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françois, le roi légitime, le père et le chef de la patrie!

Buonaparte s'est montré trop médiocre dans l'infortune pour croire que sa prospérité fût l'ouvrage de son génie; il n'est que le fils de notre puissance, et nous l'avons cru le fils de ses œuvres. Sa grandeur n'est venue que des forces immenses que nous lui remîmes entre les mains lors de son élévation. Il hérita de toutes les armées formées sous nos plus habiles généraux, conduites tant de fois à la victoire par tous ces grands capitaines qui ont péri, et qui périront peut-être jusqu'au dernier, victimes des fureurs et de la jalousie du tyran. Il trouva un peuple nombreux, agrandi par des conquêtes, exalté par des triomphes et par le mouvement que donnent toujours les révolutions; il n'eut qu'à frapper du pied la terre féconde de notre patrie, et elle lui prodigua des trésors et des soldats. Les peuples qu'il attaquoit étoient lassés et désunis: il les vainquit tour à tour, en versant sur chacun d'eux séparément les flots de la population de la France.

Lorsque Dieu envoie sur la terre les exécuteurs des châtiments célestes, tout est aplani devant eux : ils ont des succès extraordinaires avec des talents médiocres. Nés au milieu des discordes civiles, ces exterminateurs tirent leurs principales forces des maux qui les ont enfantés, et de la terreur qu'inspire le souvenir de ces maux : ils obtiennent ainsi la soumission du peuple au nom des calamités dont ils sont sortis. Il leur est donné de corrompre et d'avilir, d'anéantir l'honneur, de dégrader les âmes,

de souiller tout ce qu'ils touchent, de tout vouloir et de tout oser, de régner par le mensonge, l'impiété et l'épouvante, de parler tous les langages, de fasciner tous les yeux, de tromper jusqu'à la raison, de se faire passer pour de vastes génies, lorsqu'ils ne sont que des scélérats vulgaires, car l'excellence en tout ne peut être séparée de la vertu : traînant après eux les nations séduites, triomphant par la multitude, déshonorés par cent victoires, la torche à la main, les pieds dans le sang, ils vont au bout de la terre comme des hommes ivres, poussés par Dieu qu'ils méconnoissent.

Lorsque la Providence au contraire veut sauver un empire et non le punir; lorsqu'elle emploie ses serviteurs et non ses fléaux; qu'elle destine aux hommes dont elle se sert, une gloire honorable et non une abominable renommée; loin de leur rendre la route facile comme à Buonaparte, elle leur oppose des obstacles dignes de leurs vertus. C'est ainsi que l'on peut toujours distinguer le tyran du libérateur, le ravageur des peuples du grand capitaine, l'homme envoyé pour détruire, et l'homme venu pour réparer. Celui-là est maître de tout, et se sert pour réussir de moyens immenses; celui-ci n'est maître de rien, et n'a entre les mains que les plus foibles ressources : il est aisé de reconnoître aux premiers traits et le caractère et la mission du dévastateur de la France.

Buonaparte est un faux grand homme : la magnanimité, qui fait les héros et les véritables rois, lui manque. De là vient qu'on ne cite pas de lui un

seul de ces mots qui annoncent Alexandre et César, Henri IV et Louis XIV. La nature le forma sans entrailles. Sa tête assez vaste est l'empire des ténèbres et de la confusion. Toutes les idées, même celles du bien, peuvent y entrer, mais elles en sortent aussitôt. Le trait distinctif de son caractère est une obstination invincible, une volonté de fer, mais seulement pour l'injustice, l'oppression, les systèmes extravagants; car il abandonne facilement les projets qui pourroient être favorables à la morale, à l'ordre et à la vertu. L'imagination le domine, et la raison ne le règle point. Ses desseins ne sont point le fruit de quelque chose de profond et de réfléchi, mais l'effet d'un mouvement subit et d'une résolution soudaine. Il a quelque chose de l'histrion et du comédien; il joue tout, jusqu'aux passions qu'il n'a pas. Toujours sur un théâtre, au Caire, c'est un renégat qui se vante d'avoir détruit la papauté; à Paris, c'est le restaurateur de la religion chrétienne tantôt inspiré, tantôt philosophe, ses scènes sont préparées d'avance; un souverain qui a pu prendre des leçons afin de paroître dans une attitude royale est jugé pour la postérité. Jaloux de paroître original, il n'est presque jamais qu'imitateur; mais ses imitations sont si grossières, qu'elles rappellent à l'instant l'objet ou l'action qu'il copie; il essaie toujours de dire ce qu'il croit un grand mot, ou de faire ce qu'il présume une grande chose. Affectant l'universalité du génie, il parle de finances et de spectacles, de guerre et de modes, règle le sort des rois et celui d'un commis à la barrière,

date du Kremlin un règlement sur les théâtres, et le jour d'une bataille fait arrêter quelques femmes à Paris. Enfant de notre révolution, il a des ressemblances frappantes avec sa mère; intempérance de langage, goût de la basse littérature, passion d'écrire dans les journaux. Sous le masque de César et d'Alexandre, on aperçoit l'homme de peu et l'enfant de petite famille. Il méprise souverainement les hommes, parce qu'il les juge d'après lui. Sa maxime est qu'ils ne font rien que par intérêt, que la probité même n'est qu'un calcul. De là le système de fusion qui faisoit la base de son gouvernement, employant également le méchant et l'honnête homme, mêlant à dessein le vice et la vertu, et prenant toujours soin de vous placer en opposition à vos principes. Son grand plaisir étoit de déshonorer la vertu, de souiller les réputations: il ne vous touchoit que pour vous flétrir. Quand il vous avoit fait tomber, vous deveniez son homme, selon son expression; vous lui apparteniez par droit de honte; il vous en aimoit un peu moins, et vous en méprisoit un peu plus. Dans son administration, il vouloit qu'on ne connût que les résultats, et qu'on ne s'embarrassât jamais des moyens, les masses devant être tout, les individualités rien. «On corrompra « cette jeunesse, mais elle m'obéira mieux; on fera périr cette branche d'industrie, mais j'obtiendrai « pour le moment plusieurs millions; il périra << soixante mille hommes dans cette affaire, mais je « gagnerai la bataille. » Voilà tout son raisonnement, et voilà comme les royaumes sont anéantis!

Né surtout pour détruire, Buonaparte porte le mal dans son sein, tout naturellement, comme une mère porte son fruit, avec joie et une sorte d'orgueil. Il a l'horreur du bonheur des hommes; il disoit un jour : « Il y a encore quelques personnes << heureuses en France; ce sont des familles qui ne « me connoissent pas, qui vivent à la campagne, dans un château, avec 30 ou 40,000 liv. de rente; <<< mais je saurai bien les atteindre. » Il a tenu parole. Il voyoit un jour jouer son fils, il dit à un évêque présent : « Monsieur l'évêque, croyez-vous que cela << ait une âme ? » Tout ce qui se distingue par quelque supériorité épouvante ce tyran; toute réputation l'importune. Envieux des talents, de l'esprit, de la vertu, il n'aimeroit pas même le bruit d'un crime, si ce crime n'étoit pas son ouvrage. Le plus disgracieux des hommes, son grand plaisir est de blesser ce qui l'approche, sans penser que nos rois n'insultoient jamais personne, parce qu'on ne pouvoit se venger d'eux; sans se souvenir qu'il parle à la nation la plus délicate sur l'honneur, à un peuple que la cour de Louis XIV a formé, et qui est justement renommé pour l'élégance de ses mœurs et la fleur de sa politesse. Enfin Buonaparte n'étoit que l'homme de la prospérité; aussitôt que l'adversité, qui fait éclater les vertus, a touché le faux grand homme, le prodige s'est évanoui dans le monarque on n'a plus aperçu qu'un aventurier, et dans le héros qu'un parvenu à la gloire.

Lorsque Buonaparte chassa le Directoire, il lui adressa ce discours :

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