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433. Il est un cas où le délaissement par hypothèque ne produit point l'action dont nous venons de parler, c'est lorsqu'il a lieu sur les poursuites d'un créancier hypothécaire du détenteur lui-même, inscrit sur l'immeuble délaissé. Alors même que les créanciers hypothécaires de son auteur toucheraient tout le prix de l'héritage par l'effet de leurs collocations, et que les siens propres n'obtiendraient rien, il serait toujours déchu de toute action en garantie, parce que ce serait par son fait et pour ses propres dettes que la vente de l'héritage aurait eu lieu. Dans une telle occurrence, l'acheteur ou tiers détenteur doit trouver moyen de satisfaire son propre créancier qui a fait la saisie, et si les autres créanciers veulent néanmoins poursuivre la vente forcée, il doit faire en sorte qu'un des créanciers de son vendeur soit subrogé à la poursuite des criées, et alors il doit faire son délaissement par hypothèque, ce qui est, dit Loyseau, une précaution qu'il ne faut point mépriser.

434: «Les détériorations qui procèdent du fait ou de la négligence du tiers détenteur, au préjudice des créanciers hypothécaires ou privilégiés, porte l'art. 2175, donnent lieu contre lui à une action en indemnité. »

Le Code civil a apporté en cela une sage dérogation å l'ancienne jurisprudence. Sans doute il serait injuste qu'il fût tenu des détériorations que le temps, la vétusté et quelque cas fortuit pourraient occasionner sur l'immeuble qu'il doit délaisser; mais quand, par son propre fait ou sa négligence personnelle, il a occasionné des détériorations et diminué le gage des créanciers hypothécaires, il est de toute justice qu'il en tienne compte.

L'opinion de Pothier et d'autres auteurs était que le tiers condamné ne pouvait être condamné à autre chose qu'au délaissement de l'héritage en l'état qu'il se trouvait qu'il n'était point tenu des dégradations qu'il y avait faites avant la demande, pouvant, disait-il, négliger un héritage qui lui appartenait et le dégrader. Cette décision s'éten

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dait même au cas où le tiers détenteur aurait eu connais-> sance de l'hypothèque, et où il aurait été assigné en interruption.

Mais on sent l'abus qu'entraînait une telle jurisprudence. On pourrait demander si le tiers détenteur ayant été mis en demeure de payer ou de délaisser, serait tenu postérieurement à la demande, des détériorations arrivées par cas fortuit? Nous n'hésitons pas à décider la négative.

435. «Mais le tiers détenteur, poursuit l'art. 2175, ne peut répéter ses impenses et améliorations que jusqu'à concurrence de la plus value résultant de l'amélioration. »

Il ne faut point recourir à la distinction des impenses nécessaires, utiles ou voluptuaires, pour apprécier l'indemnité que peut réclamer le tiers détenteur; car cette distinction ne saurait s'appliquer aux améliorations qui, en définitive, forment l'objet de l'action en indemnité; il est clair qu'il faut qu'elles soient utiles, puisque l'art. 2175 n'accorde de répétition que pour la plus value qui en résulte.

Il n'y a point non plus de distinction à faire ici entre le possesseur de bonne ou mauvaise foi, puisqu'il s'agit d'un tiers devenu propriétaire par un contrat d'acquisition.

Cependant les mots impenses et améliorations sont présentés collectivement comme formant l'objet de la répéti tion, et ce n'est pas saus raison. Ces deux termes présentent deux idées fort différentes : les impenses sont ce qu'il en a coûté pour améliorer l'héritage, et les améliorations consistent dans ce qu'il vaut de plus par suite des impen ses. Il arrive bien souvent que l'impense excède l'amélioration, et que l'amélioration excède l'impense; cependant le but du législateur n'a point été que le tiers détenteurs pût réclamer toute la valeur des améliorations quand elles excèdent ces impenses, ni qu'il pût souffrir de perte quand il a fait des impenses pour produire des améliorations. Les impenses et les améliorations sont donc jointes

ensemble pour servir de correctif les unes aux autres. Si l'impense excède l'amélioration, le tiers détenteur ne retirera que la plus value résultant de l'amélioration; si l'amélioration excède l'impense, le tiers détenteur ne retirera que ce qu'il a déboursé. Tel est le véritable sens de la seconde partie de l'art. 2175; c'était l'opinion de Loyseau, liv. VI, chap. 8, no 15. « Bref, dit-il, faut << conclure que le détenteur reprend toujours ce qui est << de moins, et c'est pourquoi ou conjoint en pratique les << deux mots d'impenses et de méliorations, pour ce que << ni l'un ni l'autre n'est repris absolument, mais l'un sert «de restriction à l'autre ; c'est ce que dit exp: essément « la loi, in fundo D. de rei vind. reddat dominus im« pensam, ut fundum recipiat, usque eò duntaxat, quò « pretiosior factus est, et si plus pretii accessit, solùm « quod impensum est. »

436. Le point de la difficulté est de savoir si le tiers. détenteur peut recouvrer ses impenses et améliorations par voie de rétention de l'immeuble, ou s'il ne peut les recouvrer que par voie d'action et de collocation sur le prix de la vente forcée.

Nous avons traité cette question dans toute son étendue en la section VI du ch. 1er, 1re partie; nous n'y reviendrons point ici, et nous nous bornerous à conclure de tout ce que nous avons dit, que le tiers détenteur qui, sur les poursuites des créanciers hypothécaires, est contraint de délaisser l'immeuble, peut en retenir la possession jusqu'à ce qu'il soit entièrement rendu indemne, et en cela nous ne partageons point l'opinion de M. Persil qui, au lieu du droit de rétention, donne au tiers détenteur un privilége sur le prix de l'immeuble, que nous ne trouvons nulle part écrit dans le Code, que l'on ne peut point supposer quand il n'est pas établi par la loi, et auquel résiste d'ailleurs l'art. 2103 du Code.

La raison qui aurait pu faire rejeter de la pratique

française le droit de rétention adopté par la jurisprudence romaine, était que, dans le droit romain, un créancier ne pouvait faire vendre l'immeuble hypothéqué qu'après avoir pleinement satisfait les créanciers antérieurs, tandis que ce lan'avait point lieu en France où le tiers possesseur avait le droit d'être colloqué en premier ordre, et de faire distraction de ses impenses et même de demander caution pour cet objet. Mais ce droit ne lui étaut point conféré par le Code, il faut en revenir au seul parti que conseillent la raison et l'équité, qui est d'accorder au tiers détenteur le droit de rétention.

437. Au reste, le tiers détenteur ne recouvre pas seulement par cette voie les impenses et améliorations qu'il a personnellement faites, mais encore celles qui ont été faites par sou vendeur, alors même que ce vendeur ne lui ait point transmis expressément ses droits pour ce regard; Mais il faut, pour cela, que ces améliorations n'aient point été faites par celui-là même qui a cousenti les hypothėques, car ne les pouvant retirer lui-même, il ne peut transmettre à son acquéreur plus de droit qu'il n'en a. C'est l'opinion de Loyseau ( ibidem, 11o 20.)

La cour de cassation a décidé, par arrêt du 5 novembre 1807, que le premier acquéreur ne pouvant être qu'un créancier chirographaire, n'a pas le droit de troubler le créancier hypothécaire dont les prérogatives ne peuvent être limitées que par l'acte d'abandon, et qu'en conséquence il ne peut réclamer ses améliorations; ce qui ne fait point obstacle à ce que le dernier acquéreur recouvre à la fois les siennes propres et celles de son prédécesseur.

438. Il ne faut pas confondre la quotité des améliorations que peut réclamer le tiers détenteur aux créanciers hypothécaires, avec le montant de ces mêmes impenses et améliorations qu'il pourrait répéter contre son vendeur. Dans le premier cas, le tiers détenteur ne peut répéter que le minimum des impenses el améliorations; dans le se

cond cas, au contraire, il recouvre le maximum des impenses et ame iorations qu'il a faites; en sorte que si les impenses excèdent les améliorations, l'acheteur retire entièrement les frais qu'il a faits, et si les améliorations excèdent les impenses, il retire toute la valeur des améliorations; il agit en effet par action d'éviction qui comprend toujours les dommages et intérêts qui consistent in eo quod illi abest, qui sont ses frais quodque lucrari potuit, qui sont ses améliorations. (Loyseau, ibidem, n° 21.)

439. Quant aux fruits de l'immeuble hypothéqué, ils ne sout dus, porte l'art. 2176, par le tiers détenteur qu'à compter du jour de la sommation de payer ou de délaisser, et si les poursuites commencées ont été abandonnées pendant trois ans, à compter de la nouvelle sommation qui sera faite.

Tous les fruits que le tiers détenteur aura pu légitimement recueillir avant la sommation de payer ou de délaisser, lui appartiendront donc ainsi que ceux qu'il aura recueillis jusqu'au jour de la nouvelle sommation, siles poursuites commencées ont été abandonnées peudant trois ans.

Nous disous les fruits que le tiers détenteur aura pu légitimement recueillir, c'est-à-dire tous ceux dont la maturité tombe dans le temps de la jouissance ou perception permise aux tiers détenteurs, soit qu'ils aient été recueillis mûrs ou non mûrs. Il en serait autrement si le tiers détenteur avait recueilli des fruits non mûrs dont la maturité n'aurait eu lieu qu'après la sommation à lui faite; il est certain que dans ce cas les créanciers hypothécaires auraient contre lui une action en indemnité.

440. Mais il faut bien remarquer que cette maturité n'a pas besoin précisément d'être naturelle; il ne faut, pour la fixer, que considérer le temps où il est communement plus utile de recueillir les fruits pour l'usage et la commodité des hommes quorum gratiá la nature les

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