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ne pouvoit s'accomplir que sous ce règne d'un aventurier. Les rois alliés doivent désormais aspirer à une gloire plus solide et plus durable. Qu'ils se rendent avec leur garde sur la place de notre Révolution; qu'ils fassent célébrer une pompe funèbre à la place même où sont tombées les têtes de Louis et d'Antoinette; que ce conseil de rois, la main sur l'autel, au milieu du peuple françois à genoux et en larmes, reconnoisse Louis XVIII pour roi de France: ils offriront au monde le plus grand spectacle qu'il ait jamais vu, et répandront sur eux une gloire que les siècles ne pourront effacer.

Mais déjà une partie de ces événements est accomplie. Les miracles ont enfanté les miracles. Paris, comme Athènes, a vu rentrer dans ses murs des étrangers qui l'ont respecté, en souvenir de sa gloire et de ses grands hommes. Quatre-vingt mille soldats vainqueurs ont dormi auprès de nos citoyens, sans troubler leur sommeil, sans se porter à la moindre violence, sans faire même entendre un chant de triomphe. Ce sont des libérateurs et non pas des conquérants. Honneur immortel aux souverains qui ont pu donner au monde un pareil exemple de modération dans la victoire! Que d'injures ils avoient à venger ! Mais ils n'ont point confondu les François avec le tyran qui les opprime. Aussi ont-ils déjà recueilli le fruit de leur magnanimité. Ils ont été reçus des habitants de Paris comme s'ils avoient été nos véritables monarques,

MÉLANGES POLITIQUES.

T. I.

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comme des princes françois, comme des Bourbons. Nous les verrons bientôt les descendants de Henri IV; Alexandre nous les a promis: il se souvient que le contrat de mariage du duc et de la duchesse d'Angoulême est déposé dans les archives de la Russie. Il nous a fidèlement gardé le dernier acte public de notre gouvernement légitime; il l'a rapporté au trésor de nos chartes, où nous garderons à notre tour le récit de son entrée dans Paris, comme un des plus grands et des plus glorieux monuments de l'histoire.

Toutefois, ne séparons point des deux souverains qui sont aujourd'hui parmi nous, cet autre souverain qui fait à la cause des rois et au repos des peuples le plus grand des sacrifices: qu'il trouve comme monarque et comme père la récompense de ses vertus dans l'attendrissement, la reconnoissance et l'admiration des François.

Et quel François aussi pourroit oublier ce qu'il doit au prince régent d'Angleterre, au noble peuple qui a tant contribué à nous affranchir? Les drapeaux d'Élisabeth flottoient dans les armées de Henri IV; ils reparoissent dans les bataillons qui nous rendent Louis XVIII. Nous sommes trop sensibles à la gloire pour ne pas admirer ce lord Wellington qui retrace d'une manière si frappante les vertus et les talents de notre Turenne. Ne se sent-on pas touché jusqu'aux larmes quand on le voit promettre, lors de notre retraite du Portugal, deux guinées pour chaque prisonnier françois qu'on

lui amèneroit vivant? Par la seule force morale de son caractère, plus encore que par la vigueur de la discipline militaire, il a miraculeusement suspendu, en entrant dans nos provinces, le ressentiment des Portugais et la vengeance des Espagnols: enfin, c'est sous son étendard que le premier cri de vive le roi! a réveillé notre malheureuse patrie : au lieu d'un roi de France captif, le nouveau Prince-Noir ramène à Bordeaux un roi de France délivré. Lorsque le roi Jean fut conduit à Londres, touché de la générosité d'Édouard, il s'attacha à ses vainqueurs, et revint mourir dans la terre de captivité : comme s'il eût prévu que cette terre seroit dans la suite le dernier asile du dernier rejeton de sa race, et qu'un jour les descendants des Talbot et des Chandos recueilleroient la postérité proscrite des La Hire et des Du Guesclin.

François, amis, compagnons d'infortune, oublions nos querelles, nos haines, nos erreurs, pour sauver la patrie; embrassons-nous sur les ruines de notre cher pays; et qu'appelant à notre secours l'héritier de Henri IV et de Louis XIV, il vienne essuyer les pleurs de ses enfants, rendre le bonheur à sa famille, et jeter charitablement sur nos plaies le manteau de saint Louis, à moitié déchiré de nos propres mains. Songeons que tous les maux que nous éprouvons, la perte de nos biens, de nos armées, les malheurs de l'invasion, le massacre de nos enfants, le trouble et la décomposition de toute la France, la perte de nos libertés, sont l'ou

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vrage d'un seul homme, et que nous devrons tous les biens contraires à un seul homme. Faisons donc entendre de toutes parts le cri qui peut nous sauver, le cri que nos pères faisoient retentir dans le malheur comme dans la victoire, et qui sera pour nous le signal de la paix et du bonheur : Vive le

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COMPIÈGNE.

AVRIL 1814.

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E roi étoit annoncé au château de Compiègne pour le 29 avril; une foule de per

sonnes arrivoient continuellement de Paris; toutes étoient, comme du temps de Henri IV, affamées de voir un roi. Les troupes en garnison ici ' étoient composées d'un régiment suisse et de divers détachements de la garde à pied et à cheval. On voyoit sur les visages, dans l'attente du souverain, un certain mélange d'étonnement, de crainte, d'amour et de respect. Des courriers se succédoient d'heure en heure, annonçant l'approche du roi. Tout à coup on bat aux champs; une voiture attelée de six chevaux entre dans la cour où se trouvoient rangés, sur deux lignes, des soldats suisses et les gardes nationaux de Compiègne; ceux-ci portoient, en guise de ceinture, une large écharpe blanche; des lanciers de la garde se tenoient à cheval à l'entrée de la cour, et les grenadiers à pied étoient placés au vestibule. La voiture s'arrête devant le perron; on l'entoure de toutes parts; on en voit descendre non le roi, mais un vénérable vieillard soutenu par son fils: c'étoit M. le prince de Condé et M. le duc

' Compiègne.

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