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CHAPITRE VII.

Moyenne-Egypte.

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Lac Moris.

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marché de la vie matérielle.
tion des rives du Nil.
chiens d'Orient.

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Une heure pour acheter quatre poules. — Bon Pigeonniers. Troupeaux.

Les tondeurs.

ElévaIl ronge les terres sans qu'on lui oppose aucun obstacle. -Les Onasana. Almées et cafés. Jeu du djerid. Dextérité des caRuines partout. Cannes à sucre.

Samallout.

du sucre. Djebel ou Yabal-Teir.

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gation.

7 décembre 1844.

Les pauvres matelots ont encore tiré la cordelle tout le jour, et nous avons péniblement gagné à quatre heures du soir la ville de Beny-Soueff, l'ancien Ptolémaydon (7 myriamèt. du Caire).

Beny-Soueff appartient à la province de Fayoum, qui forme, sur la rive gauche du Nil, une sorte d'appendice attaché à la longue bande de terre qui constitue le pays d'Egypte. Cette province se prolonge assez loin dans le désert, et paraît devoir son existence phénoménale à des marécages. C'est à l'extrémité du Fayoum que le roi Touthmosis II, dit Moeris, fit creuser, 1,700 ans avant notre ère, le fameux lac qui porte son dernier nom. Des écluses y retenaient les eaux amenées par le débordement périodique, et les répandaient ensuite dans la BasseEgypte. Il y a tout lieu de penser que Moeris ne fit que profiter des dispositions de la vallée pour oser entreprendre et pouvoir achever ce réservoir de 20 myriamètres de tour, dit-on. Il ne reste plus que le nom et les traces de ce colossal ouvrage. On fabrique aujourd'hui dans le Fayoum beaucoup d'essence de rose assez estimée.

Beny-Soueff, siége du gouvernement de la Moyenne-Egypte, est une misérable petite ville bâtie, non pas précisément en boue, mais en briques crues (mélange de terre et de paille hachée), simplement séchées au soleil. Il n'y a guère de construction en pierre que la maison du gouvernement, un palais que MéhémetAli s'est fait construire pour le cas où il voudrait, en voyage, s'arrêter un jour à Beny-Soueff, et une belle caserne de cavalerie. Entre le palais toujours inhabité et la caserne, sont d'affreuses huttes de boue où logent les femmes des militaires. Le régiment change-t-il de garnison, les femmes abandonnent sans peine leurs tristes demeures, et vont en refaire de nouvelles près de la résidence de leurs maris.

9 décembre.

C'est à grand'peine que nous avons pu nous amarrer ce soir devant Feschné. La navigation de Beny-Soueff à Feschné, par un vent ordinaire, est de douze heures; la nôtre en a duré quarante-huit. Il est vrai que, condamnés à n'avancer qu'à force de bras, nous sommes obligés de suivre les moindres sinuosités du rivage; nous ne pouvons couper aucun angle, et c'est assurément doubler le trajet, car jamais fleuve, comme disent les poètes, ne s'est éloigné de sa source avec plus de regret que celui-ci. En somme, nous avons mis moins de temps pour venir de Marseille à Alexandrie que du Caire ici.

On est allé, ce matin, acheter quelques poules dans un village. L'opération a duré près d'une heure, parce que, pour attraper ces poules à l'entour de la chaumière où elles couraient en liberté, on n'a rien trouvé de mieux que de lancer contre elles une douzaine d'enfans qui ont fini, après de longs efforts, par en atteindre quatre à la course. Nous n'avons pas d'autre nourriture depuis le départ; excepté dans les villes principales, il est impossible de trouver même du mouton.

L'élève des poules est la grande industrie des villages, on pourrait dire la seule ; ils en alimentent les villes, où il s'en consomme une quantité innombrable. Les poules se vendent deux piastres (50 cent.); les œufs, le lait, tout le reste est dans la

même proportion. Un très beau poisson du Nil, quand on en trouve, ne dépasse guère deux ou trois piastres. En général, la vie matérielle, en Egypte, est encore à très bon marché, malgré le nombre des voyageurs; il est vrai qu'elle n'est pas splendide. Les femmes fellahs vendent aussi du beurre. Pour le faire, au lieu de battre le lait, elles l'agitent dans une petite outre de peau de chevreau ou d'agneau, qui est suspendue par les quatre pattes.

On voit dans la plupart des villages beaucoup de pigeonniers plus ou moins élevés, toujours construits en boue, mais d'une forme ovoïde assez originale. Le dôme est rempli d'ouvertures rondes par lesquelles entrent les pigeons. Quelques-uns sont disposés d'une manière fort ingénieuse pour contenir un grand nombre d'habitants. Ce sont trois voûtes superposées et percées au sommet, de manière que la gent volatile peut circuler partout et aller occuper les pots fixés dans l'épaisseur des murailles. Elle ne trouve là du reste que le gîte et se nourrit dans la campagne. C'est principalement pour obtenir la colombine que l'on entretient ces pigeonniers; elle est recueillie tous les six mois et vendue particulièrement aux plantations de cannes à sucre. On emploie peu d'autre engrais en Egypte, et, à la vérité, il n'en est guère besoin.

On rencontre encore accidentellement quelques troupeaux de moutons et de chèvres, de quinze à vingt têtes. Il se peut qu'il en existe de plus nombreux, mais nous n'en avons pas vu un seul. Ils sont conduits sans chiens par de jeunes garçons et quelquefois par de jeunes filles. Hier nous nous sommes arrêté devant deux bergers occupés à tondre un mouton; l'un d'eux tenait l'animal, et l'autre, armé d'une grande paire de ciseaux à lames très minces et rouillées, qui se croisaient presqu'à chaque coup sur elles-mêmes, arrachait la laine par parties, plutôt qu'il ne la coupait. Cet instrument grossier changeait une opération très simple en un supplice véritable et prolongé pour la pauvre bête, qui gémissait comme un cheval auquel on met le feu. Tout en est là en Egypte.

10 décembre.

Le Nil commence à être beaucoup plus encaissé que dans le Delta, l'élévation de ses rives est sensible; on a calculé qu'elle atteint en moyenne, dans la Haute-Egypte, jusqu'à dix et douze mètres.

Depuis Beny-Soueff et même un peu au-dessous, le fleuve ronge considérablement sa rive gauche, sans que nulle part on lui oppose le moindre obstacle. Si nous ne connaissions déjà l'esprit du pays, nous nous étonnerions d'autant plus de cette insouciance, que les Egyptiens ne manquent jamais de s'établir aussi près du Nil qu'il est possible; ils ne peuvent se résoudre à s'éloigner de leur père nourricier, et leurs villages sont toujours à la limite précise de l'inondation, ou sur le bord même, quand la berge est assez haute pour que l'eau n'y puisse atteindre. Il en résulte que le Nil prend, non-seulement beaucoup de terrains encore chargés de cultures, mais que, dans plusieurs endroits, il attaque les habitations mêmes. A chaque pas on aperçoit des pans de murs coupés à pic; le sol en manquant a entraîné une partie de la maison. L'impassible fellah laisse la maison tomber et va porter tranquillement ses pénates un peu plus loin. Quel peuple! quel engourdissement! quelle torpeur!

Il n'est pas de village où l'on ne trouve beaucoup de chiens qui aboient tous avec un rare instinct contre les étrangers. Ils sont heureusement fort peu agressifs, et il suffit de faire le simulacre de ramasser une pierre pour les mettre en fuite. Dans les villes, ils habitent par tribu les différents quartiers, et les chiens d'un quartier attaquent avec furie ceux d'un autre quartier, qui s'approchent du leur. Ils se sont créé des limites parfaitement distinctes, qu'un imprudent ou un audacieux ne franchit jamais sans danger. Et ce qu'il y a de plus curieux, c'est que celui qui fuyait tout à l'heure après s'être aventuré au delà de ses frontières, se retourne aussitôt contre ceux qui le poursuivaient dès qu'il touche son terrain. Il comprend qu'il sera bien vite soutenu par les siens, et l'on voit les autres s'arrêter, comme s'ils le comprenaient de même. Ce sont là des faits au

thentiques, nous les avons observés maintes fois nous-même, non pas sans éprouver une sorte de tristesse à voir l'esprit d'antagonisme se dessiner, même parmi les animaux, avec autant de fureur que parmi les hommes.

Ces chiens vivent nuit et jour au milieu des rues; ils n'appartiennent à personne, et se nourrissent, comme ils peuvent, des débris qu'ils trouvent. Les musulmans, d'ailleurs, bien qu'ils regardent le chien comme un animal impur, dont le seul contact est une souillure qu'il faut laver à l'instant, jettent assez souvent du pain à ceux de leur quartier. Ils s'en font un devoir pour obéir à la loi de Mahomet, qui commande, ainsi qu'on l'a vu, la bonté et la charité envers les animaux. Une chose déjà plusieurs fois écrite et qui nous a été confirmée sur les lieux, c'est que, malgré la chaleur du climat, on ne connaît pas en Orient de cas de rage parmi les chiens.

Quant à ces attaques des chiens dont on aurait, selon quelques voyageurs, à se défendre en Orient, il faut croire que les choses ont heureusement beaucoup changé; pas plus ici qu'à Constantinople, nous n'avons rien remarqué de pareil. Dans l'un et l'autre pays, nous avons vu les chiens redouter l'homme et n'affronter jamais sa canne ou le caillou qu'il menace de leur jeter.

12 décembre.

Depuis deux jours le soleil n'a pas pu percer les nuages, et la température est si froide, que nous serions presque disposé à prendre l'épithète de brûlante, appliquée à l'Egypte, pour une fiction de poète. Le mois de décembre ne cède apparemment ses droits nulle part. Après avoir marché hier et aujourd'hui toujours à la cordelle, sans un souffle de vent ni favorable ni contraire, nous avons fait halte au pied d'Onasana, village d'une certaine importance, quoiqu'il ne soit mentionné sur aucune carte. C'est un lieu ordinaire de station pour les barques de marchandises. On y voit des almées de bas étage, qui, malgré leurs colliers et leurs bracelets d'or, se montrent satis

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