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Car on ne doit point assimiler les créances nou liquidées de la femme, du pupille ou de l'interdit, à une créance ordinaire qui dépend d'une condition suspensive ou résolutoire. La créance conditionnelle peut figurer dans l'ordre en par l'acquéreur gardant le prix dans ses mains quand la condition est suspensive, ou au moyen d'une caution prêtée par les créanciers postérieurs pour sûreté de la restitution de la somme en cas d'événement résolutoire, de telle sorte que la purgation des hypothèques affectées à ces créances conditionnelles, mais définies, possible. Mais les créances à la sûreté desquelles l'hypothèque légale est affectée ne sont point conditionnelles, elles sont incertaines; elles ne peuvent se mesurer, et l'objet de cette hypothèque ne sera défini, mesuré et fixé qu'à la dissolution du mariage ou à la cessation de la tutelle. Chacun des immeubles du mari ou du tuteur est affecté à l'universalité de cette delte indéfinie et incertaine, tout comme l'universalité de ses immeubles est affectée à l'acquittement d'une partie de cette dette. Le caractère de généralité de cette hypothèque existant indépendamment de l'inscription, s'applique à la dette garantie comme à l'universalité des immeubles présens et futurs, de sorte qu'il est vrai de dire qu'il n'y a qu'une hypothèque générale pour la dette unique qui existera seulement à la dissolution du mariage ou de la tutelle. Or, il est de l'essence de cette hypothèque générale et une de ne se pouvoir diviser quant à l'acquittement de la dette qu'elle garantit, et ce serait la diviser ou plutôt l'anéantir, que de la purger avant que les créances qu'elle doit garantir et qui n'en forment qu'une seule, respectivement à cette hypothèque, soient venues se placer sous sa garantie.

Entre les mains de qui verserait-on les sommes déterminées et à payer si l'on suppose qu'elles puissent l'être d'avance? Ce ne serait pas à coup sûr ea celles du mari, car il impliquerait qu'on fît le paiement entre les mains de

ceux dont on veut acquitter la dette et purger l'immeuble. Ce ne serait pas non plus en celles de la femme, du mineur ou de son subrogé tuteur qui, chargé de veiller à ses intérêts, n'a jamais le maniement de ses deniers. Ou ne pourrait pas non plus consigner, car la consignation est un paiement, et la femme et le pupille ne peuvent recevoir le paiement d'une somme qui, en dernière analyse, rentrerait dans les mains du mari ou du tuteur.

Mais s'il en est ainsi, l'hypothèque légale qui doit garantir le paiement que l'acquéreur devra faire un jour de ces sommes qu'il gardera entre mains, restera imprimée sur l'immeuble. La purgation en sera douc absolument impos sible durant le mariage ou la tutelle; mais si elle ne peut être purgée ni éteinte qu'après la dissolution du mariage ou la cessation de la tutelle, pourquoi le droit de surenchère le serait-il avant?

En accordant, ce qui ne peut être contesté, que l'hypothèque légale de la femme et du pupille continue de subsister sur l'immeuble du tiers détenteur, jusqu'à la majorité ou la dissolution du mariage, cherchera-t-on à échapper à la conséquence inévitable que nous en tirons, en prétendant qu'elle ne subsistera que jusqu'à concurrence du prix ou du résidu du prix de l'acquisition qui serait définitivement fixé entre les mains de l'acquéreur? Admettre en principe que l'hypothèque légale de la femme et du pupille ne subsistera que jusqu'à concurrence d'une valeur qu'on suppose fixée, c'est vouloir encore qu'une créance hypothécaire puisse être morcelée et purgée partiellement. L'hypothèque est un droit réel affecté à l'acquittement d'une obligation, et cet acquittement ne se peut diviser tant que l'hypothèque existe, c'est ce qui fait l'essence du droit hypothécaire. On ne peut donc admettre que l'hypothèque légale existe à la majorité ou à la dissolution du mariage, sans accorder que la créance hypothecaire doive être acquittée au moins jusqu'à concurrence

de la valeur présente du gage, déduction faite des créances précédemment acquittées. Si ce gage ne garantit plus qu'une créance moindre que la créance primitive de la femme et du pupille, déduction faite des créances antérieurement colloquées par l'effet desquelles l'inscription a été réduite jusqu'à due concurrence, le lien et l'acquittement de l'hypothèque, ejus luitio, sont divisés; l'hypothèque primitive qui n'a pas cessé de subsister est dénaturée; elle aura été morcelée et purgée partiellement, ce qui résiste à la nature même du droit hypothécaire et à une jurisprudence constante qui a reconnu en principe que l'hypothèque était indivisible en ce sens qu'elle ne pouvait être morcelée ni purgée partiellement.

Le tiers acquéreur, dira-t-on, subira le grave inconvénient de n'être propriétaire incommutable qu'après une tutelle qui, par suite des minorités successives, peut durer fort long-temps, ou à la dissolution du mariage qui pourrait être fort éloignée?

Et d'abord le tiers acquéreur n'aurait rien à craindre si l'immeuble avait été porté à sa juste valeur. La femme ni le mineur devenu majeur ne s'aviseront pas de faire porter le prix à un dixième en sus, s'il ne s'est point pratiqué de fraude entre le vendeur et l'acquéreur qui peut d'ailleurs stipuler, en achetant l'immeuble, une hypothèque pour garantie du péril d'éviction, et qui, dans tous les cas, a conservé en ses mains l'excédant du prix, déduction faite des créances hypothécaires antérieures dont la femme, le mineur et l'interdit devront lui tenir compte, s'ils se rendent adjudicataires de l'immeuble par l'effet d'une surenchère. L'acquéreur ne perdra rien de ce qu'il aura dėboursé, il aura dans ses mains l'excédant du prix, il recouvrera ses impenses et améliorations, les frais et loyaux coûts de son contrat, etc.... ; il aura en outre une action en garantie contre son vendeur pour ses dommages et intérêts. Où sont donc les suites graves de l'exercice du

droit de surenchère à l'époque dont nous parlons? L'événement possible, mais rare, d'une éviction peut-il être comparé au péril imminent auquel seraient exposées la dot de la femme et la fortune des mineurs ou interdits qui, sans ce frein salutaire, pourraient, d'un jour à l'autre, être ruinés de fond en comble et sans espoir de retour? Quand une fois, dans l'intérêt général, l'hypothèque légale a été rendue publique par la voie de l'inscription, n'est-il pas éminemment moral que le gage destiné à garantir de si précieux intérêts ne puisse jamais leur échapper, et que la loi néglige la commodité de tiers acquéreurs qui, en définitive, n'éprouveront point de perte réelle, pour ne s'occuper que de la femme, du pupille ou interdit, et les mettre à l'abri des collusions désastreuses qui pourraient si facilement et trop impunément se pratiquer entre un mari, un tuteur et des tiers acquéreurs? Ou il faut effacer la disposition légale qui accorde à ces êtres intéressans une protection spéciale et continue, parce que leurs intérêts l'exigent incessamment, et les abandonner à eux-mêmes, ou il faut tenir pour constant que le droit de veiller à la valeur de leur gage, de la mesurer et de la maintenir, de déjouer les fraudes commises à l'ombre du mariage ou de la tutelle, de rétablir leur fortune sur ses fondemens ébranlés, subsiste et apparaît encore à la dissolution du mariage, à la majorité du pupille ou lors de la main-levée de l'interdiction, époque à laquelle ils peuvent seulement commencer à sonder l'abîme, mesurer l'étendue de leurs droits et assurer leur fortune.

Entre deux maux, il faut choisir le moindre, et dans la concurrence de plusieurs intérêts, il faut sauver le plus précieux. Le législateur, quand il a créé notre régime hypothécaire, après en avoir posé les deux premières bases, la spécialité et la publicité, a complété son systême protecteur du droit de propriété, en faisant pencher la balance du côté des femmes et des pupilles dont la défense fait

l'objet constant, spécial et exclusif de toutes les dispositions du Code civil. « Après une longue discussion, dit « M. Malleville, le conseil d'état adopta enfin en principe, «1° que toute hypothèque serait publique ; 2o que l'hy« pothèque conventionnelle serait toujours spéciale; 3° que «la sûreté de la femme et du mineur serait préférée à celle « des acquéreurs et des préteurs. »

556. C'est d'après ces principes que doivent être expliquées et entendues, selon nous, les deux dernières parties de l'art. 2195.

« S'il a été pris des inscriptions du chef desdits femmes, mineurs ou interdits, et s'il existe des créanciers antérieurs qui absorbent le prix en totalité ou en partie, l'acquéreur sera libéré du prix ou de la portion du prix par lui payée, aux créanciers placés en ordre utile, et les inscriptions du chef des femmes, mineurs ou interdits seront rayées en totalité ou jusqu'à due concurrence. >>

On ne pourrait, saus injustice, argumenter de la disposition de ce paragraphe de l'art. 2195, pour prétendre que les inscriptions des femmes et des mineurs devant être rayées en totalité ou jusqu'à due concurrence, quand l'acquéreur a payé tout ou partie du prix aux créanciers antérieurs, il en résulte que la femme et le mineur n'ont point de droit de surenchère après les deux mois expirés. On ne le pourrait sans injustice, parce que, réduction faite des inscriptions des femmes, mineurs et interdits jusqu'à concurrence des créances antérieures, on ne peut leur refuser une prérogative qui appartient à tous les créanciers inscrits, et qui est de l'essence même du droit hypothécaire. Si en effet l'immeuble aliéné valait 50,000 f., que les créances des créanciers antérieurs fussent de 30,000 fr., et que le prix stipulé au contrat fût également de 30,000 fr. suffisans pour les désintéresser, ils n'auraient aucun intérêt à le faire porter plus haut, et l'inscription de la femme étant rayée en totalité pour cette somme de

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