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Cet article, qu'aucune loi postérieure n'a modifié, consacre dans les termes les plus énergiques le droit qui appartient à chaque citoyen, d'observer ou de ne pas observer les fêtes instituées par différents cultes. Tout acte oppressif qui tendrait à contraindre les citoyens à s'abstenir, ces jours-là, de certains travaux ou de certains actes de commerce rentre dans les termes de cet article: chacun n'a pour règle que sa conscience. C'est là une matière où la loi ne pourrait intervenir sans être tyrannique. Quand il s'agit, non de l'ordre social, mais de l'ordre religieux, la liberté n'a pas de limite, car la pensée humaine ne relève d'aucun pouvoir humain.

312. Il y a lieu de remarquer toutefois que l'art. 260 n'incrimine que les voies de fait et les menaces des particuliers. Si ces actes émanent d'un fonctionnaire public, ils prennent un autre caractère et rentrent dans la classe des actes arbitraires que j'ai précédemment examinés. Cependant il importe de distinguer les actes qui seraient entachés d'illégalité et ceux qui ne seraient que l'exécution d'une loi de police et de règlements de police. La loi du 18 novembre 1814, relative à la célébration des fêtes et dimanches, a prohibé pendant les jours consacrés la vente dans les boutiques, à ais et volets ouverts, la vente dans les rues et places, et les travaux extérieurs. Cette loi a été vivement attaquée comme attentatoire à la liberté des cultes, car elle est évidemment oppressive pour tous les cultes dissidents, pour tous les citoyens qui ne se soumettent pas dans leur conscience aux préjugés du culte dominant. La jurisprudence toutefois l'a maintenue, en la considérant comme une simple loi de police destinée à régler l'ordre extérieur. Mais, même en admettant cette interprétation, il s'ensuit bien que les règles posées par cette loi et les règlements pris par l'autorité municipale pour son exécution, doivent être observés; mais l'observation de ces règlements n'a rien de commun avec les actes prévus par l'art. 260 cet article reste toujours debout pour atteindre toutes les mancuvres des particuliers, toutes les menaces et tous les actes qui tendraient à organiser dans chaque cité une tyannie religieuse, sous prétexte de venir en aide à la loi.

313. Les art. 261, 262, 263 et 264 n'exigent que peu d'observations. L'art. 261, qui punit les troubles et désordres causés dans les temples, avait été remplacé par l'art. 13 de la loi du 20 avril 1825, et a repris sa force primitive quand cette loi a été abrogée. Il faut, pour motiver son application, que le trouble ait produit un empêchement, un retard ou une interruption de l'exercice du culte; s'il n'a pas eu cet effet, ce fait, quel qu'il soit, ne rentre pas dans les termes de cet article. L'art. 262 punit l'outrage par gestes ou menaces contre les objets d'un culte servant à son exercice ou contre les ministres de ce culte dans leurs fonctions. Nous avons vu précédemment, en examinant les art. 228 et suivants, ce qu'il faut entendre par outrages, par gestes ou menaces. Il faut jouter que, si l'outrage fait d'une manière quelconque a lieu publiquement et dans l'exercice même des fonctions des ministres, l'art. 262 cesse d'être applicable ce délit a été spécialement prévu par l'art. 6 de la loi du 25 mars 1822. Si l'outrage était accompagné d'excès ou de violences, il serait

saisi par l'art. 228, auquel la loi du 25 mars 1822 l'a dans ce cas spécialement renvoyé.

ASSOCIATION DE MALFAITEURS.

314. Les délits d'association de malfaiteurs, de vagabondage et de mendicité, que le Code pénal a réunis dans une même section, ont un caractère commun; ils constituent une menace incessante contre l'ordre, ils semblent en quelque sorte des faits préparatoires d'autres délits, ils apportent un péril imminent à la paix publique, sinon actuellement, au moins pour un prochain avenir. C'est là leur caractère général : les malfaiteurs réunis et associés, les vagabonds et les mendiants sont des agents dangereux qui excitent la défiance de la loi et sur lesquels elle a dû exercer une juste surveillance. Toutefois, ce n'est point en vue de ces inquiétudes, quelque légitimes qu'elles puissent être, ce n'est point à raison d'un péril possible, mais non encore réalisé, que les faits ont été incriminés la loi n'avait pas le droit de frapper des faits qui ne seraient pas en eux-mêmes immoraux, par cela seul qu'ils pourraient devenir nuisibles. L'association de malfaiteurs, le vagabondage, la mendicité elle-même, dans la plupart des cas, sont des faits immoraux et même nuisibles en eux-mêmes, indépendamment de leurs suites, indépendamment des dangers qu'ils peuvent entraîner. Dans une société organisée, en effet, les agents qui s'associent dans un but immoral et coupable, les agents qui, dénués de moyens d'existence, ne se livrent à aucun travail et n'en recherchent pas, les agents enfin qui, lorsqu'ils peuvent soutenir leur existence par le travail, préfèrent implorer la charité publique et vivre dans la fainéantise et l'oisiveté, tous ces agents sont responsables, non pas des délits qu'ils peuvent projeter, car les simples projets échappent à la loi pénale, mais du fait immoral de l'association, du vagabondage et de la mendicité, considéré en lui-même et en dehors de ses conséquences ultérieures.

315. Prenons d'abord le délit d'association de malfaiteurs :

a ART. 265. Toute association de malfaiteurs envers les personnes ou les propriétés est un crime contre la paix publique. »

« ART. 266. Ce crime existe par le seul fait d'organisation de bandes ou de correspondance contre elles et leurs chefs ou commandants, ou de conventions tendant à rendre compte ou à faire distribution ou partage du produit des méfaits. »

Il y a association, dans le sens de ces deux articles, quand il y a organisation de bandes, et cette organisation résulte de la nomination des chefs et de leur correspondance entre eux, elle résulte encore des conventions tendant au partage des produits des méfaits. Quel doit être le nombre d'individus nécessaire pour composer une bande? Quel doit être le mode de leur organisation? La loi ne le dit point ce qu'elle prescrit, c'est l'association de malfaiteurs constituée en vue de commettre des crimes; c'est là qu'est l'acte préparatoire qui menace la sécurité publique et qu'il importe de saisir. L'incrimination est vague, parce qu'il serait difficile et périlleux de définir avec trop d'exactitude un fait dont les caractères sont variables; mais ce que le législateur a voulu frapper,

c'est le fait d'une organisation de malfaiteurs, quels qu'en soient lemode et les conditions, avec le but de commettre des crimes.

Cela dit, la seule difficulté qui demeure est de savoir ce qu'il faut entendre par malfaiteurs. « Il faut remarquer, porte l'exposé des motifs, que les malfaiteurs dont il s'agit en ce moment ne sont pas ceux qui agissent isolément ou même de concert avec d'autres pour la simple exécution d'un crime. Ce que la loi considère plus particulièrement ici, ce sont les bandes ou associations de ces êtres pervers qui, faisant métier du vol et du pillage, sont convenus de mettre en commun le produit de leurs méfaits. » Ainsi, ce n'est point l'accomplissement d'autres méfaits antérieurs qui imprime à ces agents la qualification de malfaiteurs, c'est uniquement le fait de l'association faite dans les conditions et avec le but prévus par la loi; peu importe qu'ils soient ou non repris de justice, il suffit qu'ils fassent partie des bandes organisées contre les personnes ou les propriétés.

Le but de l'association, l'attaque contre les personnes ou contre les propriétés, forme le deuxième élément. C'est là, en effet, ce qui fait le danger et à la fois la perversité de la réunion; c'est là ce qui a porté le législateur à punir un acte purement préparatoire et quand les premiers faits d'exécution ne sont pas même commencés ; il y avait un immense péril à laisser se former un pacte qui recélait en lui-même la volonté arrêtée de commettre des crimes. L'existence seule de ce pacte, quand elle est accompagnée d'une organisation qui n'en commence pas encore, mais qui en prépare l'exécution, a paru suffisante pour justifier la peine.

Les art. 267 et 268 déterminent les peines applicables aux malfaiteurs qui composent les bandes. Celle des travaux forcés à temps est prononcée contre les auteurs et directeurs de l'association et contre les commandants des bandes; celle de la réclusion est appliquée à tous autres individus chargés d'un service quelconque dans les bandes et contre ceux qui leur auront fourni des munitions, des armes ou un lieu de retraite ou de réunion.

DU VAGABONDAGE.

316. Qu'est-ce que le vagabondage? Vous en trouvez une définition trèsclaire dans l'art. 270, qui n'a fait d'ailleurs que reproduire les termes des anciennes ordonnances :

ART. 270. Les vagabonds ou gens sans aveu sont ceux qui n'ont ni domicile certain ni moyens de subsistance, et qui n'exercent habituellement ni métier ni profession. »

J'examinerai tout à l'heure les termes de cette définition. Arrêtons-nous un moment, en présence de ces termes, à la règle posée par l'art. 269 qui déclare que le vagabondage est un délit. » Cette règle a été critiquée par quelques théoriciens. Il ne peut, ont-ils dit, y avoir de délit où il n'y a pas de fait immoral, où il n'y a pas même d'acte matériel. Le fait de n'avoir ni moyens d'existence, ni domicile, ni profession habituelle, peut ne renfermer en luimême aucune immoralité; il peut être pour celui qui se trouve dans cette position le résultat de circonstances malheureuses, du manque de travail, de la misère; mais il ne révèle par lui-même aucune perversité intrinsèque.

Dira-t-on qu'il présente une situation dont la société doit s'inquiéter ? Cela est possible, mais cette inquiétude, quelque légitime qu'elle puisse être, donnet-elle à cette société le droit de transformer en délit et de punir une position sociale qui peut être innocente en elle-même et qui ne peut être considérée même comme l'acte préparatoire d'aucun délit en particulier? Cette critique prend sa source dans le système qui donne comme principal fondement à la loi pénale la violation de la loi morale. La violation de la loi morale est l'un des fondements de la loi pénale, mais il n'est pas le seul; la loi pénale a pour mission première la conversation de l'ordre social, et c'est surtout au point de vue de cet ordre qu'il faut examiner le caractère du vagabondage. Or, n'est-il pas évident que la situation de l'homme qui n'a ni moyens d'existence, ni domicile, ni profession, est pour la sécurité publique un péril imminent et certain? Cette situation est une menace continuelle, puisque ce n'est que par des moyens illégitimes, par des actes qui sont qualifiés délits, qu'elle peut se soutenir. La société a même le droit de la déclarer immorale, car elle impose à chacun de ses membres des obligations qu'ils sont tenus de remplir; l'une de ces lois sociales est la loi du travail pour tous ceux qui ne sont pas incapables d'en supporter le poids, et je n'hésite pas, pour ma part, à apercevoir une véritable immoralité dans l'agent qui, pour se livrer à une vie fainéante et oisive, impose au corps social le fardeau de le faire subsister. Ainsi, soit au point de vue de l'ordre, soit au point de vue de la morale, le législateur a eu le droit d'incriminer le vagabondage et de le qualifier délit.

317. La première condition du délit est l'absence d'un domicile certain. Il est évident qu'il ne s'agit pas ici du domicile d'origine, que tous les citoyens conservent, mais du domicile d'habitation, c'est-à-dire d'un domicile actuel, fixe ou non, mais certain. La loi du 10 vendémiaire an X avait établi une présomption légale de vagabondage en déclarant que tout individu voyageant et trouvé hors de son canton sans passe-port, doit être réputé vagabond, s'il ne justifie pas, dans les vingt jours de son arrestation, qu'il est inscrit sur le tableau d'une commune. Il est clair que cette disposition ne peut plus être invoquée, puisque l'absence d'un passe-port ne peut équivaloir à l'absence de domicile et que l'inscription de l'agent sur les registres d'une commune ne lui confère nullement le domicile exigé par la loi.

La deuxième condition du délit est le défaut de moyens de subsistance; c'est ce défaut, uni à l'absence de tout métier, qui excite à juste titre la défiance de la société. Car si un individu quelconque ne travaille d'aucune manière et ne possède aucune ressource, il y a lieu de craindre qu'il n'emploie, pour soutenir son existence, des moyens illicites. On peut éprouver à la première vue quelque peine à concilier cette disposition de l'art. 270 avec l'art. 278 qui aggrave la peine du vagabondage lorsque « le vagabond est trouvé porteur d'un ou de plusieurs effets d'une valeur supérieure à cent francs, et qu'il ne justifiera point d'où ils proviennent. » Il semble, en effet, qu'il y a quelque contradiction entre le manque de moyens de subsistance et la possession d'une somme d'argent. Il faut dire, pour expliquer cette anomalie apparente, que l'art. 278 n'a eu qu'un but, c'est de mettre à la charge du prévenu la légitimité de la possession de la somme dont il est porteur: s'il fait cette preuve, la prévention

tombe nécessairement, puisqu'il établit par là même qu'il a des moyens de subsistance. Mais il reste quelque embarras dans le cas où les effets dont il est trouvé porteur n'ont pas une valeur supérieure à cent francs; la loi, en effet, ne s'est point expliquée à l'égard de ce cas spécial. Il est clair toutefois que tout ce qu'il peut en résulter, c'est que la possession de ces effets ne motive alors aucune aggravation de peine; mais la justice peut en rechercher la source, quelle que soit leur valeur, et si cette source est légitime, il reste à apprécier si ces effets constituent un moyen de subsistance suffisant pour faire disparaître la prévention.

La troisième condition du délit est le fait de n'exercer habituellement ni métier ni profession. Ce défaut d'exercice de métier ou de profession n'est évidemment imputable qu'aux personnes qui n'ont aucun moyen de subsistance; et il ne faut pas confondre par la même raison l'absence de la profession et l'absence de l'exercice de cette profession. On peut avoir une profession, mais, si on ne l'exerce pas, cette profession, n'étant plus un moyen de subsistance, n'est plus une garantie sociale. Il ne faut pas confondre non plus le défaut d'exercice de la profession et le manque absolu de travail : c'est le non-exercice volontaire que la loi poursuit, parce que c'est le signe de la fainéantise et de la corruption; le non-exercice involontaire ne peut pas être incriminé plus que la misère elle-même.

Il résulte de ces observations que le vagabondage, tel que la loi l'a défini, contient les éléments d'un véritable délit : ce n'est point la vie errante et vagabonde que la loi a voulu atteindre, c'est la vie dénuée de toutes garanties sociales, la vie sans ressources et sans travail, menaçante pour l'ordre et organisée en quelque sorte pour la perpétration des crimes et des délits.

318. Les peines prononcées contre le vagabondage méritent quelques observations:

ART. 271. Les vagabonds ou gens sans aveu qui auront été légalement déclarés tels seront, pour ce seul fait, punis de trois à six mois d'emprisonnement. Ils seront renvoyés après avoir subi leur peine, sous la surveillance de la haute police, pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. Néanmoins les vagabonds âgés de moins de seize ans ne pourront être condamnés à la peine d'emprisonnement; mais, sur la preuve des faits de vagabondage, ils seront renvoyés sous la surveillance de la haute police jusqu'à l'âge de vingt ans accomplis, à moins qu'avant cet âge ils n'aient contracté un engagement régulier dans les armées de terre ou de mer.

ART. 272. Les individus déclarés vagabonds par jugement pourront, s'ils sont étrangers, être conduits, par les ordres du gouvernement, hors du territoire de l'empire. »

ART. 273. Les vagabonds nés en France pourront, après un jugement même passé en force de chose jugée, ètre réclamés par délibération du conseil municipal de la commune où ils sont nés, ou cautionnés par un citoyen solvable. Si le gouvernement accueille la clamation ou agrée la caution, les individus ainsi réclamés ou cautionnés seront, par ses ordres, renvoyés ou conduits dans la commune qui les aura réclamés, ou dans celle qui eur sera assignée pour résidence, sur la demande de la caution. »

Une pensée particulière respire au fond de ces dispositions: c'est que le vagabondage, par sa nature spéciale, demande des mesures préventives plus encore que des mesures répressives, c'est que la loi, tout en le punissant, se

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