui déclara qu'il aimeroit mieux retourner à Hartwel; le drapeau blanc flotta sur les Tuileries; on entra paisiblement dans

1 J'ai acheté dans les rues de Paris cet acte imprimé pour le peuple, sur papier à l'aigle, avec deux ou trois phrases qui ne sont pas dans le Moniteur, et où il est dit que les honnêtes gens, forcés de s'éloigner, doivent garder leurs bonnes intentions pour de plus heureux jours.

Paris; et, au grand ébahissement des dupes, jamais le roi ne fut mieux reçu, jamais les gardes du corps ne furent mieux accueillis. La prétendue résistance que l'on devoit rencontrer ne se montra nulle part; et les obstacles, qui n'avoient jamais existé, s'évanouirent.

C'étoit une chose curieuse à observer que l'air stupéfait et un peu honteux qui régna sur les visages pendant quelque temps dans les sociétés de Paris. Chacun vouloit encore, pour se justifier, soutenir que le choix du nouveau ministre étoit un choix indispensable; mais à mesure que l'opinion de la province et de l'Europe se faisoit connoître (et la province et l'Europe n'eurent pas un moment d'illusion), à mesure que la terreur cessoit à Paris, on revenoit au bon sens : on ne tarda pas à découvrir l'impossibilité absolue de garder en entier ce ministère, qu'on avoit demandé à la couronne avec une sorte de fureur. N'accusons personne : il étoit tout simple que ceux qui s'étoient crus protégés pendant les Cent-Jours (et qui auroient été cruellement détrompés si la bataille de Waterloo eût été perdue par les alliés), il étoit tout simple, dis-je, que ceux-là fussent sous l'illusion de la reconnoissance. Mais puisqu'ils ont été si promptement forcés de reconnoître leur erreur, cela leur devroit donner moins d'assurance dans leurs nouvelles assertions. Quand ils excusent aujourd'hui toutes les fautes que l'on peut faire, quand ils soutiennent avec la même conviction que sans tel ou tel ministre nous serions inévitablement perdus, qu'ils

se rappellent leur enthousiasme pour un autre personnage, le ton tranchant avec lequel ils affirmoient que rien ne pouvoit aller sans lui, leurs grands raisonnements, leur colère contre les profanes qui n'admiroient pas, qui osoient douter de l'infaillibilité du ministre : alors ils apprendront à se méfier de leur propre jugement, et seront plus réservés dans la distribution de leurs anathèmes.

CHAPITRE IX.

Division du second ministère.

Le plan général ayant avorté, le ministre qui l'avoit conçu, s'il eût été sage, eût donné sa démission; car, d'un côté, les deux impossibilités de sa position naturelle l'empêchoient, comme je l'ai dit, d'entrer dans le système du gouvernement légitime; et, de l'autre, il ne pouvoit plus suivre le système révolutionnaire, puisque celui-ci venoit de manquer par la base. Si cette retraite avoit eu lieu, le ministère amélioré auroit pu se soutenir; il ne se seroit pas trouvé engagé dans la fausse position qui devint la cause de ses fausses démarches et précipita sa chute.

Le président du conseil, dégagé du tourbillon qui l'avoit d'abord entraîné, revenoit à des idées plus justes, et désiroit administrer dans le sens royaliste et constitutionnel. A cette fin, il falloit une Chambre des députés, et cette Chambre fut convoquée. Les électeurs adjoints, les présidents des colléges électoraux furent généralement choisis

parmi les hommes attachés à la royauté. Mais précisément ce qu'il y avoit de bon dans ces mesures tendoit à dissoudre l'administration, puisque parlà se trouvoit menacé le ministre attaché à la révolution ce ministre, en s'efforçant même d'entrer dans la Chambre des députés, montroit de son côté une ignorance complète de sa position

Comment un homme étoit-il devenu si aveugle sur son intérêt politique, après avoir été d'abord si clairvoyant ? C'est qu'ayant été arrêté dans son premier plan, il ne pouvoit plus empêcher la constitution de marcher, ni l'arbre de produire son fruit; c'est qu'il se fit peut-être illusion; qu'il pensa que la Chambre des députés entreroit dans le système révolutionnaire. Et d'ailleurs, vain et mobile, ce ministre, dont le nom rappellera éternellement nos malheurs, se croit seul capable de maîtriser les tempêtes, parce qu'il a l'expérience des naufrages, et sa légèreté semble être en raison inverse de la gravité des affaires qu'il a traitées.

Lorsque Cromwell signa la sentence de mort de Charles Ier, il barbouilla d'encre le visage de Marten, autre régicide auquel il passoit la plume. C'est une prétention des grands criminels de supporter gaî ment les douleurs de la conscience.

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