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blics, diplomates, ils comprennent leur rôle d'une détestable manière, ils n'en acceptent que le côté politique. Pour qu'ils daignent s'occuper d'un individu de leur nation, il faut que l'intérêt qu'il se trouve avoir à défendre devienne en quelque sorte une affaire d'Etat.

Un exemple :

Nous avons dit que Méhémet-Ali voulait frapper de droits ruineux la fabrique de décortication des graines de coton, fondée près d'Alexandrie par M. Andriel. Celui-ci devait d'autant plus s'attendre à trouver un solide appui dans notre représentant, qu'il ne défendait pas seulement un intérêt particulier. La recherche des graines oléagineuses est, en effet, une question vitale pour l'industrie de Marseille. Malgré tout, le consulat général de France le laissa se débattre seul et sans secours entre les griffes du rapace vice-roi. Est-ce qu'un consul général de France peut avoir souci de plantes oléagineuses et de décortication? Curieuse preuve, pour le dire en passant, de l'état d'anarchie violente où est encore plongée la société. Voilà un homme qui a une heureuse et belle idée, celle d'utiliser une chose jusque-là inutile, de rendre à tous une richesse perdue; il essaie lui-même, à ses propres frais, il réussit, et, sur deux gouvernements qui le devraient aider, le récompenser même, l'un veut le tuer, l'autre le laisse tuer! Il est douteux qu'ils n'y parviennent pas.

En général, les membres de notre corps diplomatique sont infectés d'une morgue aristocratique incompatible avec les fonctions paternelles qu'ils ont à remplir. Partout, à l'étranger, les Français se plaignent du peu de confiance que leurs protecteurs naturels savent leur inspirer. Plus d'une fois nous avons entendu les officiers de nos paquebots-postes déplorer l'absence de zèle et de bonne volonté qu'ils rencontraient souvent dans les consulats des ports de mer pour l'expédition du service des lettres. Nos consuls estiment au-dessous d'eux de s'occuper de pareilles choses.

Les agents diplomatiques anglais entendent bien autrement leurs obligations; ils n'oublient jamais qu'ils sont avant tout les

hommes de leurs compatriotes; ceux-ci trouvent toujours auprès d'eux une assistance, de forme froide, il est vrai, mais solide, efficace, active. On ne peut douter que la hardiesse avec laquelle le commerce anglais fait de si lointaines expéditions, et va fonder au bout du monde des établissements où il risque souvent de gros capitaux, ne prenne en partie sa source dans la conviction où il est d'être partout fermement protégé, de même que l'extrême timidité du nôtre tient à une conviction contraire, malheureusement trop justifiée.

CHAPITRE VIII.

Les Fellahs.

Il n'y a de différence entre les Egyptiens et des sauvages que l'impôt qui les accable.
Leur combustible.
Aspect repoussant de leurs villages.

L'Egypte n'a pas de bois. Aucune espèce de meuble dans la tanière des fellahs. Mortalité que cause la peste parmi eux. Leur extrême misère intéresse la santé générale de l'Europe. Tous les Le dourah est souvent l'unique ali

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écrivains s'accordent sur leur indicible pauvreté. ment du fellah. Il est quelquefois réduit à se nourrir de feuilles de chardon ou d'un pain fait avec de la semence de coton et de la graine de lin. Il meurt d'inanition à côté des magasins du vice-roi, gorgés de blé. Il ne sait plus faire vivre ses enfants. On ne trouve pas la moindre parcelle de civilisation dans les villages d'Egypte. La vie se ré. duit là au fait d'exister. - L'excès de la misère détruit en nous les impressions délicates. L'apathie du fellah tient aux circonstances où

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Splendides palais de Méhémet-Ali.

Abbas-Pacha.

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il se trouve; sa paresse, à ce qu'il ne retire rien de son travail. Grossièreté des moyens de culture. L'armée recrutée au moyen de la presse. Mutilations volontaires. Régiment de borgnes. Corvées. Curage des canaux. Exactions commises par Vols de fourrage à main 'armée pour nourrir les chevaux du haras de Méhémet-Ali. Charrues attelées d'un boeuf et d'un chameau ensemble. Les femmes fellahs dépouillées de leurs bijoux. Cinq millions de dot à la fille de Méhémet-Ali. Parade et tragédie. Emigration des fellahs, malgré les mesures violentes prises pour

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s'y opposer. Dépopulation toujours croissante. Les fellahs voleurs, parce qu'ils

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n'ont rien. Les Turcs et le grand-pacha leur donnent l'exemple. Les fellahs sont bons et reconnaissants. L'Egypte peut-elle concevoir l'espérance d'être délivrée de Méhémet-Ali? Elle y gagnera peu de chose si la révolution est faite par un Turc. Ibrahim-pacha est le digne fils de son père. Il est plus organisateur, mais impitoyable. Divers exemples de sa cruauté. L'Egypte est incapable de se sauver par elle-même. Elle ne pourrait être régénérée que par un établissement européen, impossible aujourd'hui.

En parcourant l'intérieur de l'Egypte, on s'étonne davantage encore que Méhémet-Ali ait pu obtenir un nom glorieux. Rien n'égale la misère du peuple qu'il gouverne depuis quarante ans. Les descendants direct de ces anciens Egyptiens, qui taillaient les obélisques dans les carrières de granit, qui transportaient et sculptaient des colosses monolithes, qui élevaient, avec une

science encore non surpassée, des monuments gigantesques, qui furent enfin une des lumières de la civilisation, sont tombés dans la barbarie la plus caractérisée. Il n'y a aujourd'hui de différence entre eux et des sauvages que l'impôt dant on les accable et le bâton toujours levé sur leurs têtes par un impitoyable despote.

Point d'établissement de cases à nègres dans les colonies, qui présente un aspect plus repoussant que celui d'un village d'Egypte. «Est-ce là vraiment la retraite de votre semblable? la de<< meure d'un être intelligent? demande M. Pariset; quelles rues <«< étroites, inégales, tortueuses, infectées d'ordures et de tour<< billons d'une poussière suffocante! Quelles maisons! ou plu<< tôt quelles tanières affreuses! Construites de boue, petites, <«< basses, obscures, humectées par les excréments du père, de « la mère, des enfants, qui se nichent là pour la nuit, pêle-mêle << avec les chats, les brebis, les chèvres, et, quand l'espace le per<< met, avec les buffles, les chameaux, les ânes ou les vaches; en <«< sorte qu'un si triste habitacle paraît plutôt fait pour la bête << que pour l'homme 1. »

Le tableau n'est que trop fidèle. Il est impossible de se tenir debout dans ces misérables huttes agglomérées sans ordre les unes à côté des autres, élevées de quelques pieds à peine audessus du sol, et couvertes, pour toute toiture, de tiges de dourah ou de feuilles de palmier, à travers lesquelles perce la fumée du foyer, qui remplit et empeste l'intérieur. Les femmes fellahs paraissent prendre à cœur d'augmenter la laideur du coup d'œil. Le bois manquant partout2, elles pétrissent le fumier des bestiaux avec de la paille hachée, et en font de petites mottes minces qui

1 Mémoire sur les causes de la peste, 1837, p. 127.

2 L'Égypte est entièrement dépourvue de bois. On n'y trouve que des dattiers. Elle ne fournit pas une pièce de construction ni de menuiserie; planches et charpentes, tout lui vient du dehors; et le combustible ligneux y est si rare qu'on le vend au poids, par petits morceaux pesés dans des balances à la main. Nous avons vu, à Atkim, un cloutier alimenter sa petite forge avec des noyaux de dattes. Il faut dire cependant qu'on fait du charbon dans la Haute-Égypte avec le gommier, arbuste à épines, qui s'y trouve en assez grande abondance. Ce charbon,

servent de combustible, et dont l'usage est universel parmi les pauvres. Comment sèchent-elles ensuite ces dégoûtantes préparations? En les appliquant tout à l'entour des murailles de leurs terriers!

Çà et là on aperçoit de rares animaux domestiques, maigres, efflanqués, rongés de tiques, le poil hérissé et couverts de plaques d'ordures. Leur présence ne fait qu'ajouter à l'aspect de désolation de ces tristes lieux, où parfois des restes de minarets semblent attester la présence antérieure d'une population moins abrutie.

La pureté du ciel, l'admirable limpidité de l'atmosphère, les flots de lumière colorée dont le soleil inonde ces contrées, l'éclat éblouissant qu'il prête aux eaux du fleuve, les teintes d'un violet brillant, qu'il répand sur les montagnes, ou les torrents de flammes qu'il verse le soir à l'horizon, tout ce luxe de la nature ne rend que plus pénible le spectacle des incomparables misères de la population. On ne trouve dans la hutte d'un fellah aucune espèce de meubles, aucun, à moins que l'on ne veuille appeler ainsi un petit tas de loques amassées dans un coin avec quelques pots de terre. Il vit là, presque nu, accroupi le jour sur le sol où il dort la nuit, et mangeant un peu de dourah, sa principale, et quelquefois, au dire de Clot-Bey lui-même, son unique nourriture. Il n'en a pas toujours en quantité suffisante pour se soutenir; il n'y joint que rarement des lentilles, des fruits confits dans

du reste fort cher, est amené en bas par les bateaux du Nil, dans de grands sacs de natte.

On prétend que le vice-roi a fait planter seize millions de pieds d'arbres, et son fils Ibrahim six millions. Ces chiffres doivent être exagérés, car nous n'avons rien aperçu de ces boisements dans le trajet d'Alexandrie à Thèbes. A peine rencontre-t-on quelques figuiers, sycomores, acacias et cassiers. En tout cas, ce serait un éminent service à rendre à l'Égypte que d'encourager les plantations de toute sorte d'arbres; plusieurs expériences ont prouvé qu'elles réussiraient à merveille. Les sycomores de l'allée de Choubrah et les acacias de la place de l'Esbekyeh, mis en terre il y a huit ans à peine, ont atteint une grosseur où ils ne parviendraient pas en quarante ans dans nos régions, et prêtent déjà un vaste ombrage d'une verdure éternelle.

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