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fois échappé de dire: Voilà comme vous êtes, vous autres François. Dans un discours, il a parlé de l'Italie comme de sa patrie, et de la France comme de sa conquête. Si Buonaparte est François, il faut dire nécessairement que Toussaint-Louverture l'étoit autant et plus que lui; car enfin il étoit né dans une vieille colonie françoise, et sous les lois françoises; la liberté qu'il avoit reçue lui avoit rendu les droits du sujet et du citoyen. Et un étranger, élevé par la charité de nos rois, occupe le trône de nos rois, et brûle de répandre leur sang! Nous prîmes soin de sa jeunesse, et, par reconnoissance, il nous plonge dans un abîme de douleur! Juste dispensation de la Providence! les Gaulois saccagèrent Rome, et les Romains opprimèrent les Gaules; les François ont souvent ravagé l'Italie, et les Médicis, les Galigaï, les Buonaparte, nous ont désolés. La France et l'Italie devroient enfin se connoître, et renoncer pour toujours l'une à l'autre.

Qu'il sera doux de se reposer enfin de tant d'agitations et de malheurs sous l'autorité paternelle de notre souverain légitime! Nous avons pu un moment être sujets de la gloire que nos armes avoient répandue sur Buonaparte; aujourd'hui qu'il s'est dépouillé lui-même de cette gloire, ce seroit trop que de rester l'esclave de ses crimes. Rejetons cet oppresseur comme tous les autres peuples l'ont déjà rejeté. Qu'on ne dise pas de nous Ils ont tué le meilleur et le plus vertueux des rois; ils n'ont rien fait pour lui sauver la vie, et ils versent aujourd'hui la dernière goutte de leur sang, ils sacrifient

les restes de la France pour soutenir un étranger qu'eux-mêmes détestent. Par quelle raison cette France infidèle justifieroit-elle son abominable fidélité ? Il faut donc avouer que ce sont les forfaits qui nous plaisent, les crimes qui nous charment, la tyrannie qui nous convient. Ah! si les nations étrangères, enfin lasses de notre obstination, alloient consentir à nous laisser cet insensé; si nous étions

assez lâches pour acheter, par une partie de notre territoire, la honte de conserver au milieu de nous le germe de la peste et le fléau de l'humanité, il faudroit fuir au fond des déserts, changer de nom et de langage, tâcher d'oublier et de faire oublier que nous avons été François.

Pensons au bonheur de notre commune patrie; songeons bien que notre sort est entre nos mains: un mot peut nous rendre à la gloire, à la paix, à l'estime du monde, ou nous plonger dans le plus affreux, comme dans le plus ignoble esclavage. Relevons la monarchie de Clovis, l'héritage de saint Louis, le patrimoine de Henri IV. Les Bourbons seuls conviennent aujourd'hui à notre situation malheureuse, sont les seuls médecins qui puissent fermer nos blessures. La modération, la paternité de leurs sentiments, leurs propres adversités, conviennent à un royaume épuisé, fatigué de convulsions et de malheurs. Tout deviendra légitime avec eux, tout est illégitime sans eux. Leur seule présence fera renaître l'ordre dont ils sont pour nous le principe. Ce sont de braves et illustres gentilshommes, autant et plus François que nous. Ces

seigneurs des fleurs-de-lis furent dans tous les temps célèbres par leur loyauté; ils tiennent si fort à la racine de nos mœurs, qu'ils semblent faire partie même de la France, et lui manquer aujour

d'hui comme l'air et le soleil.

Si tout doit devenir paisible avec eux, s'ils peuvent seuls mettre un terme à cette trop longue révolution, le retour de Buonaparte nous plongeroit dans des maux affreux et dans des troubles interminables. L'imagination la plus féconde peut-elle se représenter ce que seroit ce monstrueux géant resserré dans d'étroites limites, n'ayant plus les trésors du monde à dévorer, et le sang de l'Europe à répandre? Peut-on se le figurer renfermé dans une cour ruinée et flétrie, exerçant sur les seuls François sa rage, ses vengeances et son génie turbulent? Buonaparte n'est point changé ; il ne changera jamais. Toujours il inventera des projets, des lois, des décrets absurdes, contradictoires ou criminels; toujours il nous tourmentera: il rendra toujours incertaines notre vie, notre liberté, nos propriétés. En attendant qu'il puisse troubler le monde nouveau, il s'occupera du soin de bouleverser nos familles. Seuls esclaves au milieu du monde libre, objets du mépris des peuples, le dernier degré du malheur sera de ne plus sentir notre abjection, et de nous endormir, comme l'esclave de l'Orient, indifférents au cordon que le Sultan nous enverra à notre réveil.

Non, il n'en sera pas ainsi. Nous avons un prince légitime, né de notre sang, élevé parmi nous, que

nous connoissons, qui nous connoît, qui a nos mœurs, nos goûts, nos habitudes, pour lequel nous avons prié Dieu dans notre jeunesse, dont nos enfants savent le nom comme celui d'un de leurs voisins, et dont les pères vécurent et moururent avec les nôtres. Parce que nous avons réduit nos anciens princes à être voyageurs, la France serat-elle une propriété forfaite? Doit-elle demeurer à Buonaparte par droit d'aubaine? Ah! pour Dieu, ne soyons pas trouvés en telle déloyauté, que de déshériter notre naturel seigneur, pour donner son lit au premier compagnon qui le demande. Si nos maîtres légitimes nous manquoient, le dernier des François seroit encore préférable à Buonaparte pour régner sur nous: du moins nous n'aurions pas la honte d'obéir à un étranger.

Il ne me reste plus qu'à prouver que si le rétablissement de la maison de Bourbon est nécessaire à la France, il ne l'est pas moins à l'Europe entière.

DES ALLIES.

A ne considérer d'abord que les raisons particulières, est-il un homme au monde qui voulût jamais s'en reposer sur la parole de Buonaparte ? N'est-ce pas un point de sa politique commun, un des penchants de son cœur, que de faire consister l'habileté à tromper, à regarder la bonne foi comme une duperie et comme la marque d'un esprit borné, à se jouer de la sainteté des serments? A-t-il tenu

un seul des traités qu'il ait faits avec les diverses puissances de l'Europe? C'est toujours en violant quelque article de ces traités, et en pleine paix, qu'il a fait ses conquêtes les plus solides; rarement il a évacué une place qu'il devoit rendre; et aujourd'hui même qu'il est abattu, il possède encore dans quelques forteresses de l'Allemagne le fruit de ses rapines et les témoins de ses mensonges.

On le liera de sorte qu'il ne puisse recommencer ses ravages. Vous aurez beau l'affoiblir en démembrant la France, en mettant garnison dans les places frontières pendant un certain nombre d'années, en l'obligeant à payer des sommes considérables, en le forçant à n'avoir qu'une petite armée, et à abolir la conscription; tout cela sera vain. Buonaparte, encore une fois, n'est point changé. L'adversité ne peut rien sur lui, parce qu'il n'étoit pas au-dessus de la fortune. Il méditera en silence sa vengeance: tout à coup, après un ou deux ans de repos, lorsque la coalition sera dissoute, que chaque puissance sera rentrée dans ses États, il nous appellera aux armes, profitera des générations qui se seront formées, enlèvera, franchira les places de sûreté, et se débordera de nouveau sur l'Allemagne. Aujourd'hui même il ne parle que d'aller brûler Vienne, Berlin et Munich; il ne peut consentir à lâcher sa proie. Les Russes reviendrontils assez vite des rives du Borysthène pour sauver une seconde fois l'Europe? Cette miraculeuse coalition, fruit de vingt-cinq années de souffrances, pourra-t-elle se renouer quand tous les fils en au

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