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gnent comme on peignait à Byzance. Ses prêtres n'ont rien changé non plus au costume antique. Les ministres du culte luthérien officient de nos jours avec le justaucorps à longues manches et la vaste collerette du temps de Luther. Il est difficile de ne pas croire que des idées analogues attachèrent les Egyptiens au mode primitif adopté pour représenter les dieux et les choses religieuses, et les empêchèrent d'innover dans la forme. Cette forme, au surplus, ils la tenaient traditionnellement, comme le reste, des Ethiopiens. On la retrouve, en effet, dans les monuments de Méroé, antérieurs à ceux de Thèbes, et la réflexion que fait sur ce point le judicieux voyageur Hoskins pour les Ethiopiens s'applique également aux Egyptiens. <«< Nous << voyons, dit-il, par les fragments encore debout, que les Ethio<< piens dessinaient les animaux et les ornements d'une manière << parfaite; nous pouvons donc considérer comme presque cer«<tain qu'ils auraient mieux dessiné la figure humaine, si la << religion l'eût permis. >>

La moindre attention portée sur les édifices de Thèbes ne laisse aucun doute à cet égard. Ainsi, les Egyptiens n'ignoraient certainement pas la science de la perspective; on s'en peut assurer en examinant les sujets des frises creusés avec une profondeur graduée, ou sculptés en raccourci, pour produire leur effet vrai, vus d'en bas. Cependant, l'absence presque totale de perspective dans ces antiques sculptures blesse l'homme moderne le plus ignorant. Tout y est sur le même plan, et la taille surnaturelle prêtée aux princes pour symboliser leur grandeur forme, avec le reste des personnages, un contraste choquant.

Mais, une fois qu'on a accepté ces défauts sacramentels, on est forcé d'admirer le degré de perfection où les sculpteurs égyptiens avaient déjà porté leur art tant de siècles avant les maîtres immortels enfantés par la Grèce. On est surpris de la belle et constante simplicité de leur style, du caractère svelte et gracieux qu'ils surent prêter à des figures dont la raideur était commandée par la loi ecclésiastique et surtout de leur incomparable adresse d'exécution. Malgré les moyens restreints laissés à leur dispo

sition, ils disent toujours ce qu'ils veulent dire, et leur pensée est traduite avec tant de précision, qu'il est impossible de ne la pas retrouver.

On voit qu'ils avaient profondément étudié la face et la mimique humaines, et l'on pourrait appeler leurs bas-reliefs de la sculpture écrite. La merveilleuse justesse du mouvement y remplace la parole, et la physionomie du personnage est d'une vérité si intime, qu'on reconnaît sa nation par le caractère typique imprimé sur son visage.

A ces mérites précieux, les artistes de la vieille Egypte en joignaient d'autres d'un ordre plus élevé. Ils abordaient des compositions d'une étendue effrayante; les plus immenses surfaces sont couvertes de batailles où s'agitent des milliers de combattants. La mêlée de l'Aménophium, pour en citer une, est une véritable mêlée avec tout son désordre, ses carnages et ses innombrables épisodes; l'attitude de Sésostris y est magnifique de force, de courage et de majesté; les chevaux du char, lancés au galop, sont pleins de feu.-Malgré le joug qu'imposait la religion, l'art, en s'exaltant, finit d'ailleurs bien des fois par l'emporter. Il s'en tient encore, avec une crainte respectueuse, aux draperies plates, sans plis ni grandeur, aux poses conventionnelles; mais il s'abandonne, dans la forme, au sentiment de la nature et à la recherche de la perfection. Il n'est pas rare de trouver des jambes et des bras d'un modelé irréprochable parmi ces figures raides et sèches dont le style appartient à une plastique encore à l'état rudimentaire.

Le ciseau du sculpteur égyptien savait aussi animer la pierre de la grâce la plus délicate. A l'entrée d'une cave à momies, située au milieu de l'ancienne nécropole de Thèbes, on voit plusieurs profils de femmes, dignes de prendre place à côté de ce que l'art a produit de plus beau. Le dessin est d'une finesse exquise, l'expression délicieuse; cette fermeté douce et souple qui distingue les chairs de la jeunesse est comprise et rendue avec un incroyable bonheur; enfin il y a dans la coiffure des détails traités avec une élégance et une légèreté parfaites.

Les statues, les sphinx à têtes d'hommes, de lions, de béliers,

qui sont venus jusqu'à nous, attestent que les Egyptiens n'excellaient pas moins dans la ronde-bosse que dans le bas-relief. Hauteur de style, savante observation des muscles, simplicité, force et grandeur, caractérisent leur statuaire. Ces beautés sont de tous les temps, aucune école n'y est insensible, et tout le monde les peut distinguer et admirer en considérant le sphinx en granit foncé, qui embellit la cour de la petite entrée du musée, au Louvre.

Sous le rapport de la décoration, on trouve de même que les Egyptiens eurent un très beau sentiment d'art. La couleur qu'ils appliquaient à l'architecture et à la sculpture était toujours employée en teintes plates, avec une sobriété indice d'une expé rience consommée. Dans tous les hypogées, les bas-reliefs produisent, en se détachant sur un fond d'une blancheur éclatante, le plus heureux effet, et le fond blanc, par un calcul qu'il est impossible de ne pas apprécier, sert en même temps à combattre l'obscurité de ces catacombes. Les peintures que l'on aperçoit encore sur les monuments y sont ménagées avec une science infinie, et l'on peut juger que leur ensemble devait être d'un aspect magique. On n'y trouve guère employé d'ailleurs que le rouge, le jaune, le noir et l'azur, cette dernière teinte dominante. Si les restes de coloriage des cathédrales gothiques ne suffisaient pas pour convertir tout le monde à l'architecture polychrôme, la vue des temples pharaoniques rassurerait les plus rebelles classiques.

Assurément l'art qui présente de telles qualités peut, à bon droit, passer pour être sorti des langes, malgré ses vices spéciaux; c'est du talent et du génie tout ensemble. Le nom des hommes qui élevèrent les miraculeux monuments de la Thébaïde serait venu jusqu'à nous pour être honoré, si la construction et l'ornementation des édifices égyptiens n'avaient été des entreprises collectives où la part de chacun se perdait dans la gloire de tous comme dans l'œuvre des bollandistes.

Hérodote et Diodore, en parlant des castes qui divisaient le peuple d'Egypte, n'ont pas parlé des artistes. Ceux-ci ont dû cependant être excessivement nombreux pour exécuter les travaux qui couvrent la vallée du Nil. Ils appartenaient sans doute à la

caste sacerdotale, et se transmettaient de père en fils les connaissances acquises et les ouvrages commencés. On ne peut expliquer que par une sorte d'abnégation religieuse et une vaste organisation de travail en commun l'entreprise et l'achèvement de ces immenses hypogées sculptés et enluminés à la lueur d'une lampe pour être clos à tous les yeux dès qu'ils étaient finis. Ceux qui enterraient là leur vie pendant des années entières et les créations de leur génie pour des siècles devaient supposer qu'ils accomplissaient une fonction sainte. L'égalité qui existe dans leurs ouvrages nous semble confirmer cette opinion. Il n'y a qu'une seule école, un seul procédé, qu'une même méthode, un même style, et nulle part on ne peut saisir la marque, le cachet d'une individualité quelconque; défauts et qualités sont strictement pareils et s'observent partout, à toutes les époques. C'était un art de tradition, confié à une corporation sévèrement maintenue dans une ligne donnée. Si les artistes égyptiens avaient joui de la moindre indépendance, s'ils n'avaient été enchaînés par quelque chose d'analogue à l'esprit monacal qui leur défendait d'enfreindre la tradition, il se serait certainement trouvé parmi eux des hommes qui auraient secoué le joug du passé et communiqué des perfections nouvelles à un art déjà si parfait. L'histoire des progrès de l'humanité dans tous les genres ne laisse analogiquement aucun doute sur ce point, et nous avons ici une preuve de plus que la liberté n'est pas seulement le plus grand des biens pour tous les hommes, mais aussi la voie la plus sûre et la plus efficace pour donner à leur génie son entier développement.

CHAPITRE XII.

Momification.

On embaumait les animaux comme les hommes. Grotte de Samoun. Il faut se traîner sur le ventre pour atteindre les salles. - Il n'y a de la grotte de Samoun. Incalculable amas de particulière que l'on ressent à les développer.

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L'embaumement avait pour but de prévenir la putréfaction.

pas d'exploration plus pénible que celle momies de toute espèce. Emotion Leur parfait état de conservation. Petits paquets ne contenant que des débris de matière animale. Ces immenses travaux de momification seraient le comble de l'absurdité, s'ils n'étaient le comble de la sagesse. Destruction calculée des crocodiles. Puits d'oiseaux sacrés à Sakkarah. -Disposition des pots à momies. On ne croit plus aujourd'hui que l'Egypte adorât des animaux. L'unité de Dieu était la base de ses croyances religieuses. Le culte rendu aux animaux était une corruption d'un symbolisme primitif, comme le culte des images.

notre temps. Science de l'antique Egypte.

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Une loi du sacrilége, votée de

L'antique Égypte n'embaumait pas seulement les corps humains, les cadavres des animaux subissaient des préparations analogues. Nous avons déjà vu des chiens, des chacals, des oiseaux parmi les décombres de la nécropole de Syout, mais c'est surtout dans la fameuse grotte naturelle de Samoun (rive droite du Nil) que l'on peut juger jusqu'à quel point furent poussés les travaux de ce genre.

Pour visiter cette grotte, on s'arrête au village de Chara, qui fournit des guides. Ceux qui s'offrirent à nous portaient de vieux fusils rouillés, garnis de fer blanc, incapables de rendre aucune espèce de service. Les guides s'arment ainsi afin de laisser croire à leur double utilité. C'est un souvenir des dangers que l'on courait autrefois à faire cette excursion. La grotte est en effet située assez avant sur le plateau de la chaîne Arabique, et il faut

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