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CHAPITRE XIX.

Le grand-duc de Berg et le prince de la Paix.

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gie de leurs positions. Charles IV invoque l'appui de l'empereur Napoléon. Sa protestation. - Escoiquiz. Le duc de l'Infantado. Ma conversation avec ces

deux

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personnages. Je suis présenté à Ferdinand.

LE grand-duc de Berg avait conduit les affaires de l'empereur un peu trop à sa manière, et je vis, à sa conversation, qu'il songeait à celles de l'Espagne un peu pour lui. La portée d'esprit de ce prince n'était pas des plus étendues, et les premiers malheurs que nous avons éprouvés dans ce pays sont dus en grande partie à sa légèreté et à ses folles espérances.

J'appris de lui que, depuis plusieurs années, il avait une correspondance avec le prince de la Paix la raison en aurait été difficile à donner, et je ne puis me l'expliquer que par les réflexions suivantes.

:

Ils étaient tous deux placés au même degré d'élévation dans les deux pays, et n'avaient pas moins d'ambition l'un que l'autre. Leur fortune ayant été la même, ils avaient cru devoir se rapprocher; mais, de la part de Murat, c'était un

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calcul, comme on pourra en juger par la suite de ces Mémoires, et de la part du prince de la Paix, c'était finesse, parce qu'il n'avait pas le même genre d'ambition que le grand - duc de Berg. Mais comme il était le seul homme vraiment fort que l'Espagne eût alors, soit pour l'intrigue, soit pour la résolution, il avait jugé que cette correspondance, outre qu'elle était sans inconvénient pour lui, pouvait un jour lui devenir utile, si le grand-duc de Berg parvenait à l'exécution du projet qu'il lui supposait.

A la réception de la lettre qu'il avait transmise à l'empereur, Murat avait mis les troupes en mouvement, et avait envoyé l'adjudant-général Monthion prendre les ordres de Charles IV; mais il n'était pas en route, qu'il reçut une seconde lettre, qui lui était personnellement adressée :

« Monsieur et très cher frère, lui écrivait en << italien le roi détrôné, j'ai informé votre adju<<< dant de tout ce qui s'est passé. Je vous prie de << me rendre le service de faire connaître à l'em<< pereur la prière que je lui fais de délivrer le prince de la Paix, qui ne souffre que pour avoir « été l'ami de la France, et de nous laisser aller << avec lui dans le pays qui conviendra le mieux << à notre santé. Pour le présent, nous allons à Badajoz; j'espère qu'avant que nous partions, << vous nous ferez réponse, si vous ne pouvez

<< absolument nous voir, car je n'ai confiance que << dans vous et dans l'empereur. En attendant, je « suis votre très affectionné frère et ami de tout

« mon cœur.

« CHARLES IV. »

A cette pièce était jointe une note, de la main de la reine d'Espagne, non moins pressante, qui peint toute l'anxiété des souverains détrônés, et donne une idée des violences qui avaient amené l'abdication; elle était conçue en ces termes :

« Le roi mon mari, qui me fait écrire, ne pouvant le faire à cause des douleurs et enflure qu'il a à la main droite, désirerait savoir si le grandduc de Berg voudrait bien prendre sur lui, et faire tous ses efforts avec l'empereur pour assurer la vie du prince de la Paix, et qu'il fût assisté de quelques domestiques ou chapelains. Si le grand-duc pouvait aller le voir, ou du moins le consoler, ayant en lui toutes ses espérances, étant son grand ami, il espère tout de lui et de l'empereur, à qui il a toujours été très attaché. Que le grand-duc obtienne de l'empereur qu'on donne au roi mon mari, à moi et au prince de la Paix de quoi vivre ensemble tous trois dans un endroit bon pour nos santés, sans commandemens ni intrigues, et nous n'en aurons certainement pas. L'empereur est généreux : c'est

un héros; il a toujours soutenu ses fidèles alliés et ceux qui sont poursuivis. Personne ne l'est plus que nous trois; et pourquoi? parce que nous avons toujours été ses fidèles alliés. De mon fils nous ne pourrons jamais espérer, sinon misères et persécutions. L'on a commencé à forger, et l'on continue, tout ce qui peut rendre aux yeux du public et de l'empereur même, le plus criminel, cet innocent ami et dévoué aux Français, au grand-duc et à l'empereur, le pauvre prince de la Paix : qu'il ne croie rien; ils ont la force et tous les moyens pour faire paraître comme véritable ce qui est faux.

« Le roi désire, de même que moi, de voir et de parler au grand-duc; qu'il lui donne luimême la protection qu'il a en son pouvoir. Nous sommes bien sensibles à ces troupes qu'il nous a envoyées, et à toutes les marques qu'il nous a données de son amitié. Qu'il soit bien persuadé de celle que nous avons toujours eue et avons pour lui; que nous sommes entre ses mains et celles de l'empereur, et que nous sommes bien persuadés qu'il nous accordera ce que nous lui demandons, qui sont tous nos désirs, étant entre les mains d'un si grand et généreux monarque et héros. >>

La reine ne se contenta pas de réclamer la protection du grand-duc au nom de son mari,

elle la sollicita elle-mème (1). La reine d'Etrurie joignit ses instances à celles de sa mère. Toute cette correspondance portait l'empreinte de la consternation et de l'abattement. Il fallait que la violence eût été bien grande, que la menace eût été bien loin, pour avoir réduit toute cette famille à craindre pour son existence, à ne plus songer qu'à implorer un asile où la vie fût sauve et les besoins physiques assurés.

Charles IV était naturellement, pour le grandduc, le roi des Espagnes, jusqu'à ce que son gouvernement lui eût fait connaître que Ferdinand était devenu le chef de la nation espagnole.

(1) Lettre de la reine d'Espagne au grand-duc ( écrite en français).

• Monsieur mon frère,

« Je n'ai aucun ami, sinon V. A. I.; mon cher mari vous écrit, vous demande votre amitié : seulement en vous et en votre amitié, nous nous confions mon mari et moi. Nous nous unissons pour vous demander que vous nous donniez la preuve la plus forte de votre amitié pour nous, qui est de faire que l'empereur connaisse notre sincère amitié, de même que nous avons toujours eue pour lui et pour vous, de même que pour les Français. Le pauvre prince de la Paix, qui se trouve emprisonné et blessé pour être notre ami, et qui vous est dévoué, de même qu'à toute la France, se trouve ici pour cela, et pour avoir désiré vos troupes, de même parce qu'il est notre unique

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