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L'ÉGYPTE.

PARTIE POLITIQUE.

CHAPITRE PREMIER.

Impôts.

Division administrative de l'Egypte.

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territorial. Solidarité générale des contribuables. M. Cosseri. - Le Para. Villages confisqués au profit du vice-roi. Spoliation des titres de propriété. Toute l'Egypte est devenue le domaine de Méhémet-Ali. Les impôts perçus à coups de bâton. Horribles cruautés commises envers les contribuables. - Villages donnés en cadeaux. Gaspillage de l'administration. Aucun recours contre l'arbitraire. Méhémet-Ali ferme les yeux sur les concussions. Tout le monde vole. La solde des employés et de l'armée, toujours arriérée. —L'Etat ne doit jamais rien perdre. Les ouvriers obligés de payer la réparation des machines. Les officiers responsables de l'équipement des déserteurs. - L'armée vaincue en Syrie, forcée de payer le matériel perdu. — Fonctionnaires privés de leur solde comme punition. — Mendicité générale. Backchis.

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Deux intérêts puissants nous firent entreprendre un voyage en Orient (novembre 1844): le désir d'étudier l'esclavage musulman pour le comparer à l'esclavage chrétien; l'espérance de contempler en Egypte un spectacle unique dans l'histoire, celui d'un peuple régénéré par son maître. Nous pensions qu'il s'accomplissait sur les bords du Nil une œuvre de civilisation, et qu'un grand homme appelait de sa puissante et généreuse voix une race longtemps opprimée à la liberté, à l'industrie, à tous les perfectionnements sociaux.

Nos recherches sur la servitude d'Orient ont besoin de se compléter en Algérie, où la France tolère encore cette odieuse institution; elles formeront un ouvrage spécial. Ici nous ne parlerons que de l'Egypte.

Ce qu'on va lire est l'exposé de ce que nous avons vu.

Nous ne croyons pas utile, avant de commencer, de dire ce qu'était l'Egypte au moment où Méhémet-Ali l'a prise. Plus d'un voyageur a rempli cette tâche. La seule chose qu'il importe de savoir, c'est que le régime qui pèse aujourd'hui sur l'antique royaume des Pharaons est entièrement dû à celui qui le gouverne. La soumission séculaire du peuple égyptien à tous les maîtres ne s'est, hélas ! jamais démentie. Méhémet-Ali, depuis trente ans, peut ce qu'il veut; il avait table rase, et tout ce qui existe en Egypte est bien son ouvrage, soit qu'il l'ait conservé du passé, soit qu'il l'ait créé à nouveau. On ne doit pas chercher la clef des choses autre part que dans la volonté jamais contredite de ce pacha souverain. Son dessein, son but, la valeur et la portée de ses actes, le mystère de l'étrange galvanisation politique, qui a provoqué l'attention de l'Occident, ressortiront des faits; à mesure que le tableau se déroulera, on verra quelle route a suivie le vice-roi Méhémet-Ali, pourquoi il s'y est engagé et comment il a pu jouer son rôle. Nous abordons, sans autre préambule, notre triste sujet; les considérations qu'il peut faire naître en découleront d'elles-mêmes.

Examinons d'abord l'organisation administrative et finan

cière.

L'Egypte moderne est divisée en trois grandes provinces : la Haute, la Moyenne et la Basse-Egypte, à la tête desquelles sont des pachas. Ces trois provinces sont subdivisées en sept gouvernements ou moudyrlicks, dirigés par des espèces d'intendants, appelés moudyrs. Il y a deux moudyrlicks dans la Haute-Egypte, une dans la Moyenne et quatre dans la Basse. Les sept gouvernements se partagent en 64 départements, dont les chefs s'appellent mamours. Les départements sont à leur tour séparés en cantons, sous les ordres de directeurs du nom de nazirs, puis enfin le canton embrasse plusieurs villages, conduits par un

homme de la localité, sorte de maire nommé cheik-el-beled, chef de village. « On compte 2,250 villages 1. >>

Parmi ces fonctionnaires, il n'y a que les pachas qui aient réellement un caractère politique; tous les autres ne sont guère que des intendants du vice-roi, chargés de l'exploitation du pays. Le mamour, particulièrement, fixe, d'après les ordres supérieurs, les travaux de l'agriculture et les diverses sortes de cultures imposées à chaque village.

Telle est à peu près l'organisation intérieure de l'Egypte ; nous disons à peu près, et nous ne serions pas surpris de n'en avoir point exactement précisé le mécanisme, car la volonté du vice-roi suffit à tout faire et défaire, et là où règne la loi du bon plaisir, il est difficile, on le conçoit, de saisir ses formes toujours changeantes.

Le cheik-el-beled est chargé de percevoir les contributions de chaque homme de son village; les nazirs touchent des cheiks et s'acquittent dans les mains des mamours, qui versent ensuite au trésor ou dans les magasins de l'Etat.

Les contributions régulières, en dehors des réquisitions toujours nombreuses, se paient, à la campagne, en numéraire ou en denrées; à la ville, le cheik de chaque catégorie d'habitants ou de chaque corporation de marchands les recouvre en numéraire. Elles sont de plusieurs sortes. L'impôt personnel ou ferdeh, qui frappe tout le monde, est une innovation de Méhémet-Ali; il remonte à 1822. On commence à payer le ferdeh à 15 ans. Il est fixé pour cet âge à 10 piastres, et augmente successivement d'une manière arbitraire, à mesure que l'individu grandit et selon sa condition. Les domestiques n'en sont pas exempts: leur taxe s'élève d'ordinaire à 40 piastres. Outre le ferdeh et l'impôt territorial, dont nous parlerons tout à l'heure, l'homme des campagnes a encore à payer un droit sur chaque tête de bétail, chaque pied de dattier 2 et chaque sakié, roue hydraulique indispensable pour l'arrosement des terres.

2

1 Mengin, Histoire de l'Egypte sous Mohammed-Ali, 2 vol. in-8°, 1823.

2 On fait monter le nombre des dattiers à cinq millions pour toute

Les fellahs ou paysans, gente taillable à merci, doivent de plus fournir toutes les corvées dont ils sont requis par le vice-roi ou les pachas; mais, lorsqu'un village a ainsi été employé à une corvée, quelquefois pendant un, deux et trois mois, il n'en est pas moins tenu de solder sa contribution entière.

L'impôt territorial a été réglé vers 1820 ou 1821, pour ainsi dire à forfait. Cette combinaison financière caractérise parfaitement l'esprit général des institutions de Méhémet-Ali. On compta un jour l'étendue des terres de chaque village avec le nombre de ses habitants, et, sur cette donnée, on détermina le chiffre fixe de la redevance! Maintenant, que le fleuve ronge le terrein; que la guerre, l'émigration, la mort, diminuent la population; que les hommes ou les animaux de labour aient été requis par le gouvernement; que la crue du Nil, insuffisante, n'ait pu atteindre les hautes terres, il n'importe ! le fisc ne connaît aucune raison, n'admet aucune excuse: le village devra, quoi qu'il arrive, payer la somme à laquelle il a été taxé. Que si, au contraire, le fleuve augmente son territoire, car le Nil, toujours généreux, même dans ses désordres, ne prend guère à l'une de ses rives sans rendre à l'autre, oh ! alors, c'est différent : le gouvernement calcule, mesure, suppute, et prononce une augmentation qui reste ferme à son tour, quelque changement contraire qui puisse arriver ensuite.

Voici qui paraîtra encore moins croyable, malgré l'authenticité du fait. Pour assurer la perception de l'impôt, on a conçu

l'Egypte. « Ils sont généralement taxés, selon leur qualité, de 1 piastre à << 1 piastre et demie : » la piastre vaut 5 sous *.

Cet arbre est un des plus bienfaisants que la nature ait donnés à l'homme. Son fruit, toujours bon, frais ou sec, et très nourrissant, est suspendu à la base des palmes en énormes grappes qui pèsent quelquefois un quintal. La Haute-Egypte, renommée pour la qualité supérieure de ses dattes, en a de grandes plantations appelées dattières. A l'époque de la récolte, on fait sécher les fruits au soleil, et ils deviennent l'objet d'un commerce assez étendu. Le dattier vit, dit-on, jusqu'à deux cents

ans.

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An account of the manners and costoms of the moderns Egyptians. By Lane, 2 vol. in-12; London, 1837, p. 79 du 1" vol.

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