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pissante de celles des almées qui se reposent, assises près d'eux, les jambes croisées l'une sur l'autre, posture commune en Orient aux femmes comme aux hommes.

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Ainsi accompagnée, la danseuse exécute bien moins une danse qu'une pantomime dont il n'est pas possible de rendre compte d'une manière convenable. Ce sont des poses variées et voluptueuses où tout est calculé pour exciter les sens du spectateur, et dans lesquelles on remarque surtout une prodigieuse souplesse. Souvent, pendant que les jambes et le buste restent immobiles, les hanches, agitées d'un tremblement convulsif, semblent détachées de la colonne vertébrale, jusqu'à ce que le corps s'affaisse peu à peu avec langueur pour se redresser tout à coup avec vivacité. Les mains arrondies au-dessus de la tête ou portées en avant font sonner de petites castagnettes de métal, et les pieds, posant toujours à plat, ne marquent guère que la mesure, sans franchir un espace d'un mètre ou un mètre et demi au plus. Quelquefois, deux almées se réunissent; mais, comme elles font toutes deux la même chose, on peut dire qu'elles dansent l'une en face de l'autre bien plutôt qu'ensemble.

Nous n'avons rien en Europe d'analogue à ces pantomimes, où une grâce extrême et presque antique est jointe à des figures licencieuses. Une semblable chorégraphie est un trait de mœurs; elle ne pouvait naître que chez un peuple adonné aux jouissances matérielles, ne cherchant pas dans ses plaisirs la délicatesse qui en fait pour nous le plus grand charme. Les Orientaux appellent souvent les almées dans les harems pour y donner le spectacle de leurs divertissements. Il paraîtrait même que ces danses entrent dans l'éducation féminine, et constituent un des talents que les Turcs attendent de leurs femmes. On ne peut guère s'en étonner: puisqu'ils les méprisent assez pour les cacher, ils ne peuvent leur demander autre chose que la volupté ou des excitations à la volupté.

« La classe des almées, dit Clot-Bey, se recrute, en général, << parmi les femmes répudiées, qui ont pris en dégoût la servi<«<tude de la vie conjugale, ou qui, ne pouvant se remarier, << n'ont d'autres moyens d'existence que la prostitution. »

Ainsi donc, l'espèce de servitude qui leur est imposée ne préserve pas même les femmes d'Orient du dernier malheur; la fatalité du mal pèse sur elles comme sur les nôtres ! Et les penseurs, qui cherchent dans l'étude et la méditation de nouvelles combinaisons sociales où l'humanité échapperait à ces vices qui la dévorent depuis tant de siècles, passent pour des factieux ou des fous !...

Les almées ne se recrutent pas seulement parmi les femmes répudiées; d'horribles spéculateurs élèvent de jeunes esclaves pour ce métier; des mères y vouent leurs filles....... Parmi les danseuses qui étaient réunies autour de nous, à Kafr-Saya, il y en avait une de quatorze à quinze ans, qui ne prit aucune part à la fête; la pauvre créature, encore toute endormie, bâillait et se frottait les yeux. Quand il s'agit de partager l'aumône commune que nous leur laissions, elle témoigna la même indifférence; mais sa mère, qui l'avait envoyée et suivie, montra une hideuse rapacité.

En rentrant à bord, nous y trouvâmes une enfant de douze ou treize ans, que le patron de la barque nous a demandé la permission de mener au Caire. Elle a toujours le visage soigneusement enveloppé ; lorsque parfois elle s'enhardit à tourner la face de notre côté, elle met la main sur ses yeux et regarde à travers ses doigts; les matelots, à l'heure des repas, la servent à part; car une musulmane ne peut manger qu'avec sa mère, son père, ses sœurs ou son mari; personne ne commet la faute de lui adresser la parole; elle est assise sur le pont depuis trois jours, dans une immobilité, un silence et une oisiveté déplorables, mais, quelque triste que me parût son sort, quelque cruel que fût son isolement, je pensai qu'elle était bien heureuse encore de n'avoir pas eu une mère pareille à celle que nous venions de

voir.

CHAPITRE III.

Caire.

Superficie de l'Egypte.

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Les macherebiehs.

Place d'El-Esbekyeh.

La ville va crouler. Elle n'est pas éclairée la nuit. Beauté intérieure des anciennes maisons Mauvais goût moderne. charité musulmane les ouvre à tout le monde. Celui de Rodha. âniers merveilleux coureurs. Facilité d'accès chez les Orientaux. Orientaux signent toujours avec un cachet. Citadelle. Puits de Joseph. Panorama du Caire.

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Les

- Les

Les ânes.
Réception.
Architecture polychrôme. ·

Ménagerie du vice-roi d'Egypte.
Mariage de pauvres pour célébrer la circoncision.

Circon

20 novembre 1844.

Nous avions atteint au lever du soleil la pointe du Delta, où le Nil se divise en deux branches. Le fleuve, qui est appelé là le Franc-Nil, y présente une nappe d'eau magnifique.

Le Delta, qui constitue presque à lui seul la Basse-Egypte, est la province la plus fertile et la plus étendue du pays. myr. kil. mèt.

La Basse-Egypte a 260 myriam. de superficie, tandis que la Moyenne - Egypte

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lés, en suivant le cours sinueux du Nil, sur une longueur de

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84 myriam., depuis Assouan, confin de la Nubie inférieure, jusqu'au port d'Alexandrie.

A peine a-t-on pénétré dans le Franc-Nil, qu'on aperçoit Boulak, d'ou s'élèvent, comme des obélisques, les cheminées des machines à vapeur de diverses usines, et dont les bords, couverts d'une multitude d'embarcations de toutes formes et de toutes dimensions, annoncent bien une grande cité. Mais si Boulak, vu du fleuve, donne une haute idée du Caire, la route poudreuse qui conduit à la ville est faite pour détruire cette impression; on n'y rencontre qu'une population en guenilles, à moitié nue; des soldats d'une saleté honteuse, avec des chameaux et des ânes affreusement harnachés.

L'aspect du Caire console l'artiste d'un aussi triste spectacle. C'est un amas de maisons de style arabe, peintes de grandes bandes horizontales, rouges et blanches, accumulées les unes sur les autres de la manière la plus originale, avec des milliers de petites rues inextricables et d'impasses si tortueux et si étroits qu'on craint toujours, en y entrant, de s'engager dans une allée de maison. Il serait d'autant plus facile de s'y tromper, que ces ruelles obscures, étranglées, décrivant de fantastiques zigzags, ont encore des portes, restes du temps où l'on était obligé de se défendre contre les incursions nocturnes que les bédouins venaient faire jusqu'au cœur de la capitale. Les maisons, toutes d'un seul étage, sont si rapprochées qu'elles se touchent souvent par leurs macherebiehs, larges balcons toujours placés en saillie pour les exposer au courant d'air. Cette disposition particulière a un grand avantage elle transforme les rues en galeries couvertes, où le soleil ne peut pénétrer. Les macherebiehs, vitrés à l'intérieur, sont en outre enveloppés d'un mystérieux grillage en bois, à compartiments variés et d'une grâce parfaite, derrière lequel sont cachées les femmes qui viennent là prendre le frais.

Du reste, ceux qui veulent voir la vieille et célèbre capitale de l'Égypte doivent se hâter. Le Caire s'écroulera certainement avant un demi-siècle: toutes ses maisons surplombent et semblent ne se tenir encore debout qu'en dépit des lois de la gravitation,

comme ces vieilles ruines chancelantes que l'on s'attend chaque jour à voir tomber.

Le Caire n'est pas éclairé la nuit: chaque personne qui circule doit avoir une lumière. Les bourgeois ont simplement un fallot qu'ils font porter devant eux. Les gens de luxe sont poétiquement précédés de deux ou trois serviteurs chargés de grands pots à feu dont les flammes s'élèvent dans les airs, sillonnent les murailles, et d'où l'on s'étonne qu'il ne sorte pas plus d'incendies.

L'étroitesse des rues de la ville donne un grand prix pour les habitants à la place d'El-Esbekyeh, qui serait moins célèbre, si elle n'était la première promenade que l'on ait vue en Orient. Tout se réduit à un vaste terrain en friches, entouré d'une allée d'acacias et renfermé dans un canal sans eau, sur lequel sont jetés trois ponts sans parapets. On pourrait certainement faire une très belle place à l'Esbekyeh, mais elle n'est encore que dégrossie.

Il n'y a d'autres monuments au Caire que ses innombrables mosquées et quatre ou cinq fontaines publiques. Les façades de ces fontaines demi-circulaires, en bronze ou en marbre, sont magnifiquement et délicieusement ciselées et sculptées à jour.— Le musulman semble avoir voulu indiquer que sa maison est un lieu secret en n'appelant l'attention sur elle par aucun ornement extérieur. Le luxe est réservé pour l'intérieur, où les inépuisables fantaisies du style arabesque se joignent dans les anciennes habitations à des mosaïques et à des eaux jaillissantes au milieu d'immenses salles revêtues de marbre. Pourquoi faut-il que la mode turque ait remplacé la mode arabe? Les murailles des appartements modernes sont barbouillées de grands paysages exécrables. Un paysage turc est généralement composé d'une double colonnade bien blanche, sous prétexte de marbre, avec un jet d'eau sur le devant, et pour fond un rideau d'arbres droits comme des piques, le tout découpé sur un ciel d'un bleu éclatant. Quelquefois, à la place du rideau d'arbres, le fond est occupé entre les deux corps de colonnades par un superbe fauteuil cramoisi. De perspective, point; mais, en revanche, la lumière est répandue

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