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AU SOLDAT.

«Un historien doit préférer la vérité à tout.

>> dût-il s'exposer à quelque danger.

» TACITE. >>

C'est à toi, soldat, dont j'entends le QUI VIVE! et le PASSE AU LARGE! c'est à toi, qui veilles au repos public comme à la défense du pays; oui, c'est à toi, que je dédie LES DERNIERS JOURS DE LA GRANDE ARMÉE !

Personne encore, que je sache, ne t'avait jugé digne de l'hommage de ses oeuvres. Eh bien! soldat! je te dédie les miennes comme au plus digne!......

Reçois donc mon hommage!... Puisse-t-il te rendre moins longues, tes longues heures de corps de garde, qui n'ont de plus longues encore, que celles de la prison!...

Depuis longtemps, je veille aussi pour toi, soldat!... Je veille pour que ta soupe soit meilleure.

Je veille pour que ton équipement soit plus léger, moins chargé d'entraves à ta liberté d'action.

Je veille au perfectionnement de tes armes, pour que jamais tes armes ne trahissent ton

courage.

Je veille à ce que ton uniforme soit digne de toi, et ne t'expose jamais à la malignité t j de la caricature.

Je veille pour que tes nobles services ne soient jamais méconnus !...

Je veille à ce que ton modeste et premier galon de laine soit la juste récompense de ton zèle à remplir tes devoirs, de'ta soumission à tes chefs, de ton dévoûment à ton pays.

Je veille pour que le galon d'or soit aussi pour toi un sujet d'émulation, et non le lot de quelque protégé sans conduite et sans mérite.

Je veille pour que le double galon t'offre un avenir, en même temps qu'il est le signe distinctif de tes bons services, de ta capacité, de ton instruction, de ta probité.

Je veille pour que, à ce troisième échelon de ta carrière, des garanties te soient données, te mettent à l'abri d'un caprice ou d'un calcul.

Je veille pour que, parvenu là, ton existence soit déjà plus douce; ta considération plus relevée; ta tenue plus en harmonie avec la position que je te souhaiterais.

Je veille pour que l'on comprenne enfin qu'ayant mérité, par l'énergie de ton caractère, par ton aptitude à l'instruction, par ton amour du métier, d'être revêtu des importantes et difficiles

fonctions d'adjudant, tu ne sois pas seulement le premier sous-officier du corps, je demande qu'un brevet de sous-lieutenant devienne pour toi la consécration d'un grade si péniblement conquis. Je voudrais t'affranchir du cruel et humiliant mécompte de te voir primer, toi, qui n'as d'autre protection que tes services, que ton zèle et ta conduite exemplaire, par le jeune candidat, qui n'a peut-être pas, en années de matricule, ce que tu comptes d'années de grade.

Je veille pour qu'en gravissant chaque degré, tu y trouves de nouvelles actions de grâces à rendre, à ton mérite d'abord, et à tes chefs qui ont su te distinguer et te rendre justice. Je voudrais que là, une ère plus large s'ouvrit à ton ambition légitime, et, qu'enfant de tes œuvres, la loi vînt, à son tour, te prendre sous son égide, et prouver qu'elle est plus forte que l'intrigue, que le favoritisme, ces plaies vivaces de notre siècle.

Mais ici, s'augmentent les difficultés de mes factions. J'ai à crier sans cesse : QUI VIVE! et HALTE LA! à tes innombrables rivaux, poussés par le flot des recommandations, et montant à l'assaut du grade qui te revient avec autant d'ardeur peut-être que tu mettrais d'audace à l'assaut d'une redoute.

Quel obstacle opposer à ce débordement, que la loi malheureusement n'a que trop favorisé ?.... Il n'en existait qu'un seul, et je l'ai proposé : c'est que cette loi d'un gouvernement constitu

tionnel devint aussi juste que la loi militaire des gouvernements absolus de Prusse et de Russie, où l'ancienneté, seule, fait parvenir du grade de sous-lieutenant à celui de capitaine inclus, coupant ainsi, dans sa racine, l'herbe parasite qui ronge l'armée française.

Quelles exclamations n'ai-je point alors provoquées ?.... Protégés et protecteurs ont à l'envi crié : haro!....

Opposer une digue à de telles passions, était et devait être un crime!... Ce crime, soldat! j'ai dû le commettre par dévoûment pour toi, quelles qu'en fussent les conséquences pour moi !...

Ce n'était pas tout encore: j'avais aussi porté le trouble parmi ces protégés de haute lignée auxquels tu sers de levier, toi, soldat, dont ils font si bon marché pour arriver plus vite !...

Ils avaient ridiculisé tes cheveux grisonnants, fruit de tes campagnes, de tes bivouacs, de tes misères !... Je les ai stigmatisés et m'en suis fait autant d'ennemis.

Ils avaient, dans leur soif d'avancement, obtenu qu'à quarante ans, tu fusses déclaré inapte au grade supérieur. J'ai crié au blasphême à ces jeunes imprudents !... On ne me l'a pas encore pardonné, car plus d'un a été arrêté court, dans sa course au clocher vers le maréchalat !

Voilà, soldat, l'origine de ces inimitiés; j'en suis orgueilleux, comme bien tu penses : quoi de plus méritoire ici bas, que de souffrir par amour

pour sa patrie, par dévoûment à ses défenseurs!... Lis donc, soldat, mon ami, lis ces pages qui ont agité mon âme de tant d'impressions diverses, à mesure qu'elles sortaient de ma plume!........ Lis nos Derniers Jours, toi, si digne de perpétuer les souvenirs de la GRANDE ARMÉE; toi, si admirable de courage, de résignation, de dévoûment dans cette lutte sans issue, où s'épuisent tes forces.

Lis ces pages brûlantes d'un patriotisme que ton cœur seul, a conservé dans toute sa pureté, dans toute son exaltation chevaleresque. Lis-les, soldat! et si parfois, elles t'arrachent des larmes de rage, souvent aussi une larme d'admiration s'échappera de ta paupière; des bravos même retentiront dans ta chambrée, en voyant comment tes pères mouraient pour la Patrie !!!....

Lis-les, soldat, et si tu sens le besoin de les relire encore, frappes là ! j'en serai fier : j'aurai fait un bon livre!......

Hippolyte de Mauduit.

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