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douze cent mille étrangers; ceux-là ont vu des paysans au milieu de leurs moissons détruites, de leurs chaumières en cendres. Seroit-il juste de conclure que des propos arrachés à l'impatience de la misère sont la manifestation d'une opinion nationale? Et comment se fait-il que ces provinces dépouillées aient nommé des députés tout aussi royalistes que ceux du reste de la France? Ignore-t-on même que les départements du Nord sont remarquables par l'ardeur de leur royalisme? Voyagez à l'ouest et au midi, et vous serez frappé de la vivacité de cette opinion, qui est portée jusqu'à l'enthousiasme. Voilà des faits et des calculs.

CHAPITRE XXI.

Ce qui a pu tromper les ministres sur la véritable opinion de la France.

L'illusion du ministère sur la véritable opinion de la France tient encore à une autre cause. Il prend pour une chose existante hors de lui une chose inhérente à lui-même; et il s'émerveille de découvrir ce qui est le résultat forcé de la position où il a placé l'ordre politique.

Le ministère ne voit pas que, sur la question de l'opinion générale, il n'a pour guide et pour témoin qu'une opinion intéressée. La plupart des places étoient et sont encore entre les mains des partisans de la révolution ou de Buonaparte. Les ministres ne correspondent qu'avec les hommes en

place; ils leur demandent des renseignements sur l'opinion de la France. Ces hommes tout naturellement ne manquent pas de répondre que les administrés pensent comme eux, hors une petite poignée de chouans et de Vendéens. Comptez l'armée des douaniers, des employés de toutes les sortes, des commis de toutes les espèces, et vous reconnoîtrez que l'administration, dans sa presque totalité, tient aux intérêts révolutionnaires. Or, si le gouvernement voit l'opinion de la France dans les administrateurs, et non dans les administrés, il en résulte qu'il doit croire, contre la vérité évidente, qu'il y a très peu de royalistes en France. Et, comme ce sont des administrateurs qui parlent, qui écrivent, qui disposent des journaux et de la voix de la renommée; comme, enfin, ce sont eux qui forment les autorités publiques, il est clair qu'il y a de quoi prendre là des idées fausses sur la France, de quoi se tromper soi-même, et tromper l'Europe.

CHAPITRE XXII.

Objection réfutée.

Un homme d'esprit, consulté sur l'opinion de la France, après avoir dit que les royalistes sont les meilleures gens du monde, qu'ils sont pleins de zèle et de dévouement (précaution oratoire à l'usage de tous ceux qui veulent leur nuire), ajoutoit: Mais ces honnêtes gens sont en si petit nombre, ils sont si peu de chose comme parti, qu'ils n'ont pas

pu, le 20 mars, sauver le roi à Paris, ni défendre MADAME à Bordeaux.

Hé! grand Dieu! quels sont donc ceux qui emploient de tels raisonnements pour prouver la minorité des royalistes? Ne seroient-ce point des hommes qui chercheroient une excuse à des événements qui les condamnent? Ne seroient-ce point des administrateurs auteurs et fauteurs du merveilleux système qu'il faut gouverner dans les intérêts révolutionnaires, par conséquent ne placer que des amis de Buonaparte, que des élèves de la révolution?

Quoi! c'est vous qui refusiez de croire à tout ce qu'on vous dénonçoit; qui traitiez d'alarmistes ceux qui osoient vous parler des dangers de la France; qui n'ouvriez pas même les lettres qu'on vous écrivoit des départements; qui n'avez pas pu garder un bras de mer avec toute la flotte de Toulon; qui vous êtes montrés si pusillanimes au moment du danger, si incapables de prendre un parti, de suivre un plan, de concevoir une idée; qui n'avez su que vous cacher en laissant 35 millions comptant à l'usurpateur, tant il vous sembloit difficile de trouver quelques chariots! C'est vous qui reprochez aux royalistes écartés, désarmés par vous, de n'avoir pas pu sauver le roi! Ah! qu'il vaudroit mieux garder le silence que de vous exposer à vous faire dire que tous les torts viennent de vous, de vos funestes systèmes ! Si vous n'aviez pas mis des révolutionnaires dans toutes les places. si vous n'aviez pas éloigné les royalistes de tous les

postes, l'usurpateur n'auroit pas réussi. Ce sont vos préfets révolutionnaires, vos commandants buonapartistes qui ont ouvert la France à leur maître. Ne lui aviez-vous pas ingénieusement envoyé des maréchaux de logis dans tout le midi, en semant sur son chemin ses créatures? Il avoit raison de dire que ses aigles voleroient de clocher en clocher: il alloit de préfecture en préfecture coucher chaque soir, grâce à vos soins, chez un de ses amis. Et vous osez vous en prendre aux royalistes! Qui ne sait que dans tout pays ce sont les autorités civiles et militaires qui font tout, parce qu'elles disposent de tout; que la foule désarmée ne peut rien? Où l'usurpateur a-t-il rencontré quelrésistance, si ce n'est là même où, par hasard, il s'est rencontré des hommes qui n'étoient pas dans les intérêts révolutionnaires? Vos agents, ces habiles que vous aviez comblés de faveurs pour les attacher à la couronne, arrêtoient les royalistes, empêchoient les Marseillois de sortir de Marseille. Vous sied-il bien de mettre sur le compte de la prétendue foiblesse des sujets fidèles ce qui n'est que le fruit de la pauvreté de vos conceptions? Abandonnez un moyen de défense aussi maladroit qu'imprudent, puisqu'au lieu de prouver la bonté de votre système il en démontre le vice.

que

MÉLANGES POLITIQUES. T. I.

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CHAPITRE XXIII.

Que s'il n'y a pas de royalistes en France, il faut en faire

Après avoir nié la majeure, je change d'argument, et j'accorde aux adversaires tout ce qu'ils voudront. Je dis alors: Fût-il vrai qu'il n'y eût pas de royalistes en France, le devoir du ministère seroit d'en faire; loin de gouverner dans le sens de la révolution, de fortifier les principes révolutionnaires essentiellement républicains, il seroit coupable de ne pas employer tous ses efforts pour amener le triomphe des opinions monarchiques.

Ainsi, trouvant sous sa main, par miracle, une Chambre de députés purement royalistes, le ministère devroit s'en servir pour changer la mauvaise opinion qu'il supposoit exister dans la majorité de la France. Et qu'il ne soutienne pas que ce changement eût été impossible: les moyens d'un gouvernement sont toujours immenses. C'est bien après avoir été témoin de toutes les variations que la révolution a produites, de tous les rôles que la plupart des hommes ont joués, de tous ces serments prêtés à la république, à la tyrannie, à la royauté, au gouvernement de droit, au gouvernement de fait, que l'on peut désespérer de ramener à la légitimité des caractères si flexibles! Et si, au lieu de supposer la majorité révolutionnaire, je la suppose seulement indifférente et passive, quelle facilité de plus pour la faire pencher vers les principes de la religion et de la royauté! C'est donc par goût et

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